La musique live au Cameroun
Par Monique Ngo Mayag
Cette production scénique est très prisée au Cameroun, les mécènes, les producteurs et toute l’industrie du spectacle l’ont adopté pour la promotion des groupes musicaux et indirectement la vente d’albums. Le Cameroun organise régulièrement une série de festivals où le public peut voir de nombreux artistes africains se produire en live.
Contexte d'émergence du spectacle live
La culture du spectacle musical en live a germé des métropoles camerounaises grâce aux cabarets. Journaliste culturel et mélomane averti, Debalois se souvient de la belle époque des cabarets à Douala et Yaoundé, les métropoles économique et politique, entre les années 1970-1980 et début 1990. Sa voix laisse transparaître la nostalgie des nuits de makossa non-stop, un rythme qui a bercé plusieurs générations de Camerounais. «Chaque quartier de Douala avait un orchestre», se rappelle le quinquagénaire. Le cabaret Mermoz bar a ainsi gardé l’empreinte du groupe dénommé Black Styl et de ses cinq talentueux musiciens, parmi lesquels le guitariste Toto Guillaume, les chanteurs François Nkotti et Emile Kangue.
Entre 1980 et 1990, les populations de Yaoundé se précipitaient au Chacal bar pour écouter et danser du bikutsi sous les animations du célèbre groupe Les Têtes brulées. Le cabaret Le Carossel a repris le flambeau et depuis belle lurette, sa scène accueille des artistes locaux aux différents styles. Cette culture du live est désormais entretenue par des festivals.
Festivals majeurs à Douala et Yaoundé
Depuis 2004, à chaque fin d’année et sur deux semaines, la foire ‘Yaoundé en fête’ (Ya-Fe) berce des milliers de mélomanes de la capitale au rythme de spectacles live. A l’occasion, le comité d’organisation de Ya-Fe, en partenariat avec la municipalité, aménage un podium au lieu dit Boulevard du 20 mai situé en plein cœur de la cité. Cette scène saisonnière a ainsi vu défiler le saxophoniste Manu Dibango, le bassiste Richard Bona ou encore l’Ivoirien Meiway, pour ne citer que ces ténors de la musique africaine.
La 9ème édition du Ya-Fe est prévue entre le 18 décembre 2014 et le 1er janvier 2015. Durant ce rendez-vous, les instrumentistes nationaux sont très sollicités pour des prestations live sur des rythmes aussi variés que le jazz, le bikutsi, le makossa, le ndombolo congolais, la soul, etc. Pour suivre le pas de Yaoundé et son Ya-Fe, la municipalité de Douala a, elle aussi, lancé le Ba-Doul en 2009. Conçu pour permettre à la capitale économique camerounaise de communier autour de la musique, Ba-Doul a été interrompu depuis 2011 après trois éditions uniquement. En décembre 2009, la scène de Ba-Doul a, entre autres, accueilli Petit Pays, le groupe X Maleya, Queen Eteme, Ekambi Brillant, Medhy Custo etc. L’orchestre était de qualité, pour une série de représentations live majoritairement sponsorisée par un opérateur de téléphonie mobile. Ba-Doul est aujourd’hui en hibernation, tout comme le festival de voix de femmes « Massao », aux oubliettes depuis la clôture de sa 6ème édition, le 8 mars 2010.
La biennale « Massao », exclusivement meublée de prestations en live, a permis de découvrir de grandes voix féminines d’aujourd’hui telles que Kareyce Fotso, Corry Denguemo (ex membre du groupe Macase) ou encore la Gabonaise Annie Flore Batchiellilys. En 2010, de grosses pointures telles que la Gabonaise Patience Dabany et l’Ivoirienne Dobet Gnahoré, en avaient marqué la 6ème édition.
Officiellement, le Massao est interrompu pour des difficultés financières que connait son promoteur, Théophile Mbouma Bissa. Pourtant, en dépit des difficultés à tenir la route d’un festival de musique, certains continuent à se risquer dans cette aventure où le live est à l’honneur. C’est le cas du festival « Le Kolatier », dont la 6ème édition a eu lieu en octobre 2013 à Yaoundé après des débuts difficiles à Douala. C’est aussi le cas du « Festi-bikutsi », qui depuis son lancement en 1998 a régulièrement lieu chaque année à Yaoundé. Il ambitionne de promouvoir les rythmes patrimoniaux dont le bikutsi, venu des peuples des régions du centre du pays.
Sites et promoteurs de scènes live
En sa 14ème édition, en 2012, le Festi-bikutsi a connu 3 grands concerts live, pour 53 artistes musiciens programmés en «In» et 23 en « Off ». «Un festival a essentiellement pour vocation de promouvoir l’art et non d’engranger des bénéfices, explique Léontine Babeni, responsable de la communication du Festi-bikutsi. Pourtant, les professionnels locaux de la production musicale martèlent que le live coûte cher. Et parmi les promoteurs de la scène live au Cameroun, on compte CY Entertainment de Chinois Yangeu qui existe depuis une décennie, Universal production de Sylvain Kom, qui a récemment lancé ses activités avec un spectacle des virtuoses bassistes : Jay Lou Ava et André Manga. On compte également JFT Talla production de Jephté Talla, Real Time Music (RTM) production qui détient la chaîne de radio RTM et la chaîne de télévision LTM Tv, appartenant à la chanteuse Dinaly et son défunt mari Tom Yom’s, célèbre chanteur.
Toutes ces structures essayent de façon sporadique, d’organiser des concerts géants exclusivement en live. Chinois Yangeu, directeur général de Cy Entertainment et producteur des plus grands concerts de musique live au Cameroun, insiste sur les lourdes incidences financières d’un tel exercice : «Il faut en effet de l’argent pour déployer tout un orchestre. Par exemple, pour faire venir le chanteur ivoirien Meiway au Cameroun, il faut budgétiser la prise en charge de ses 15 musiciens et danseurs !» Pour contenter un public exigeant du live, beaucoup de promoteurs comptent sur des sponsors pour drainer des foules.
Le Cameroun compte très peu de salles de spectacle. Aussi, les concerts ont-ils essentiellement lieu en plein air, dans les stades de football ou dans les rares salles grande ou moyenne capacité. En fonction de l’aura des artistes devant se produire, à Douala, les spectacles ont souvent lieu au stade omnisports (35 000 places), à la Place du gouvernement de Bonanjo (près de 30 000 places debout), au parcours Vita (environ 40 000 places debout), au Castel Hall (1000 places assises), au Saint John’s plazza, au quartier résidentiel Bonapriso, dans la salle Douala Bercy (800 places assises). A Yaoundé, les sites prisés sont le stade Omnisports (40 000 places assises), l'esplanade de l'hôtel de ville, le palais des sports (5000 places assises), l’une des salles de l’hôtel Hilton (600 places assises) et le boulevard du 20 mai où a souvent lieu le défilé de la fête nationale du Cameroun, le 20 mai. Hormis ces sites, les salles de spectacle des Instituts français du Cameroun (Ifc) à Douala et Yaoundé abritent de nombreux spectacles live. Elles avoisinent 700 places chacune. A Yaoundé, l’Institut Goethe prête sa scène pour des spectacles live pouvant attirer quelque 400 personnes. Les artistes nationaux sont autant demandés que les vedettes de la musique étrangère en fonction des tubes du moment.
Concept de tournées live
Dans les années 1998, Chinois Yangeu a fait venir de nombreux artistes ivoiriens du temps où le rythme Coupé Décalé avait le vent en poupe à travers le continent. Il a récemment organisé les concerts live, à Douala et Yaoundé, du rappeur français La Fouine et ses 10 musiciens. C’était à l’occasion du KmerFouiny Tour (21 et 23 décembre 2011). Il a invité le chanteur nigérian Flavour et ses 10 musiciens (29 et 31 août 2013). Et pour tous ces concepts, le live est le mot d’ordre. «Avec le live, l’artiste communie véritablement avec son public. Cette option scénique permet au chanteur et aux instrumentistes de modifier et de prolonger la durée d’une chanson», explique Chinois Yangeu. Au final, la prestation live ne semble pas à la portée du premier organisateur de spectacles venu, encore moins de l’artiste-musicien lambda. «C’est pour cette raison que de nombreux chanteurs et musiciens trichent, en optant pour le play-back ou le semi-live», constate Chinois Yangeu. Mais les spectateurs ne sont pas dupes, à voir par leurs réactions dans certains cas.
C’est ainsi que le 20 décembre 2013, à la Place du gouvernement à Douala, le public a boudé le concert organisé pour le concept I-fest, initié par une entreprise de téléphonie mobile. Durant 6 heures de spectacle (de 20h à 2h du matin), les artistes invités, camerounais et étrangers, s’étaient tous produits en play-back : X-Maleya, Stanley Enow, Chidinma, May-D, Museba, 2Face Idibia. De fait, plusieurs artistes locaux redoutent ou refusent de se prêter au play-back ou au semi-live. C’est le cas du groupe Macase, essentiellement composé de musiciens. « En 18 ans d’existence, le groupe ne s’est produit que deux fois en play-back, signale Serge Maboma, leader de ce groupe musical.
Ce dernier confie qu’en 2003 en Afrique du Sud, lors des Kora Awards, cérémonie de récompenses de la musique africaine, les membres du Macase avaient refusé de se produire en play-back. L’événement était diffusé sur plusieurs chaînes de télévision africaines. « Finalement, les membres du comité d’organisation nous ont laissés jouer en live parce qu’ils nous avaient vus à l’œuvre au Congo », se souvient-il. Le live apparaît ainsi comme un gros risque que certains osent prendre.
Liens sites web http://www.le-bema.com/fr/content/sima-2013-du-30-octobre-au-2-novembre-2013-%C3%A0-yaound%C3%A9-cameroun http://www.massao.org/ http://www.ya-fe.com/ http://irondel.org/wp/wp-content/uploads/2013/05/LE-RAPPORT-DU-FESTI-BIKUTSI-2012.pdf https://www.facebook.com/pages/CY-ENTERTAINMENT/408555680430
Comments
Log in or register to post comments