Les droits d’auteur au Burkina Faso
L’industrie musicale burkinabé souffre. Les conditions de vie des artistes sont souvent précaires. Les compositeurs, auteurs, interprètes et musiciens, malgré l’existence de lois et d’organismes chargée de gérer leurs droits, sont confrontés à des difficultés pour percevoir ce qui leur revient. La piraterie, fléau mondial, demande aux producteurs et société de gestion de droits une vigilance accrue et remet même en question la définition actuelle des droits d’auteur au niveau international.
Copyrights, ou droit d’auteur, un domaine complexe
Le droit d’auteur, notion morale et économique, comprend la paternité morale de l’œuvre ainsi que le système de répartition revenant aux créateurs, interprètes et producteurs. En cas de litige, il est préférable de s’adresser à des avocats spécialistes en droit artistique, un domaine complexe... L’artiste a la responsabilité des contrats qu’il signe, et doit bien se renseigner avant de s’engager sur des voies qu’il pourrait regretter, quant à la durée des contrats d'exploitation et aux pourcentages qui lui reviennent.
Le droit moral protège les oeuvres du seul fait de leur création, même inachevées, existant sous une forme originelle. Aucune formalité de dépôt n’est exigée. Il est perpétuel. L’utilisateur ne doit pas méconnaître ce droit dit aussi « de paternité » (mention du copyright), et respecter l’intégrité de l’œuvre.
Les droits patrimoniaux, qui reviennent au compositeur et à l’auteur du texte de la chanson, subsistent pendant 70 ans après sa mort, après quoi l’œuvre tombe dans le domaine public, et est gérée par l’État.
Les droits connexes du droit d’auteur concernent les chanteurs, musiciens, et les producteurs d’enregistrement.La répartition entre les doits d’auteur et les droits connexes fait l’objet de contrat et se répartit en pourcentages des redevances versées par la société de gestion collective des droits d’auteur (BBDA) par les utilisateurs.
Pour utiliser une œuvre protégée par le droit d’auteur, il faut obtenir les droits patrimoniaux ou l’autorisation d’exploitation auprès de son auteur ou ses ayants droits, objet d’un contrat de cession ou cession de droit, pour exclusivité, qui peut être temporaire, ou une concession ou licence non exclusive. Certaines œuvres sont libres d’utilisation. Sans cette autorisation, la reproduction des œuvres sur des supports physiques, la piraterie sur internet (échanges de fichiers, graver des œuvres…), le refus de paiement des redevances de droits d’auteur par les utilisateurs d’œuvres sont passibles de sanctions.
Pour exercer leurs droits à la protection de leurs œuvres et être rémunéré quand elle est utilisée par un tiers, hors du cadre privé, le compositeur, l’auteur de texte de chansons, l’interprète, et les musiciens, doivent être membres du BBDA et avoir inscrit leurs œuvres au registre général.
Le Bureau Burkinabé des Droits d’Auteur
Tout auteur, compositeur, interprète, ou producteur peut adhérer au BBDA quelle que soit sa nationalité. Par cette adhésion, ils donnent délégation au BBDA de gérer leurs droits. Les frais d’adhésion varient en fonction de la catégorie de l’adhérent (titulaire de droits d‘auteur ou de droits voisins) et de son statut (personne physique ou morale).
Cet établissement public à caractère professionnel, sous la tutelle technique du ministère en charge de la culture, crée en 1985, a pour but d'assurer la protection et la défense des intérêts matériels et moraux de tous les titulaires de droits d'auteur et de droits voisins ainsi que leurs ayants droits, sur le territoire national et à l'étranger. Il lui revient de contrôler l'exploitation de leurs oeuvres, à titre exclusif sur le territoire national et à l'étranger pour tous droits relatifs à la représentation ou exécution publique, la radiodiffusion, la communication publique par fil ou, sans fil, la reproduction graphique ou mécanique, la traduction, l'adaptation.
À l’international, des sociétés de gestion collective, comme la SACEM, en France, avec lesquelles le BBDA a signé des conventions de représentations réciproques, perçoivent les droits au profit de ses membres. Le BBDA est tenu à la réciprocité en assurant la protection des doits de leurs membres sur le territoire burkinabé.Il comprend, outre son siège à Ouagadougou, sa direction régionale à Bobo Dioulasso, et cinq représentations, à Banfora, Kaya, Koupéla, Koudougou, Ouahigouya.
Redevances et répartition
Les redevances, rémunération versée en contrepartie du contrat qui lie les utilisateurs et le BBDA, répartie entre les ayants droits inscrits, devrait être en fonction de l’exploitation de chaque œuvre. Les informations manquant, le BBDA, censé couvrir tout le territoire national, procède par sondage ou analogie pour cette répartition, ce qui est aléatoire. Le recouvrement est effectué par des agents de recouvrement assermentés, qui peine à faire comprendre aux utilisateurs pourquoi ils doivent payer des droits. En 2015, pour un budget prévisionnel d'un milliard 475 millions de F CFA, le taux de perception n’avait été que de 25%...
Le paiement des droits s’effectue au guichet du BBDA par les bénéficiaires munis de leur décompte, de leur carte de membre et de leur carte d’identité. Au-delà d’un certain montant, le paiement se fait par chèque, virement bancaire ou mandat (coût à charge des bénéficiaires). Les droits répartis non réclamés par leurs auteurs sont prescrits au bout de 4 ans, et reversés au fonds d’oeuvres sociales destiné à promouvoir la solidarité et l’entraide entre les membres.
De manière générale, les artistes se plaignent de ne pas toucher les droits qui devraient leur revenir. Les utilisateurs ne remplissent pas les formalités nécessaires auprès du BDDA, ne payent pas leur redevance, les agents du BBDA peinent à maîtriser tout le territoire. Wahabou Bara, directeur général du BBDA, apparemment conscient de la situation, a déclaré, le 21 septembre 2016, avoir pour objectif l’amélioration de la compréhension du droit d’auteur, et du niveau de payement des redevances. Il a aussi signalé la mise en place d’un fonds d’aide aux créateurs de plus de 50 ans.
D’autre part, les radios et télévisions, qui doivent respecter un quota de 40 à 60% de musique burkinabé, ont été interpellés par la Coalition pour la renaissance artistique au Burkina Faso (CORA-BF) qui a demandé la revalorisation de ce quota à 90% …
Piratage
La piraterie, difficile à contrôler, cause des pertes dommageables pour les auteurs, et affaiblit l’industrie musicale. Certains artistes n’en viennent à ne considérer que leurs revenus générés par des concerts, offrant parfois leur musique en téléchargement libre comme objet de promotion de leurs prestations. D’autres travaillent à développer le concept de leur album, de la jaquette au contenu qui peut être multimédia, pour rendre la copie complexe voire impossible. Chacun cherche comment faire en sorte que la musique survive au raz-de-marée de la gratuité, de free listening, qui remet en cause les lois qui régissent jusqu’à présent les droits d’auteur.
Les copies des musiques sont faites par téléchargement, transfert de fichiers numériques sur clés USB, copie de CD, et « boot legs » (enregistrement clandestin). Les ateliers illégaux de fabrication et de duplication sont difficilement localisables, et beaucoup de produits pirates sont importés. Ces CD et fichiers piratés, moins chers à l’achat que les originaux, souvent de plus basse qualité, peuvent aussi endommager les lecteurs et ordinateurs, ou se révéler différent de ce qu’annonce la jaquette, voire même vierges.
Les mélomanes peuvent reconnaître les CD originaux grâce à l’hologramme du BBDA. Depuis 2006, le fabricant, producteur ou importateur de disque a obligation de faire apposer par le BBDA cet hologramme comprenant le numéro de série, sur la jaquette du CD, avant sa mise en circulation sur le territoire national. La difficulté de reproduction de l'hologramme, a priori infalsifiable, décourage les pirates.
Malgré les sanctions prévues par la loi, les CD et clés USB pirates fleurissent au détour des rues et des marchés. Selon le BBDA, le marché discographique burkinabè était inondé par 95% de supports pirates contre 5% de supports légaux, en 2006. Les distributeurs légaux (maisons de production) ne représentaient déjà alors que 20% du marché tandis que les pirates et revendeurs illégaux occupaient 80% du marché. Toujours selon le BBDA, « la piraterie a fait perdre à l'industrie culturelle [...] plus de 9 milliards de francs CFA, plus d'un milliard en terme de droits d'auteur et plus de 6 milliards au détriment des caisses de l'État, pour l'année 2006-2007.» Depuis aucune statistique n’a été publiée.
Pour contrer cette tendance à préférer les produits piratés, la population doit comprendre que ce choix appauvrit les artistes et contribue à détruire l’industrie musicale burkinabé. Pour cela, l’État a accordé au BBDA une subvention de 50 millions de francs CFA au titre de son budget 2015, à travers le CNLPOLA. Le Comité National de Lutte contre la Piraterie des Œuvres Littéraires et Artistiques, fondé en 2001, réunit des membres de l’administration publique et les organisations professionnelles des titulaires de droits. Il a organisé avec le BBDA, une caravane de sensibilisation de lutte contre la piraterie, en décembre 2015, dans les communes de Tenkodogo, Bittou et Koupèla.
L’essor du numérique, au Burkina Faso comme dans le reste du monde, a accentué le phénomène du piratage.
Mais des techniques se sont aussi développées pour protéger physiquement les œuvres. Certains logiciels de protection ou la fonction « lecture seule » lors du gravage du CD permettent de le verrouiller à la copie. Sur le web, des plateformes permettent de mettre à disposition des utilisateurs des morceaux en téléchargement payant, à un prix modique par rapport à la version physique, ou reversent des droits en fonction des consultations (Deezer). Il faut vérifier que ces plateformes aient des accords avec le BBDA. Mais ne nous réjouissons pas trop vite...
Selon des calculs effectués par l'Adami principal gestionnaire des droits des artistes et musiciens interprètes en France, sur un abonnement standard de 9,99 € par mois payé par un internaute pour écouter de la musique en ligne, 6,54 € vont aux « intermédiaires » (producteurs et plateformes de streaming), et 1 € pour le droit d'auteur et 1,99 € de TVA). Les artistes ne touchent que 0,46 €, à se répartir entre les artistes écoutés.
À noter qu’en France, pour la première fois, les revenus issus du streaming ont dépassé ceux générés par le téléchargement au premier semestre 2014, selon un bilan présenté en septembre par le SNEP, principal syndicat de producteurs de disque. Le streaming constitue donc un espoir de revenus pour les artistes, mais surtout pour les intermédiaires.
L’avenir dira si le BBDA est prêt à gérer cette mutation qui semble inexorable du domaine musical, alors que les instances de l’Union Européennes planchent sur le sujet depuis 2014, entre autres enjeux auxquels le BBDA doit se confronter pour faire en sorte que les artistes burkinabé aient accès à la rémunération qui leur est dûe, et que leurs conditions de vie, et de production, s’améliorent. Le public y trouvera à coup sûr son compte.
Sources
BBDA
Bureau Burkinabé des Droits d’auteur : http://www.bbda.bf/quotidien/actualite/index.php
Acte d’adhésion BBDA : http://www.bbda.bf/services/adhesions.htm
Droits d’auteur et droits voisins, guide pratique sur le droit d’auteur et les droits voisins à l’intention du personnel du bureau burkinabé des droits d’auteur (2008) : http://www.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/fr/bf/bf022fr.pdf
Statut social de l’artiste au Burkina Faso (décret complet) : http://ilo.org/dyn/natlex/docs/SERIAL/97962/116413/F1100956330/BFA-97962...
Méthodes de lutte contre la piraterie des œuvres musicales par les organismes de gestion collective de l’espace communautaire Ouest-africain (UEMOA) : cas du Bureau Burkinabé du Droit d’Auteur. Mémoire de Lanssa Moïse Kohunhttp://www.memoireonline.com/10/13/7527/Methodes-de-lutte-contre-la-pira...
Réforme du droit d’auteur par l’union européenne https://www.alain-bensoussan.com/auteur-reforme/2015/05/14/
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