Neila Tazi : « La gratuité ne peut pas être une solution durable pour les artistes »
Créé en 1997, le festival Gnaoua et Musiques du monde se tient à Essaouira au Maroc au début de chaque été avec des milliers de spectateurs attirés par ce spectacle unique très impressionnant où les grands maîtres (maâlems) jouent la musique mystique et sacrée des Gnaouas.
À la tête de la manifestation depuis un quart de siècle, Neila Tazi, cette femme culturellement engagée, réussit crescendo le rayonnement de son événement à l’international. Pour l’édition 2022 (3-24 juin), elle fait rencontrer les maâlems et leurs invités dans 4 villes du pays : Essaouira, Marrakech, Rabat et Casablanca. Cette année, pour faire face aux restriction sanitaires Le Gnaoua Festival Tour déloge le format traditionnel du Festival, mais « pas pour longtemps », assure-t-elle. Elle est également présidente de la Fédération marocaine des industries culturelles et créatives. Rencontre.
Comment s’est opéré le passage du Festival au Tour ? La pandémie a-t-elle donné à réfléchir ?
Les conditions sanitaires en vigueur aujourd’hui au Maroc ne nous permettent pas de réunir autant de monde pour des concerts gratuits. Dès que ce sera possible, le Festival Gnaoua et Musiques du Monde reviendra à Essaouira dans son format habituel. Après deux éditions annulées en 2020 et 2021, nous ne voulions pas d’annulation pour une 3e année consécutive. Nous ne le voulions pas d’autant plus que, depuis décembre 2019, les Gnaoua sont inscrits au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, à la veille de la pandémie du Covid-19 qui a eu des conséquences catastrophiques pour le monde des arts et de la culture partout à travers le monde.
Dans le communiqué accompagnant l’annonce des dates et des lieux, il est question de « l’inclusion des artistes et de tous les professionnels des industries créatives et culturelles ». Comment arrive-t-on à concrétiser un tel projet ?
Les professionnels du secteur des industries culturelles et créatives ont été paralysés pendant plus de deux ans. C’est un des secteurs qui a le plus souffert. Mais la volonté est toujours là pour continuer, solidaires avec les professionnels, déterminés à émettre un signal positif quant à une reprise pour relancer la dynamique et reprendre espoir.
La gratuité des spectacles et du produit culturel est belle, mais est-elle constructive ?
La gratuité était une nécessité il y a 25 ans car, nous voulions démocratiser l’accès à la culture, démontrer à quel point celle-ci est nécessaire pour l’épanouissement de la jeunesse, le développement socio-économique et le rayonnement d’un territoire. Mais cette gratuité est un immense défi à relever parce que la culture, comme tout le reste, a un coût. Les villes qui veulent abriter des événements de qualité doivent se donner les moyens de le faire, et encore plus si la gratuité est un choix stratégique.
Lors de cette tournée, les concerts ne seront pas gratuits, car les jauges autorisées sont limitées en raison des restrictions sanitaires. Dès lors que les espaces sont limitées, les modalités d’accès doivent être définies, et cela, pour des raisons évidentes de sécurité et de gestion des flux. C’est une expérience différente qui apportera ses enseignements sachant que le concept de la tournée payante a déjà été réalisé à Paris, New York et Washington, des villes où les mélomanes ont l’habitude d’acheter des billets pour des spectacles. Et c’est aussi cela qui en fait des capitales culturelles au rayonnement mondial. Le produit culturel a un coût et la gratuité ne peut pas être une solution durable pour les artistes et les professionnels qui doivent vivre de leur production.
Et Yerma dans cette histoire ?
Yerma est une Association que nous avons créée en 2009 pour œuvrer à la préservation du patrimoine gnaoui et améliorer le statut des Gnaoua.
Après 10 ans de plaidoyer, avec le soutien du ministère de la Culture, nous avons réussi à inscrire les Gnaoua au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco en décembre 2019. C’est un rêve improbable que nous avons pu réaliser, et c’est aujourd’hui un nouveau chapitre de cette belle histoire des Gnaoua qui continue de s’écrire chaque jour. Cette culture doit être préservée et promue encore bien plus qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Vous trouverez plus d’information sur le programme de cette édition 2022, sur la page Facebook du Festival ou leur site internet.
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