Daba Makourejah : Reggae, mais pas que...
De prime abord, on ne peut pas savoir que Daba Makourejah est une artiste, même ses dreadlocks ne la trahissent pas. Elle est souvent en retenue, la jeune et belle artiste ne se libère vraiment que sur scène. Celle qui a marqué les esprits sur la grande scène du festival Saint Louis Jazz l’année dernière en compagnie de ses amis du Vendredi Slam (un collectif de Slam dakarois) se définit comme une "créative qui s'exprime". Dans le souci d'en savoir un peu plus nous lui avons demandé un entretien qu'elle a bien voulu nous accorder.
Bonjour Daba, comment est ce qu’on pourrait vous présenter?
Bonjour, pour faire court on peut dire que je suis une créatrice de musique: chanteuse, guitariste, bassiste, une rédactrice aussi… bref une créative qui s’exprime via divers médiums doublée d’une activiste culturelle. Sénégalaise de père et de mère, panafricaniste convaincue et citoyenne du monde de vécu.
Malgré votre jeune âge, vous avez roulé votre bosse un peu partout on dirait?
Oui, entre autres, parce que mon père ingénieur à beaucoup voyagé pendant sa carrière, du coup il nous a emmené dans pas mal de pays et ce, depuis notre plus tendre enfance. Ensuite, étant partie de chez mes parents assez jeune, j’ai eu la chance de faire mes propres voyages avec mon sac à dos, en stop, en train. Pendant mes études aussi j’ai bougé d’une ville à l’autre. J’adore les voyages, ils m’enrichissent et m’inspirent, Dieu merci j’ai la chance de bouger assez régulièrement.
Que vous apporte réellement toute cette expérience internationale, ici à Dakar?
Toutes les expériences sont bénéfiques. En ce qui me concerne, je dirai que le premier fruit de tout ça est la curiosité et l’ouverture sur le monde. C’est aussi un côté un peu «marginal» et décalé partout où je vais car je ne suis jamais complètement ce qu’on peut attendre. Sénégalaise mais pas seulement, musicienne mais pas seulement, chanteuse mais pas seulement, Reggae mais pas seulement. Enfin bref, ce n’est pas facile de me mettre en boite et ça me va car je me sens bien dehors… (rires) Et puis, de façon plus terre-à-terre le fait de parler plusieurs langues est un atout non négligeable partout et donc, ici à Dakar aussi.
Malgré tout vous êtes ce qu’on peut appeler une grande inconnue ici…
Oui, (rires) hormis pour quelques-uns qui suivent ma musique via internet depuis des années même lorsque je n’étais pas là. Depuis mon retour fin 2013, j’ai aussi fait quelques prestations où j’ai pu me faire entendre un peu: le festival de Jazz de Saint Louis, quelques plateaux télé mais pas beaucoup, des premières partie de groupes comme Daara-J Family, quelques live et sound system, je me fais un nom petit à petit. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, je ne cherche pas et n’ai jamais cherché le Buzz. Même si je veux que ma musique soit entendue et écoutée, je ne suis pas prête à tout pour être vue. Pour moi toute cette course à la renommée rapide, ou buzz est représentative d’une époque où l’on veut souvent tout, tout de suite, où l’on consomme et jette très facilement.". La musique n’échappe pas à ces tendances, c’est pourquoi il faut avoir son public et faire en sorte qu’il te suive pour les bonnes raisons, par amour pour ton travail artistique, pas forcément parce qu’il a été victime d’un matraquage et qu’il t’a vu partout. J’ai toujours en tête l’image du soufflet qui monte vite descends tout aussi vite. Et surtout, ça ne fait pas toujours manger…. Je le vois tous les jours. Après je ne juge pas, à chacun sa vision. Ca dépend aussi du rapport que chaque artiste a avec sa création. Moi, Je suis plutôt partisane de l’effort constant sur le long terme, je fais ce que je fais avec une passion jamais ébranlée. J’ai foi que le travail paie et que comme on dit ici «lou yagg deugg leu» (c’est dans la durée qu’on reconnait ce qui est vrai).
Ma renommée se construit brique par brique comme un édifice. Aussi limitée quelle soit, elle me permet depuis quelques années déjà de me produire, d’avoir un petit public qui me suit à l’international, de vendre ma musique et d’avoir des rentrées d’argent grâce à mon art afin de le faire vivre. Et Dieu merci, elle va grandissant! Pas à pas et ça me va.
Vous avez à votre actif 7 productions, et pas mal de collaborations, mais au Sénégal vous n’avez rien sorti, pourquoi?
Tout simplement parceque je n’étais pas là. On vit là où on est…et puis bon, je ne maitrise pas le secteur de la production musical sénégalais du coup, même s’il y a des choses qui se mijotent, je n’ai encore rien sorti ici, hormis «Rocky is the track» un petit clip dans un style afro hip-hop pour lequel j’ai eu de bons retours. Mais encore une fois je me donne le temps, je ne cours après rien du tout et prend tout mon temps mais ça ne va plus tarder et j’espère que ça vous plaira (rires)
Vous êtes plutôt une artiste reggae, quand on sait que le reggae est le parent pauvre de la musique au Sénégal. Est ce facile pour vous de trouvez des spectacles, des contrats? Des producteurs prêts à miser sur vous?
Le reggae est une de mes principales influences, mon album de 2012 était principalement Reggae Uk et roots. Après ceux qui écoutent ma musique savent que mon univers est très marqué par le reggae dub mais aussi par des musiques telles que jazz, le hip-hop, le trip-hop, la soul avec bien sur des influences africaines. Et puis, tout est histoire de point de vue, je n’aime pas me focaliser sur le négatif, je ne vais pas dire que le Reggae est parent pauvre parce que, déjà, dans la famille musique au sénégal, personne n’est vraiment riche, à quelques rares exceptions près. Et puis à l’international ça reste un style musical marginal même s’il a un public très étendu. Donc bon, les artistes qui évoluent dans ce courant musical ont l’habitude.
Et puis, je ne me dis pas ce genre de choses pour garder un état d’esprit positif et proactif. Je n’attends rien de rien car c’est de l’attente que nait la déception. Je fais mon truc, j’avance avec ce que j’ai et ne vais pas me plaindre.
Pour les spectacles, à vrai dire depuis que je suis rentrée, je me suis pas beaucoup produite. C’était volontaire, besoin de prendre le temps de faire les choses, de me ressourcer, de composer et d’écrire, de rencontrer des musiciens, d’observer l’environnement culturel dakarois qui au fond était assez nouveau pour moi. Pour ce qui est producteurs, je n’en attends pas spécialement et n’en démarche pas ici, pour l’instant. J'ai eu à collaborer avec des producteurs indépendants avec qui on a sorti des vynils, des compilations, et cd. Bref, je suis mon bonhomme de chemin en indépendante et j’avoue que ça correspond bien à ma personnalité qui est assez sauvage et entière.
Vous avez un projet d’album pour le Sénégal?
Oui, un EP dans les mois à venir, un petit clip fait ici pour le public sénégalais. Bref des choses et d’autres mais je vous préciserai tout ça en temps.
Quel est votre opinion sur la musique sénégalaise? On dit qu’elle n’est pas exportable, est-ce votre avis?
Je ne prétends pas être assez bien placée pour analyser la musique sénégalaise mais je dirai déjà quelle est multiple. Le Mbalakh peine à s’exporter mais ce n’est pas le cas du hip-hop et de la world par exemple avec des Daara J, PBS, les Touré Kunda, Ismaël Lô, Wasis Diop qui ne peinent pas à séduire les audiences du monde. Côté créativité ça bouillonne, c’est beau à voir. Après il y a un manque manifeste de structures et d’organisation, mais justement j’aime bien le côté débrouille, pour s’en sortir il faut en vouloir et compter sur soi-même. Après, honnêtement, ailleurs, il y a du level musicalement parlant, pas de place pour la médiocrité, il faut être au top dans son style pour se démarquer…..Ici il n’est pas rare de voir un artiste qui n’a franchement pas le niveau passer en boucle à la télé, être connu. Du coup, je pense pas que ce soit la musique sénégalaise qui ne soit pas exportable mais plutôt la qualité de certains produits musicaux sénégalais qui ne l’est pas toujours. Honnêtement, je prends quand même rarement des claques même si j’en prends parfois, Dieu Merci. Et bien sur dans tout cela l’excellence existe avec des artistes comme P.P.S The writah (avec qui je travaille en ce moment) Pape et Cheikh, Natty Jean, Sahad and the Natalpatchwork, Kya Loum, Ombre Zion, Fla the ripper, Mao Sidibé, Skillaz, I science, dont les créations peuvent êtres appréciées par des publics non-sénégalais.
Quels sont vos contacts vos relations avec les artistes d’ici?
Elles sont, pour la plupart, très bonnes, il faut dire que quand je suis arrivée j’ai eu la chance d’être reporter/rédactrice culturelle chez agendakar une plateforme culturelle majeure du pays. Du coup ça m’a un peu ouvert les portes du monde artistique et culturel de la capitale. Ensuite certains artistes que j’avais rencontré ou interviewé ont découvert ma musique et ont été étonné de me savoir « artiste » -c’est un mot que je n’aime pas utiliser mais bon-. En effet je ne suis pas du genre à me (la) raconter. Sous ma casquette de reporter, je disais rarement que j’étais musicienne. La modestie mal placée est un reproche qu’on me fait souvent (rires) mais j’assume et préfère ça. Bref, il y a pas mal d’artistes toutes disciplines confondues plus ou moins connus qui sont de très bonnes connaissances, des collègues, des pairs. Beaucoup d’entre eux me soutiennent et m’encouragent sincèrement, ils se reconnaitront et je les salue au passage… Après naturellement on ne peut pas plaire à tous le monde, je suis d’un naturel plutôt «easy going» et sympa mais je ne triche pas, je ne force pas. Si je sens de l’hostilité, un manque de sincérité ou si les relations ne sont pas simples, je prends mes distances. Il y a assez de personnes enrichissantes dans ce monde pour ne pas perdre son temps avec des gens qui ne vous apportent pas du positif.
Votre mot de la fin?
Bon, pour finir un grand merci à Music In Africa. Un énorme merci aux mélomanes du monde et à mon cher petit public. Continuez à écouter de la musique tous les jours: c’est bon pour la santé et le moral. Aux artistes: «Tout vient à point à qui sait apprendre», enfermons-nous et bossons avec passion et humilité en visant des idéaux de grandeur. Merci <3
Découvrez ici la vidéo "Rocky is that track"
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