Le Congo Brazzaville, pays qui vit la sape au rythme de sa musique
Par Hervé Brice Mampouya
Bien s’habiller et porter des vêtements chics ont toujours caractérisé les Congolais toujours avides de paraitre avec les fringues à la mode pour frimer et susciter l’admiration de l’entourage. La Société des Ambianceurs et Personnes Elégantes (Sape) qui unit tous les amoureux de la mode, est devenue un label au Congo Brazzaville, à défaut d’être un signe identitaire des Congolais.
La sape à travers les âges
L’histoire de la sape est née à la fin des années 1945 avec les anciens combattants revenus triomphalement de la grande guerre en arborant qui une redingote, qui un pantalon juste-au-corps, qui une chaussure années 30 etc… Mais son apogée, elle ne la connaitra que 20 ans plus tard avec le retour des élites congolaises en formation en Occident qui portaient les griffes de l’époque : Pierre Cardin, Yves Saint Laurent, Christian Dior, Valentino Ouomo etc., pour se faire voir au bar Faignond, à Macedo bar et autres lieux branchés.
1980 est sans conteste la grande année de la sape au Congo avec la nouvelle race des sapeurs débarquant avec à leur tête Jack Tabazo. Sur place émerge aussi une autre race emmenée par Mayembo de base. C’est l’époque de la tchatche encore appelé Nkelo car désormais les vêtements, il faut savoir les défendre avec son verbe. Le phénomène des « défis » chez les jeunes bat son plein. C’est une sorte de concours de la mode avec le public comme jury. Ce phénomène engendre un autre épiphénomène « la mine » c’est-à-dire emprunter les habits à autrui et flâner avec. Le Bar Lundi au marché Commission à Bacongo ne désemplit pas. C’est là où se passe la proclamation des meilleurs sapeurs à travers les parades vestimentaires arbitrées par le public connaisseur de ce quartier réputé le plus chaud en matière de sape.
Dans les années 1990, la sape au Congo, a déjà fait des émules à l’étranger, classant le pays comme le carrefour de l’habilement. Cette période voit aussi naitre le phénomène « Romario », en témoignage aux exploits du célèbre attaquant brésilien. De son vrai nom Jean, « Romario », jeune à l’allure frêle crée le scandale à chacune de ses sorties pendant plus de deux mois à Brazzaville. Tout le monde le redoute, et certains sapeurs n’hésitent pas à détaler de peur de se faire ridiculiser par lui et ses suiveurs, tous habillés en costumes estampillés Romario. Au Bar la Main Bleue, au stade Yougos, tous ne jurent que par Romario, la terreur des Parisiens et des sapeurs à qui plus tard on retirera le passeport en guise de sanction pour trouble à l’ordre public !
En 1994, le premier concours de la sape est organisé au Bar Baba Boum Palladium à Bacongo. Akwiss, habitant au quartier Mazala, mitoyen au marché Total de Bacongo est le vainqueur de ce concours qui a réuni une vingtaine de sapeurs en présence de feu Gabriel Matsiona, ministre du tourisme et de l’environnement.
Sape et musique : un mariage de raison
Si la sape n’a pas fait beaucoup de temps pour intégrer les mœurs, le mariage Sape–musique a eu du mal à prendre forme. L’interdiction des orchestres amateurs par les autorités par peur de dépravation de mœurs explique en partie cela mais aussi le départ en exil de certains jeunes musiciens prometteurs de l’époque tels Aurlus Mabélé, Mav Cacharel, Jean Baron…
Fernand Mabala, « Le grand Moumbafouneur » en 1985 avec la sortie de son album Yatama vient incontestablement sortir les musiciens sapeurs de leur torpeur. Julien Cladia, de Viva Mandolina, Jean-Claude Carrisala de Véritable Mandolina, mais aussi Anicet Charmant Rigadin Mavoungou, Chiden de Mbuta seront les autres animateurs du couple sape-musique au Congo.
Rapha Boundzeki a longtemps trainé un statut inclassable. Sapeur, faiseur de sapeurs, sapologue, l’inventeur de la sapologie restera à jamais un homme énigmatique à l’instar de sa vie artistique. Il a longtemps été considéré plus comme un faiseur de sapeurs que comme un sapeur comme en témoigne sa chanson « Retour à la sape » dans laquelle, il chante en featuring avec le célèbre Papa Wemba, longtemps pris en modèle par les jeunes du Congo Brazzaville par son habillement et son timbre vocal.
À l’étranger, c’est Aurlus Mabélé qui fait un tabac comme chanteur-sapeur. Ses shows à dominance Soukouss sont aussi des parades vestimentaires. Quand au mannequin Joe Ballard, il a bien voulu être le porte étendard des musiciens sapeurs congolais à l’étranger mais il n' a pas eu la même auréole en musique qu’en mannequinat. Dans tous les cas, au Congo, la Sape a toujours été une question de culture avec des grands noms qui sont à jamais entrés dans l’histoire : Francos, Ngoma Le mome, Maleba Gondet, Ngoma Marron, Jean Louis Monékolo, Freddy Ibara, Alain Nono Ngando, Lhoni Serges, Nick Mounh, Léandre Moumpala, Michel Mahoungou, Bissemo le Grand, Sylvain Myassi, Abel Massengo, Parisien Kiboba… Des noms souvent mis en valeur par les musiciens dont nombreux sont redevables pour leurs précieux conseils.
Informel à ses débuts, la sape se donne aujourd’hui un cadre réglementaire avec la création de l’Association des sapeurs du Congo (ASC) à Brazzaville qui a pour président d’honneur le ministre à la présidence chargé des zones économiques spéciales Alain Akouala Atipault. Dans la lancée, des antennes départementales sont nées. À Pointe-Noire, Sous-sol Bantsimba, dirige l’association dont les membres se réunissent régulièrement pour discuter de sa bonne marche mais aussi organise des ateliers liés à la Sape tels que : Comment harmoniser les couleurs ? Comment attacher la cravate, comment faire une diartance (la démarche du sapeur…). Un carré de sapeurs est réservé aux sapeurs le 15 Août à chaque défilé lors de la fête de l’indépendance. Ce fut le cas notamment au cinquantenaire de l’indépendance il y a cinq ans avec cette parade mémorable des sapeurs au stade Alphonse Massamba-Débat.
Lors de l’inhumation du célèbre musicien Rapha Boudzeki, le 24 mai 2008 à Brazzaville, tout Brazza a vibré ce jour pourtant de deuil, mais qui s’est transformé en une journée nationale de la sape. Tous les Congolais sont sortis avec leur vêtements dernier cri pour rendre un hommage mérité à Rapha Boundzeki, resté longtemps leur idole tant par la chanson que par son accoutrement vestimentaire atypique. Chez les femmes, la sape a fait aussi des émules, mais à un degré moindre. Jakito wa Mpungu qui a longtemps partagé la vie avec Rapha Boundzeki fit sacrée reine de la sape en 2011 à Pointe-Noire au Stade Tata Loboko.
Aujourd’hui, la sape qui fait honneur au Congo à l’étranger a fécondé un autre néologisme ou congolisme : la sapologie, considérée comme la science qui étudie la sape. Les sapologues sont ses adeptes. À travers des CD et DVD, baptisés les Allures enregistrés pour la plupart en Europe, les Congolais de la diaspora, Norba de Paris et d'autres rivalisent à coups de tchatche parfois heurtés frisant par moment l’injure et la querelle. C’est de bonne guerre car cela crée l’émulation entre eux mais peut paraitre superfétatoire quand on s’attarde à la vie privée d’autrui.
Sources : -Chanson « Retour à la sape » Rapha Boundzeki et Papa Wemba -Jean-Paul Kaba, membre Association des sapeurs de Pointe-Noire -Radio et télévision nationale congolaise -DVD Les Allures
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