Sénégal : 5 questions à Seckou Keïta
Fils de la Casamance, région du Sud du Sénégal, Seckou Keïta a baigné dans son enfance dans les musiques mandingues, avant d'aller à la conquête du monde avec sa kora. L'artiste sénégalais que nous avons joint depuis Londres (Angleterre) où il est installé, est revenu sur sa belle année 2019, marquée par de belles productions et distinctions.
Bonjour Seckou. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Bonjour Jean, je suis Seckou Keïta, compositeur, arrangeur, interprète et producteur.
J'appartiens à une lignée royale, celle de Soundjata Keïta (13e siècle) dont est issu mon père. Ma mère elle était une Cissokho, une caste réputée de griots pour qui la kora, les percussions et les balafons n'ont pas de secret. Je suis né à Ziguinchor, au coeur de la Casamance.
Mon parcours est un vrai paradoxe, lié à mon métissage culturel. Fils de noble, mais aussi de griot, j'ai choisi de chanter, alors qu'il est strictement défendu aux descendants de familles royales de pratiquer ce métier.
À 13 ans, coaché par mon grand-père, j'ai fabriqué ma propre kora et dès 14 ans j'ai commencé à interpréter des chansons traditionnelles.
Pour vivre ma passion musicale, j'ai arrêté les études et j'ai commencé à voyager, en Norvège d'abord, puis en Inde et finalement en Angleterre où je suis établi depuis 22 ans maintenant.
Je compte 9 albums internationaux dont quelqus-uns ont figuré dans le top des écoutes sur des plateformes comme iTunes. La moitié de ces opus a été produite par moi-même.
Comme je vous l'ai dit plus haut, je suis établi à Londres, mais je passe une partie de mon année au Sénégal, mon pays.
Comment définis-tu ta musique ?
Une belle locution anglaise m'aide à définir mon style, « music for the soul ». Ma création ne se cantonne pas à un genre en particulier, mais elle émane de mon coeur pour atteindre des âmes. En cela, elle est une musique qui se veut spirituelle.
Le fil conducteur de mes créations, c'est ma curiosité. J'aime voyager à travers les genres, découvrir les similitudes et les différences entre eux, expérimenter de nouvelles sonorités.
Ainsi, je propose parfois de la musique traditionnelle africaine, du classique européen avec ma collègue la harpiste galloise Catrin Finch, du jazz avec le pianiste cubain Omar Sosa, et une musique plus hybride et curieuse sur le projet AKA Trio.
J'aime partager, rencontrer, m'associer à des gens, à un Indien par exemple, un Asiatique, un Européen, un Africain, qu'importe, pourvu que ce qui en naisse saisisse l'âme.
L’an dernier, tu as donné 115 concerts autour du globe. Qu’est ce qui t’a le plus marqué lors de ce long voyage ?
Difficile de se souvenir de tout ce qui s'est passé au long de ces 115 voyages. Tant d'avions, de bateaux et d'itinéraires empruntés ; l'année s'est voulue intense et je n'ai pas eu de répis.
Mais il y a forcément eu des moments forts, comme ce concert à guichets fermés que je suis allé donner aux États-Unis avec Omar Sosa, qui a été précédé d'un drôle de plan business que je n'avais encore jamais connu, le Meet and Greet.
Il s'agit d'une fan experience moyennant 70 à 100 dollars, qui permet aux spectateurs de venir saluer les artistes et faire des selfies avec eux 30 minutes avant leur montée sur scène.
J'ai également été marqué par un récent concert en Tunisie, un pays d'une richesse culturelle immense, que j'ai découvert avec une grande fascination. Il faut dire qu'il y fait bon vivre, comme dans toute l'Afrique d'ailleurs.
Entre autres souvenirs mémorables, un concert à Ottawa (Canada) en plein hiver, où malgré des conditions météo difficiles, une forte représentation de la diaspora Est et Centre-africaine est venue me soutenir dans une immense salle de spectacle.
J'ai également joué en solo dans la salle de la philarmonie de Hamburg (Allemagne); un endroit magique, sans doute parmi les meilleures salles de spectacle de toute l'Europe. Je dois d'ailleurs y retourner, pour un nouveau concert solo.
Aux États-Unis, je me suis également produit dans un musée dédié aux instruments de musique du monde. En parcourant les galeries du site, j'ai vu nos instruments d'Afrique et j'ai senti la présence de nos ancêtres. Ce jour-là, pour la toute première fois de ma carrière, j'ai pleuré sur scène.
2019 a été une année de consécration pour toi, car tu as reçu deux distinctions de prestige chez les médias britanniques BBC et Songlines. Voudrais-tu nous en parler ?
2019 a été, comme tu le dis, une année de consécration pour moi. Chez BBC, j'ai reçu 2 trophées. Le plus marquant, a été celui de l'artiste de l'année pour la BBC 2 Folk Award.
Cette distinction m'a particulièrement touché parce qu'elle consacrait ma contribution sur la scène britannique, soit 22 ans de création, de spectacle et de collaborations, d'enseignement musical dans des universités et écoles anglaises. Qui plus est, c'était une première dans l'histoire pour un artiste africain noir de remporter la distinction. J'ai également reçu le prix du duo de l'année, avec la talentueuse harpiste galloise Catrin Finch.
Chez Songlines, mon album Soar, que j'ai moi-même produit, a été désigné album fusion de l'année. Catrin avec qui je travaillais, a été touchée par un cancer du sein et cela a affecté la production du disque ; je devais travailler tout seul alors que les gens s'étaient habitués à nos créations en duo.
Ces beaux trophées reçus, je les dédie à mon Sénégal, ainsi qu'à ma mère et mon oncle qui m'ont quitté trop tôt.
Ton nouveau single « Am am » est disponible depuis quelques jours. Quelle est l’histoire de cette belle création ?
« Am am » est une expression wolof, la langue nationale sénégalaise, qui désigne « la propriété ». Il n'est pas question dans cette œuvre d'un bien meuble ou immeuble, mais d'une propriété bien particulière, le coeur, qui est d'une valeur inestimable.
J'ai sorti cette chanson à l'approche de la Saint-Valentin, jour de mon anniversaire, pour interpeller les gens sur la réalité de la vie de couple.
Le 14 février prochain, les gens s'échangeront sûrement des roses, du chocolat, de beaux cadeaux, dans une ambiance très glamour, mais se poseront-ils cette question capitale : s'aime-t-on vraiment ?
« Am am » s'inspire de l'histoire de tous ceux de mon entourage, hommes ou femmes, qui ont eu le coeur brisé et broyé par la déception.
La chanson consacre aussi le pouvoir de la nature, qui est une véritable panacée. Le personnage central du clip, dépité et dégoûté après une séparation brutale avec sa conjointe, trouve le réconfort dans la beauté de la verdure casamançaise.
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