Musique populaire en Centrafrique
Par Julien Le Gros
Peu de groupes centrafricains ont dépassé une réputation régionale. Le contexte économico-politique y est pour beaucoup. Sans prétendre à l'exhaustivité nous allons essayer de retracer quelques belles pages de la musique moderne centrafricaine.
Rappel historique
La République centrafricaine est ainsi nommée depuis le 1er décembre 1958. Deux ans plus tard le 13 août 1960 elle obtient officiellement son Indépendance. Le Père de la nation Barthélémy Boganda étant décédé un an plus tôt dans des circonstances troubles c'est David Dacko qui fait la proclamation.
En 1965 il est renversé par son cousin le tristement célèbre Jean-Bedel Bokassa. Malgré ces soubresauts politiques la musique contemporaine du pays se structure peu à peu sous la férule de figures comme Prosper Mayélé et Dominique Eboma.
Dans les années 70 le nombre de groupes prolifère. Cet âge d'or musical dura, bon gré mal gré, pendant « l'Empire Bokassa » proclamé le 4 décembre 1977. Comme Mobutu au Zaïre, Jean-Bedel Bokassa veut faire de l'art l'instrument de son pouvoir. Malgré l'arrivée du célèbre groupe Canon stars en 1982 cet âge d'or va s'éroder dans les années 80.
Les pionniers et stars de la rumba centrafricaine
Moins connues que les nuits de Léopoldville (ancien nom de Kinshasa, la capitale congolaise) et Brazzaville celles de Bangui ont aussi été chaudes. Dans les années 50 la ville sert de plaque tournante aux grands groupes de rumba Joseph Kabasele, Paulo Kamba, Seigneur Rochereau ou encore le fameux groupe de salsa cubain Orquesta Aragon.
La musique se joue live dans les dancings de la capitale comme le Rex inauguré en 1954, le Cercle Mbi Yé à Lakouanga où joue Wendo Kolosoy, le Bar Etoile, la Coupole, le Tara Tara, le bien nommé Cha Cha Cha, le Dragon Rouge, le Vis à Vis et l'ABC.
Les musiciens locaux ne sont pas en reste.
En 1949 Rigobert Bassinet, un musicien Antillais qui s’installe à Bangui forme de nombreux musiciens parmi lesquels Rodolphe Békpa et Prosper Mayélé En 1950 le centrafricain Jimmy Zakari forme le guitariste Congolais Franco Luambo Makiadi au style classique De son côté le chanteur guitariste Dominique Eboma débarque à Bangui de sa ville natale de Ouango Bangassou.
Il sillonne tout le pays en chantant comme militant du parti MESAN (Mouvement de l’Evolution Sociale de l’Afrique Noire) fondé par le Président Barthélémy Boganda.
Le 1er décembre 1958 Radio Bangui est inaugurée et la première chanson diffusée sur les ondes de la nouvelle République est Mo Gbi de Prosper Mayélé et Rodolphe Békpa.
En 1959 Jean Magalet chante Ga Djoni, une métaphore sur le rapport de domination colon et colonisé qui préfigure l'Indépendance. La même année le groupe Tropical jazz est rebaptisé Centrafrican band D'autres orchestres se forment: le Rocka Fiesta de Charlie Perrière en 1961, le Vibro succès de Rodolphe Békpa en 1963 ou encore Succès flash de Diable Kombas en 1965 et les Anges noirs d'Elie Lémotomo.
En 1967 Georges Ferreira crée Los Négritos, plus tard renommé Makembé. En 1963 le Professeur Marcel Joachim Vomitiendé au pays fonde la première Fanfare Nationale Centrafricaine. 3 ans plus tard après le coup d'état de Bokassa il fonde la première Fanfare militaire.
Les années 70 et l'essor de la musique moderne
A partir de 1970 grâce un émetteur de 100 KWH, installé à Bimbo et fourni par la Chine; Radio Bangui est écoutée au-delà des frontières centrafricaines, au nord du Congo Brazzaville (Dongou, Ifondo, Bétou, Mossaka…) au Zaïre (Zongo, Libènguè, Mbandaka, Ngbadolité, Guéména…) ainsi qu'au sud du Tchad.
En 1970, également Dominique Eboma est l’un des fondateurs de Comando Jazz avec lequel il chante en yakoma et en sango. Ce groupe militaire est étroitement lié au régime du dictateur Jean Bedel Bokassa.
A cette période le nombre de groupes explose: Echo 70, Super Elégance, Vox Négra, Vox Amical, Négro Louamé, Super Nzénzé, Vibro Jazz, Flash Vaqueros, Super Commando Jazz, Musiki, Ngombéka, Léngué Léngué Sentimental, Super Bazombi, Africa Lokombé, Zo Kwè Zo…
Malheureusement faute de moyens, le secteur privé étant inexistant et la promotion étatique très limitée les groupes disparaissent les uns après les autres. Jusqu'à son décès en 1995 Thierry Yézo est le guitariste soliste et arrangeur du Formidable Musiki, groupe de rumba centrafricaine formé en 1974 à l'hôtel Safari de Bangui. Pour pallier l'absence de studio d’enregistrement à Bangui il monte une petite unité de production locale.
Le groupe banguissois s'est difficilement maintenu après la disparition de son fondateur. Le règne fugace de Bokassa 1er empereur autoproclamé à partir de 1976 s'achève en 1979 avec l'opération Caban pilotée par la France de Giscard d'Estaing. En octobre le Canard Enchaîné sort la fameuse affaire des diamants.
Les années 80-90
Dans les années 80 après le passage éclair au pouvoir jusqu'en 1981 de David Dacko le pays est plongé à nouveau dans une dictature de 10 ans du général André Kolingba.
C'est le temps du « comité militaire de redressement national » Un nombre imprtant d’artistes centrafricains émigrent en France pour poursuivre leur carrière.
Baba Bhy Ghao le Papa Wemba centrafricain, Sultan Zembellat, Etty Pacheco, Frédéric Yvon Kangala, BB Matou, Laskin Ngomatéké, Faustino, Saladin, et les Canons Stars sont de ceux là.
Il convient de parler de Léa Lignanzi, le neveu de Baba Bhy Ghao, et de son tube Dédé Priscilla. Après des débuts en 1976, avec le groupe Makémbé, il part au Nigéria et au Ghana où il enregistre un 33 tours à Kumasi sous le nom de trio Bhydoli pour Bhy-Gao, Domingo Salsero et Lignanzi.
Puis en 1980 il part à Abidjan, plaque tournante musicale de l'Afrique de l'Ouest.
Il y chante avec son oncle dans l'Africa All Stars, l’orchestre fondé par le célèbre chanteur congolais Sam Mangwana jusqu'à la dissolution du groupe un an plus tard.
En 1982, sort Dédé Priscilla un album qui est tout de suite un grand succès africain.
Le soukouss à la saveur centrafricaine de Lea Lignanzi a même été repris par le chanteur dominicain Juan Luis Guerra, qui en a fait une interprétation merengue en espagnol!
Canon Stars de Bangui
Le Zaiko Langa Langa centrafricain est fondé le 22 novembre 1982 par des ex-membres de Makembé. Après l'expulsion du chanteur Bovic Gazouléma de Makembé d'autres membres Naïmo, Emmanuelas, Placidie, Manacé, Aby, Mombanza et Karawa le suivent par solidarité.
Le premier concert qui fait apparaître un style nouveau a lieu au dancing ABC, dans le quartier animé de KM5 de Bangui.
Le groupe a immortalisé ce quartier dans une chanson. Les premiers succès du groupe sont Sanza et Lita.
En 1987 le groupe s'exporte au Cameroun et au Tchad où ils rejouent en 1988 et 1992.
Le groupe voyage en France en 1989 et en 1991 dans le cadre d’une tournée européenne. Dans les années 90 les guitaristes Mombaza et Karawa quittent le groupe.
Depuis 1998 la formation s’installe en France et compte a son actif deux albums produits par Jean-PierreAdoum : Sacandale en 2001 et 6ème Sens en 2003 distribué par Next Music.
Le chanteur Bovic Gazouléma décède en 2000 en France. Aby N’gomatéké, chef d’orchestre et manager de Canon Stars mène le bateau tant bien que mal.
Aujourd'hui Max Gazouléma qui a repris le flambeau essaie de prolonger l'aventure Canon Stars avec de jeunes musiciens centrafricains.
Le phénomène JMC Quartier libre
En 2000 l'arrivée du JMC Quartier Libre de Bangui apporte un souffle différent. JMC pour Jeunes musiciens centrafricains. Les jeunes centrafricains délaissent la vieille rumba pour le ndombolo à la Koffi Olomidé et Werrason.
Mandanda et Baba ont quitté un Formidable Muziki vieillissant pour créer ce groupe. Ce groupe qui incarne les nouvelles tendances de la jeunesse a fait plusieurs albums produits par Jean Pierre Adoum à Douala au Cameroun.
Conclusion
Malgré le dynamisme de lieux de vie comme l'Espace Linga Téré de Vincent Mambachaka au quartier Galabdja de Bangui la production culturelle centrafricaine souffre toujours de l'instabilité politique.
La Troisième guerre civile centrafricaine de 2013 à 2014 n'a pas arrangé les choses. Aujourd'hui encore les artistes centrafricains tirent leur épingle du jeu principalement à l'étranger, au Cameroun, au Congo, en France ou au Canada...
Sources:
Maziki : http://maziki.fr/
Le site du musicien Sultan Zembellat, auteur du succès « Mea culpa » en 1984 et décédé en 2010
Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:Musique_centrafricaine
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