Kotto Boy : le crépuscule d’un fauve
Entre l'exubérance d’un mage et la dignité d’un conteur. Jamais au centre, toujours aux extrêmes modérés, le camerounais Kotto Boy sort Kotto Boy, un EP de 13 minutes aux harmonies poétiques, dont le contenu a été mis en lumière le 16 Aout 2024.
La somptuosité de la sonorité du musicien camerounais, son sens des couleurs, son attention au moindre détail trouve en « Na Tondi Oa » (Je t’aime en langue Duala) un terrain particulièrement favorable. Accoustique et rêveur, il laisse entrevoir un talent brut, qui se polira dans le temps. Violon et guitare, il ouvre son disque par un pamphlet flatteur en instrument-voix, pour séduire, et attirer ainsi l’attention du mélomane.
La montée vers l’acmé d’« Ewodi » laisse entendre une des techniques les plus fluides de l’arrangement contemporain inspiré du makossa dit love, qui trouve ses sources chez François Misse Ngoh, Geo Masso, Epee & Koum ou encore Petit-Pays, des légendes camerounaises de la musique. Dans cette piste, des basses lumineuses et lentes semblent vouloir engloutir le décor phonographique dansant. Tout au long des notes, une guitare enjouée accompagnée pour la circonstance d’une voix bien connue Asaba.
Kotto Boy est un défenseur inlassable de la musique camerounaise principalement du makossa. Pièce extravertie « Oipanga Ba », retenue en dépit de son épisode central plus tourmenté, et dans laquelle il perçoit des reflets wagnériens, qu’il met en valeur via une belle rythmique, dont l’identité remarquable se trouve au sein des percussions.
En outre « I Do » est de ces pièces qui doivent être traitées avec le même sérieux qu’un chef-d’œuvre, sous peine de tomber dans le sentimentalisme, voire la trivialité. Impensable ici : Kotto Boy lui confère à la fois rigueur et noblesse, au fil d’une lecture habitée, tout en phrasés nuancés et organiques. Et qui ouvre les bras à cette paix intérieure que le titre appelle. Le lyrisme insufflé à ce titre en featuring avec son mentor Mr Léo, nous préparait au voyage fascinant qu’a ensuite été « Welisane Mba » (accepte-moi en langue Duala, titre co-écrit par l’artiste & Dimodi Din)
Le compositeur a été bien formé et il connaît bien la philosophie de son œuvre, le mélange de douceur, d’intériorité, d’harmonie poétique, atteint une profondeur singulière. Les tempos sont larges, en particulier celui de cette dernière composition, imprégné de mélancolie, de couleurs automnales, qu’un lien très étroit unit ensuite à une étrange ambiance déjantée. Mais ce temps généreux accordé au pas phonographique, donne une force singulière au traitement du détail, à l’échelle et à l’agencement précis des contrastes. On a rarement entendu chaque phrase, chaque figure, jouée avec une telle netteté de dessin, conséquente jusqu’à la dernière note, les moindres passages en pizzicatos, contre-chants, et un confort d’écoute optimal dont j’apprécie.
Kotto Boy avec ses 5 titres, transcende les rythmes et la magie du makossa, de la soul, joie et mélancolie mêlées, d’une façon qui rappelle les artifices d’un talent qui ne demande qu’à être plus encore exprimé.
Chaque pupitre de ce mini-album, le suit avec une concentration et une discipline sonore et expressive (la guitare, les cuivres, les percussions, le violon) donnant à tout instant le sentiment d’entendre la projection mentale exacte de ce que voulait le chanteur. Avec une texture dense mais aérée, un lyrisme intense mais délié, telle une respiration immense et continue. L’échelle dynamique, les contrastes peuvent être impressionnants, le son ne quitte jamais les rives de cette douceur source de sens profond, de mystère. Une interprétation d’une plénitude saisissante, que seuls sans doute l’expérience accumulée et le regard rétrospectif autorisent au soir de la vie. Un EP qui porte son nom d'artiste, tout un symbole !
Artiste : Kotto Boy
Titre : Welisane Mba
Année / Label : 2024 / Lionz Muzik
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