Nix ou rien !
Il est difficile de juger un artiste contemporain car nous manquons de recul. Pourtant, je me suis efforcé de mettre ici, en exergue, une perspective de la trajectoire artistique du rappeur sénégalais Nicolas Oumar Diop alias Nix*.
Nix a toujours été en marge du rap sénégalais. Premièrement, à cause du Français qu'il a longtemps utilisé pour rapper. Deuxièmement, issu des quartiers aisés de Dakar, il semblait être là, juste pour l'amour des mots, pour la beauté du geste, si je puis dire, tandis que l'écrasante majorité paraissait, elle, mue par une brûlante envie de révolution à travers sa musique.
La seule chose qui lie Nix à ses collègues rappeurs, c'est peut-être la passion du rap, mais leurs buts et leur matériau s'opposent irrémédiablement.
Le rap sénégalais étant par essence un art engagé, pour cette raison, il a toujours été cet artiste brillant et respecté mais jamais très populaire.
Il apparaît plus comme un bohémien de l'art qu'un activiste. Il ne viendrait pas, je crois, à l'idée de Nix de faire partie du collectif Y en a marre, par exemple.
Néanmoins, s'il est évident qu'on ne peut pas juger le groupe Keur Gui et sa musique sans son côté activiste. Il est clair aussi qu'on peut juger Nix, uniquement, sur sa musique nonobstant son « inactivisme ».
D'autant plus comme le disait récemment, le rappeur gabonais Ba'Ponga : « On peut s'engager pour autre chose ».
Si on prend Nix pour juste ce qu'il est, c'est-à-dire un artiste, une conclusion s'impose : c'est un génie de la musique rap. Un vrai talent et un esprit brillant, dont l'écriture et « le rap sec » ont séduit tous les amoureux du bon son et des belles-lettres.
De ses débuts avec les Kantiolis jusqu'au Nix en solo, la carrière du rappeur ne s'est pas écrite en dents de scie. Il a constamment évolué, avec une capacité vérifiée à se renouveler et à s'adapter sans se trahir.
Certains de ses textes ont sûrement leur place au panthéon du rap sénégalais. Son tube « Tout c' que j'ai » inclus dans l'album Black Crystal (2003), est un classique... en français, du rap Djollof.
« Rêve africain » ainsi que le clip qui l'a accompagné, sont des chefs-d'œuvre. Rarement on a vu un tel raffinement et une telle profondeur dans un seul et même texte.
Le morceau peut se voir comme « engagé », mais il est plus « conscient » que porté. L'esthétique pure l'emporte. On est séduit par tant de dextérité dans un processus de création dépourvu de parti pris, seule la vérité, l'art, importe.
Tout au long de sa carrière, le côté bling-bling de Nix s'est aussi exprimé. Cette période moins intéressante artistiquement s'est traduite par une production prolifique et des vidéos esthétiquement appréciables mais moins marquantes.
« Zik de Gentelman » (2010) et d'autres comme « Fête-Art Music » (2015), « Dieulinaala » (2016) « La Boca » (2017) malgré de belles musiques et de magnifiques vidéos sont comme ces histoires d'une nuit, c'est peut-être sympa, mais il est interdit d'y succomber.
En dépit de nombreux prix récoltés grâce à ses clips, la plupart des vidéos de Nix recèlent pourtant un défaut commun : l'esthétique prime parfois sur le sens.
Ces dernières années, Nix s'est mis à rapper en Wolof, intégralement. Les titres « Badou meune lepp », « Talouniou Fo » (album, Excuse my Wolof, 2016) témoignent de son envie de montrer que contrairement à une idée répandue, il sait user de la langue nationale. Il y a eu des tentatives précédentes avec « Nio Farr », mais l'intention est maintenant clairement affichée.
Les références à des héros populaires du théâtre sénégalais (Badou meune lepp) sont des revendications vaines, non nécessaires de son identité.
Parce que d'abord ça marche moyennement, ensuite ça ne fait qu'accentuer sa particularité. Dans sa bouche, ça sonne presque exotique ; il y a de quoi s'excuser. Et enfin, quel artiste voudrait faire comme tout le monde ?
Le talent de Nix, c'est sa parfaite maîtrise de la langue française, ses qualités de lyriciste, sa connaissance des codes du hip-hop ainsi que sa culture générale : Il sait utiliser le bon beat, le bon mot et la rime parfaite dans des contextes qui se révelent toujours surprenants et géniaux.
Je disais au début qu'il a toujours été en marge du rap sénégalais, mais être à la lisière ne le dessert pas. Au contraire, ça le rend remarquable, unique. Nul besoin de faire comme les autres. Son « inactivisme », son flow, ses textes toujours bien écrits font toute sa force.
Nix n'est pas seulement un rappeur local, c'est un rappeur universel. Quand il parle de la vie, de l'Afrique, de la jeunesse, de l'amour, des femmes, il touche tout le monde, parce qu'il le dit toujours bien ; avec intelligence et à propos.
Ses mots résonnent au-delà de sa sphère culturelle comme ceux d'un grand écrivain qui a su trouver les mots justes.
Peut-être, Nix ne semble pas en phase avec cette citation du premier président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, qui, dans Négritude et humanisme déclarait : « En Afrique noire,« l'art pour l'art » n'existe pas.»
Je suis convaincu que si Senghor avait pu entendre Nix rapper, il serait séduit par tant de beauté dans sa poésie urbaine.
Et probablement, il aurait exigé qu'on passe du Nix le plus souvent à la radio. Possiblement, il décréterait, que pour certaines tranches horaires, ce serait du Nix ou rien !
* Dans le parlé Wolof moderne, urbain, Nix peut aussi signifier ; rien.
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