Sénégal : les fils et filles de... dans la musique
En Afrique c'est connu, la musique est d'abord une histoire de famille. En effet les griots étaient déjà, dans la tradition africaine, les conteurs, les musiciens, et cela de père en fils. On se souvient tous comment se présentait le griot Mamadou Kouyaté dans le roman de Djibril Tamsir Niane, Soundjata Keita ou l'épopée Mandingue : « Je suis griot. C'est moi, Djeli Mamadou Kouyaté, fils de Bintou Kouyaté et de Djeli Kedian Kouyaté, maître dans l'art de parler. Depuis des temps immémoriaux les Kouyaté sont au service des princes Kéita du Manding : nous sommes les sacs à parole, nous sommes les sacs qui renferment des secrets plusieurs fois séculaires. L'Art de parler n'a pas de secret pour nous ; sans nous les noms des rois tomberaient dans l'oubli, nous sommes la mémoire des hommes ». Cette tradition reste encore vivante dans la société sénégalaise, notoirement dans le domaine musical où beaucoup d’artistes reconnus voient leur progéniture leur emboiter le pas. Zoom sur "ces fils et filles de..." dans la musique sénégalaise.
Wally Ballago Seck
Le plus populaire d'entre "les fils de... " est sans nul doute Wally Seck, le fils de Thione Ballago Seck. Il est actuellement l'un des chanteurs les plus célèbres du Sénégal, grâce à sa musique, bien sûr, mais aussi et surtout pour son goût prononcé de la mode et du buzz. Il fait quotidiennement la Une des journaux pour toutes sortes de raisons, et il joue dans les plus grandes salles du pays à guichet fermé. Il existe vraiment un phénomène "walymania". Venu dans la musique il y a peu, après une tentative avortée de carrière de footballeur en Europe, et seulement après trois albums, Waly est d’ores et déjà le chouchou des jeunes filles.
Malgré les déboires de son pater, arrêté puis libéré provisoirement pour une folle et sombre histoire de faux billets, le jeune Seck continue de surfer sur la vague d'un succès qui semble inarrêtable ; ses détracteurs disent de lui qu'il chante faux, mais Wally lui est intimement convaincu qu'il a la musique dans le sang, parce que digne fils de son père. Et, après avoir conquis le Sénégal, Wally s'apprête à conquérir l'Europe : il sera bientôt en concert à Bercy (Paris), et il veut, cette fois-ci, marquer cette date d'une pierre blanche ; il a ainsi fait de Youssou N'Dour, le roi du M'Balakh, son parrain pour ce grand événement.
Comme si le jeune Seck cherchait à être adoubé par Youssou, et à se faire légitimer par le roi… Wally veut-il faire de son Bercy un moment symbolique de sa carrière, une sorte de relais ? Mais, Youssou acceptera-t-il de lui passer le témoin ? Parce qu’on le sait, à un moment de l'histoire de la musique sénégalaise, Youssou N'Dour fut un des plus grands rivaux de Thione Seck, et il lui a toujours fait de l'ombre... Youssou N'Dour donc sera-t-il aujourd’hui assez magnanime et grand seigneur pour offrir au fils, ce qu'il a toujours refusé au père ? Le temps nous édifiera...
Adiouza
Parmi les enfants qui marchent sur les traces de Papa, on citera aussi Adji Kane Diallo, de son nom d'artiste Adiouza. Ce pseudonyme est un clin d'œil à son père, Ouza Diallo, contraction de leurs deux prénoms. Là, il est évident que la bénédiction paternelle est acquise : la carrière de la fille apparait comme une continuité de celle du père, bien que ce dernier vienne de sortir récemment un single titré Séries Blanches.
Si, chez les Diallo, le talent se transmet de génération en génération, la figure de proue familiale est, à ce jour, Adiouza, acclamée par la critique et le public dès son premier album, Maadou, qui lui vaudra d’être nommée Révélation féminine de l’année 2008 au Sénégal. Il est à noter que, pour respecter les vœux de son père qui voulait qu'elle étudie, Adiouza a suivi un enseignement en Ethnomusicologie à Paris avant d'embrasser cette carrière musicale qui lui vaut beaucoup de succès. Elle a en effet aussi reçu deux distinctions « Révélation & Meilleure artiste féminin » au Sunu Awards 2010 et a, tout récemment, été nominée aux Kora Awards 2016 qui auront lieu en Namibie.
Ouza, le père, est connu comme un vrai découvreur de talent au Sénégal où il a fait connaitre nombre de chanteuses, et c'est tout naturellement qu'il chaperonne sa fille vers les lumières du succès. Mais, taxé d’être un révolutionnaire, il a connu bien des problèmes durant sa carrière. La fille sera-t-elle en mesure de corriger toutes les injustices subies par le père ?
Mara Seck
Mara Seck, lui, est le fils du regretté Alla Seck, célèbre danseur et parolier de Super Etoile, très tôt disparu. Ce jeune médinois, issu d’une grande famille de griots de Dakar, qui a appris à jouer et à danser dès son plus jeune âge, compte aussi faire revivre la légende paternelle. Il le dit lui-même : « Incontestablement mon père que j’ai connu uniquement à travers la musique, les rétros de Super Etoile, les quelques vidéos que nous avons pu recueillir sur des lives au Stade de Dakar en 1985, le live de Bercy en 1986 avec Jacques Higelin… m’inspire beaucoup et ce, tout le temps ».
Son premier album, sorti le 04 mai 2015, titré Hommage à Alla Seck, renseigne assez sur cette volonté de ressusciter cet artiste génial, compagnon de première heure de Youssou N'Dour. Mara explique les raisons du titre de son album : « J’ai tenu avant toute chose à rendre hommage à mon père qui s’inscrit comme un véritable patrimoine culturel du Sénégal et tend malheureusement à être oublier de la jeune génération."
Et s’il a aussi mis en place son propre orchestre dénommé « Groupe Seck Alla », rappelons que pour mener à bien sa carrière qui débute à peine, Mara est épaulé par le Label Kaani. Ainsi, Camille Lomey, la responsable du label nous a expliqué que l'un de ses projets les plus importants était la réhabilitation de la mémoire de feu Alla Seck. C'est pourquoi, le 1er mars dernier, elle postait ce statut sur sa page Facebook : « Youssou N'dour va organiser un Hommage à Ali Farka Touré à Dakar pour les 10 ans de sa mort... en espérant qu'il en fera autant pour les 30 ans de la mort d'Alla Seck en 2017 ». La phrase est véritablement un raccourci, mais démontre à souhait la volonté farouche du label Kaani de faire revivre cet immense artiste.
Assurément, nos trois exemples ne sont que symboliques car on peut facilement citer une dizaine de « fils et de filles de » dans le milieu de la musique au Sénégal. Mais on le voit bien, ces héritiers, sur les traces paternelles, sont véritablement en passe de prendre les devants de la scène, certains aidés en cela par leurs propres pères.
Cependant, il est surtout intéressant de constater que tous ces « fils et filles de » ne rêvent bien entendu que d'être calife à la place du Calife, en d'autres termes prendre la place de Youssou, (qui lui curieusement, n'a pas de fils chanteur). Or, ce qui serait, pour beaucoup, une douce "vengeance" - car Youssou s'est toujours imposé devant leur géniteur - et d'autant plus cocasse que tous ces jeunes chanteurs affirment haut et fort aimer Youssou N'Dour comme leur père ; d'ailleurs ils l'appellent presque tous "Papa". Bref, une situation bien œdipienne, sous le chaud soleil du Sénégal !
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