La musique populaire au Zimbabwe
Par Problem Masau
La musique est un langage universel qui unit les peuples. Au Zimbabwe, le paysage musical a constamment évolué au cours des années. Depuis les jours de gloire de la musique chimurenga jusqu'à l'avènement du Zim Dancehall (le nouveau genre qui règne en ce moment), une chose est sûre: la musique a le pouvoir de façonner la nation. Il y a beaucoup de genres musicaux au Zimbabwe, mais ceux qui sont présentés ci-dessous sont les plus populaires.
Chimurenga
Ce genre était célèbre avant et juste après l'indépendance. Chimurenga est un mot shona qui signifie lutte, et les guerres des Zimbabwéens contre le régime colonial sont appelées chimurenga. Avant l'indépendance, les chansons chimurenga étaient chantées pour remonter le moral des combattants de la libération. Après l'indépendance, la musique chimurenga aborde généralement la question des injustices sociales perpétrées par le gouvernement. Ce genre musical a été lancé par Thomas Mapfumo qui habite aujourd'hui aux États-Unis d'Amérique et demeure l'un des meilleurs chanteurs protestataires zimbabwéens. Certains des albums de Thomas Mapfumo ont été interdits sur les stations de radio gouvernementales. Il s'agit de Toi Toi (2004), Rise Up (2006), The Long Walk (2007) et Exile (2010). Depuis son déménagement aux États-Unis d'Amérique il y a plus d'une décennie, Thomas Mapfumo n'est plus retourné au Zimbabwe mais il s'est produit quelquefois en Afrique du Sud voisine.
Parmi les musiciens qui se sont engagés dans la même voie que Thomas Mapfumo, il y a le regretté Pio Farai Macheka et Raymond Majongwe, le militant des droits humains. Malheureusement, la musique de Raymond Majongwe a été interdite sur toutes les stations de radio[i]. En ce moment, Jairos Chabvonga est le musicien de chimurenga qui a le vent en poupe. Chabvonga, qui est à la tête du groupe Ngorimba Afro Fusion, attire des foules considérables à ses concerts[ii].
La musique néo-traditionnelle
La musique traditionnelle du Zimbabwe varie selon les régions du pays. La mbira est synonyme de musique zimbabwéenne traditionnelle et de nombreux artistes contemporains populaires s'en sont inspirés pour créer de nouveaux sons. Mbuya Stella Chiweshe était l'une des premières à le faire. Depuis les années 80, elle a beaucoup de succès sur la scène internationale et va en tournée à travers l'Europe et l'Asie. Cette chanteuse et grande voyageuse est maintenant basée en Allemagne, mais revient de temps en temps se produire au Zimbabwe.
La regrettée Chiwoniso est une autre artiste célèbre qui a connu un succès international avec la mbira. Née aux États-Unis et fille du musicien Dumisani Maraire, Chiwoniso possédait, malgré sa jeunesse, une connaissance approfondie de la culture shona et était une musicienne douée maîtrisant parfaitement la mbira. Cela l'a rendue populaire auprès des fans. Décédée en 2013 à l'âge de 37 ans, Chiwoniso était l'ex-épouse du regretté Andy Brown, une autre figure importante et vénérée de la musique populaire zimbabwéenne depuis les années 80. Andy Brown, qui a travaillé avec des groupes comme Ilanga et The Storm, fusionnait plusieurs styles et genres différents.
Parmi les artistes qui perpétuent l'héritage de Chiweshe et Maraire, Hope Masike est sans doute la prochaine révélation musicale dans le même genre[iii]. Joueuse de mbira talentueuse, chanteuse et danseuse, elle s'est produite dans plusieurs pays comme le Danemark, l'Italie et la Suède, entre autres. Son album Mbira, Love and Chocolate a été enregistré en Norvège et au Zimbabwe avec la collaboration du célèbre producteur et guitariste zimbabwéen Clive "Mono" Mukundu. Dans ses concerts «mbiracentristes», Masike fusionnent les sons de la mbira avec d'autres genres musicaux comme le hip-hop, le jazz et le sungura.
Jiti
Pendant les années 80, un style populaire de musique de danse accompagné à la guitare a émergé. Ce genre s'appelle jiti, jit ou jit-jive. Des battements rapides de tambour forment la base sur laquelle s'ajoute le son de la guitare. Ce genre s'inspire des musiques locales comme le chimurenga et la sungura, ainsi que de la rumba congolaise et des styles de guitare tanzaniens.
Parmi les musiciens qui ont rendu ce genre populaire, il y a le regretté Biggie Tembo, à la tête du groupe Bhundu Boys, et Mike Mopo & Zinawa, auteurs du célèbre Ndati huya titambe. Mopo a pris sa retraite du monde de la musique pour devenir un homme d'affaires prospère. Les Bhundu Boys avaient un succès énorme à leur apogée. C'était le premier groupe de zimbabwéens à percer au Royaume-Uni. Ils se sont temporairement installés en Angleterre et ont partagé la scène avec des stars internationales comme Madonna. Mais, des désaccords ont contraints le groupe à se séparer, et le chanteur Biggie Tembo est retourné au Zimbabwe dans un accès de colère.
Biggie Tembo Junior, le fils du légendaire chanteur des Bhundu Boys, a depuis essayé, mais avec peu de succès, de faire revivre l'héritage de son père. Il a sorti deux albums qui n'ont pas été chaleureusement accueillis[iv]. Par contre, Putiphar, le fils de Mike Mopo, connaît actuellement un grand succès avec sa chanson "Makandiberekereiko". The Four Brothers est un autre groupe populaire de Jiti qui a eu un succès international dans les années 80.
Sungura & Dendera
Le sungura est un mélange de guitare basse, guitare rythmique et guitare solo associé à un rythme de rumba rapide et aux battements du kanindo est-africain. Le son dépend beaucoup de la guitare basse et de la batterie. Le genre sungura est devenu populaire dans les années 80 avec des musiciens tels qu’Ephraïm Joe, John Chibadura, Michael Jambo, System Tazvida (Chazezesa Challengers), Nicholas Zakaria. Feu Leonard Dembo était probablement le meilleur artiste de sungura du Zimbabwe et sa chanson Chitekete a été utilisée en 1994 lors du concours de beauté Miss Monde qui s'est tenu en Namibie[v].
Après la mort de la plupart des pionniers de la musique sungura, Alick Macheso est devenu le musicien avec le plus de succès. Ses albums Simbaradzo (2000) et Zvakanaka Zvakadaro (2002) étaient des disques de platine[vi].
Parmi les labels associés au genre sungura, il y a Diamond Studios, Zimbabwe Music Corporation (ZMC) et la défunte Last Power Records, qui appartenait à Alick Macheso.
La différence entre la musique dendera et la musique sungura est qu'en plus des trois guitares (basse, guitares rythmique et solo) utilisées pour produire le son de sungura, le son du calao est inclus et plus mis en valeur. Dendera est un mot shona qui signifie calao[vii]. Le genre a été lancé par les frères Chimbetu (Simon, Naison et Allan), et leurs fils Suluman, Douglas et Tryson ont repris le flambeau. Sulaiman a plus de succès que les deux autres et les sponsors semblent avoir plus d’intérêts pour lui que ses compétiteurs.En effet, au cours des années, il a reçu le soutien de plusieurs sponsors. Il est l'ambassadeur de plusieurs organisations et marques comme, entre autres, Zimbabwe National Traffic Revenue Authority, la marque Vaseline Blue Seal, et Population Service International[viii].
Le gospel
Le gospel n'était pas très populaire au Zimbabwe parce que les maisons de disques ne voulaient pas enregistrer les musiciens de gospel. Au cours des années 80 et 90, il n'y avait que quelques artistes de gospel populaires, comme Jordan Chataika et Mechanic Manyeruke. Cela a changé au tournant du millénaire, sans doute en raison des difficultés économiques rencontrées par le pays et qui ont conduit beaucoup à se tourner vers la prière comme une solution à leurs problèmes. On a alors vu la montée de musiciens gospel comme, entre autres, Charles Charamba, Fungisai Mashavave, Blessing Shumba, Mathias Mhere, et Sabastian Magacha11. En général, les musiciens utilisent des hymnes populaires dans les églises. La plupart des chanteurs mélangent des genres différents comme jazz et sungura et, en général, ils chantent dans leur langue maternelle. Mais, ces derniers temps, certains d'entre eux se sont mis à chanter en anglais.
Avec une carrière qui dure depuis près de deux décennies, Charles Charamba est l'un des artistes les plus connus dans la musique gospel zimbabwéenne. Les musiciens de gospel contemporain comme Pastor G et Mudiwa Mtandwa ont importé les rythmes occidentaux dans leur musique. Pastor G a introduit des influences de la musique soul, tandis que Mudiwa Mtandwa a introduit le hip-hop. Parmi les labels et studios locaux associés à la musique gospel, il y a Metro Sounds, Gospel Train, et Ngaavongwe Records.
Urban grooves
En 2002, le gouvernement du Zimbabwe a instauré un quota de 75% de contenu local pour toutes les stations de radio. Cette décision a rapidement donné naissance à un nouveau genre, baptisé Urban Grooves[ix]. Les jeunes musiciens ont embrassé le hip-hop occidental et lui ont donné une touche locale. Ce genre de musique a permis la montée de musiciens comme, entre autres, Alexio Kawara, Maskiri, Rockford Josphats et Extra Large. Cependant, le genre est sérieusement menacé par la Zim Dancehall.
Rockford Josphats, alias Roki, est l'un des artistes qui ont lancé le genre Urban Grooves. C'est un ancien participant de l'émission Big Brother. Le banquier Gilbert Muvavarirwa a permis au genre d'émerger, en créant SHAMISO Productions avec Delani Makhalima, un ancien présentateur sur Metro FM, une chaine radio sud-africaine. Ensembles, ils ont recruté des talents comme David Chifunyise, Roki, Alexio Kawara et leur première compilation restera à jamais la fondation du genre Urban Grooves. Au fil du temps, plusieurs studios ont ouverts et le genre s'est développé. Parmi les labels associés avec le genre Urban Grooves, il y a Umsindo Records, Hesh Mfeshi, Eternity Records et This is Records.
Zim Dancehall
Ce genre est le nouveau venu dans le monde du divertissement au Zimbabwe. Le genre est tellement populaire que la plupart des musiciens de sungura doivent se produire dans les zones rurales. Parmi les musiciens de Zim-Dancehall populaires, il y a, entre autres, Winky D, Sniper Storm et Killer T. Winky D est resté au top de son art et continue à sortir des hits[x].
Ce qui a rendu la Zim Dancehall si populaire c'est que les artistes sont des jeunes des ghettos qui expriment leurs tribulations quotidiennes à travers leurs chansons. Les musiciens chantent sur un certain "riddim" (son) produit dans des studios d'arrière-cour. Chaque musicien essaie d'être meilleur que les autres du point de vue prouesses lyriques et de rimes. La seule différence avec le dancehall jamaïcain est que le «riddim» est produit localement et que les musiciens chantent d'habitude dans les langues locales. Parmi les labels associés avec des artistes de zim dancehall, il y a Chill Spot Records, Vigilance Music et Sunshine Studios.
Autres genres contemporains
Oliver Mtukudzi est le musicien zimbabwéen qui a eu le plus de succès. Il a plus de soixante albums à son actif. En 2014, il a passé les trois premiers mois de l'année en tournée en Europe et en Amérique. Il fait également partie du groupe sud-africain Amahube. Ses fans appellent sa musique Tuku Music parce qu'il a son propre son qui ne peut pas être classé dans d'autres genres. Tuku a formé dans son style musical d'autres musiciens, comme Munya Mataruse[xi] qui a étudié à Pakare Arts Centre, le centre créé par Mtukudzi à Norton. Il avait également préparé son fils le regretté Sam Mtukudzi à prendre sa relève. Sa fille, Selmor, s'est éloignée du genre musical de son père et préfère chanter le jazz ou la house music. Selon certaines sources, Tuku ne s'entendrait pas avec sa fille[xii].
Les autres styles de musique populaires du Zimbabwe ne sont pas classés dans des genres particuliers mais, à la place, reçoivent l'étiquette vague de musique contemporaine. Par exemple, l'artiste à succès Jah Prayzah a admis qu'il ne parvient pas à nommer sa musique[xiii]. Comrade Chinx (aka Dickson Chingaira) est un autre artiste populaire, surtout connu pour ses chansons politiques soutenant le parti au pouvoir, et pour cette raison, son œuvre est souvent qualifiée de «musique révolutionnaire» ou «chansons de libération». Mokoomba et Bongo Love utilisent les termes vagues «Afro-fusion» et «Afrocoustics». Ces deux groupes se sont fait connaître en remportant le Music Crossroads Interregional Festival et ont depuis continué à avoir plus de succès à l'étranger qu'au pays. Ils appellent donc parfois leur musique tout simplement "World Music"[xiv]. Le succès de ces musiciens montre qu'il est parfois futile de catégoriser les artistes par genres, en particulier dans le paysage musical riche et varié du Zimbabwe.
Conclusion
La musique du Zimbabwe est en constante évolution. Bien que la Zim-Dancehall connaît actuellement un succès énorme, elle a été qualifiée, tout comme Urban Grooves, de «musique bubblegum» qui peut être appréciée pendant les années à venir. Des genres plus anciens et plus établis comme le chimurenga et la sungura ont, quant à eux, résisté à l'épreuve du temps et seront probablement écoutés par les générations à venir. Les fans de ces genres attendent avec impatience les nouveaux albums de grands artistes comme, entre autres, Alick Macheso et Nicholas Zakaria. Le paysage musical va changer.
[i] www.kubatanablogs.net/kubatana/censorship-is-based-on-fear/ [ii] https://www.newsday.co.zw/2014/07/16/rise-chimurenga-musician-chabvonga/ [iii] http://www.newzimbabwe.com/showbiz-15491-Hope+Masike+Zim%E2%80%99s+%E2%80%98Princess+of+Mbira%E2%80%99/showbiz.aspx [iv] https://www.newsday.co.zw/2013/09/14/biggie-tembo-jnr-struggles-keep-fathers-legacy/ [v] http://www.herald.co.zw/the-legend-lives-on/ [vi] http://intimatemomentswithzimmusicians.blogspot.com/2011/09/alick-macheso_18.html [vii] http://www.herald.co.zw/revellers-just-love-sulus-sean-timba/ [viii] http://www.herald.co.zw/sulu-appointed-brand-ambassador/ [ix] http://www.herald.co.zw/75pc-local-content-pays-dividends/ [x] www.dailynews.co.zw/articles/2014/03/28/winky-d-shines-at-zim-dancehall-awards [xi] http://www.herald.co.zw/munya-matarutse-continues-to-shine/ [xii] http://www.thestandard.co.zw/2014/09/14/mtukudzi-disowns-daughter/ [xiii] http://www.chronicle.co.zw/jah-prayzah-tries-to-define-genre/ [xiv] http://www.thezimmail.co.zw/2014/01/10/bongo-lovebig-abroad-small-at-home/
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