Entre Art et Exil : l'Atelier des Artistes en exil redéfinit les frontières de la créativité - Entretien avec Judith Depaule
Judith Depaule, artiste française qui a d'abord brillé dans le domaine de la comédie avant de s'orienter vers une carrière de metteuse en scène, incarne un esprit créatif indomptable. Animée par sa passion pour les enjeux politiques et sociaux, elle s'est également révélée être la force motrice derrière l'émergence de l’Atelier des Artistes en exil. En tant que cofondatrice et directrice de cette association basée à Paris (France), elle s'est résolument engagée à soutenir les artistes réfugiés, en les aidant à poursuivre leurs parcours artistiques et à s'intégrer harmonieusement dans le paysage culturel français. Lors de son entretien avec Lamine BA, Judith Depaule nous dévoile les origines de cette initiative inspirante et nous dépeint comment elle offre un sanctuaire vital pour l'expression artistique et l'épanouissement personnel des créateurs exilés.
Bonjour Judith ; vous êtes cofondatrice et directrice de l'Atelier des Artistes en exil. Voudriez-vous nous expliquer comment cette association est née ?
Bonjour Lamine ; cet atelier est né d’une expérience précédente dans un lieu de création artistique parisien qui n’existe plus et qui s’appelait Confluence. Des migrants syriens y avaient été reçus. Imaginez des personnes vivant dans un théâtre ; c’était quelque chose de vraiment spécial, initié pour palier à ladite crise migratoire de la rentrée 2015.
Il s'est tenu sur ce lieu, un festival consacré à la Syrie et pendant la préparation de l’événement, de nombreux artistes syriens exilés se sont présentés et ont exprimé aux organisateurs, leur désir de poursuivre leur carrière en France. Mais pour la plupart, ils ne savaient pas par où commencer ou à quelle porte frapper…
Leur situation a soulevé une réelle interrogation et à l’époque, L’Office Nationale de Diffusion Artistique (ONDA) alors dirigée par Pascale Henrot, s’est penché sur la question.
Pascale était une opératrice préoccupée par la solidarité du secteur culturel à l’égard des migrants, elle avait procédé au recensement des artistes syriens au théâtre et réalisé bien d’autres actions.
Ensemble, nous avons organisé d’abord un festival pour ces artistes déplacés et plus tard, un salon pour leur permettre de jouer devant des professionnels et se créer des opportunités.
Sur 9 artistes présentés, 8 sont repartis avec des paniers remplis, avec notamment des contrats de production pour certains, des apports en production pour d’autres et des dates de spectacle bouclées. C’était en février 2016.
Suite à cela, nous avons définitivement décidé de prendre le sujet de face et nous avons initié une sorte d’enquête anthropologique, déjà pour recenser les artistes migrants, mais aussi nous assurer de leur désir réel de poursuivre la profession.
Nous avons créé l'association en janvier 2017 et avons ouvert nos locaux en avril de la même année. Nous avons commencé à recevoir les artistes dès l’été et à l’automne de la même année, nous avons officiellement ouvert l’Atelier ; le reste est allé très vite…
Quel rôle joue l’Atelier dans le soutien des artistes refugiés à Paris (France) ?
L’Atelier est en capacité d’accompagner les artistes dans tous leurs besoins, aussi bien l’accompagnement social avec tout ce que ça implique du point de vue juridique, administratif ou médical, mais aussi l’accompagnement linguistique et professionnel.
La spécificité de l’association est de traiter de front, l’aspect à la fois social et professionnel de l’insertion de ces créateurs sur la scène française. Tout est fait pour ne pas séparer l’individu de l’artiste, puisque si un artiste attend par exemple ses papiers et que cela prend trop de temps, il se retrouve en incapacité de produire quoi que ce soit.
Pouvez-vous partager avec nous, quelques exemples de réussites de l’Atelier ?
Nous avons par exemple Kubra Khademi qui est une des toutes premières créatrices que nous avons croisées. Elle fait de la performance et de la peinture.
Aujourd’hui elle est dans toutes les foires internationales et elle est même suivie par une galerie. Elle a fait l’affiche du dernier Festival d’Avignon et elle figurait aussi dans la collection Lambert présentée à Avignon également.
On a aussi un artiste syrien qui s’appelle Khaled Alwarea qui a été lauréat des Mondes Nouveaux et qui a construit grâce à cet apport, un énorme kraken dans la cours des Subsistances à Lyon (France). Vous pouvez trouver des images sur Internet, c’était une construction très impressionnante !
Voilà, nous avons des artistes qui sont devenus intermittents, d’autres qui ont réalisé au moins 2 créations, d’autres encore qui ont intégré des parcours supérieurs d’études ou qui ont obtenu des diplômes en équivalence.
Nous avons également des artistes qui ont été reçus en résidence de longue durée grâce à un système de résidence qui est baptisé Pause, du Collège de France.
Voilà un aperçu des choses dont nous pouvons être fiers après ces années de travail.
Quels sont les principaux défis auxquels l’Atelier est confronté ?
Il y a déjà l’accroissement ininterrompu des demandes des artistes et la dégradation du climat politique mondial…
Quand on a commencé en 2017, il y avait beaucoup de Syriens et de Soudanais. Là les Soudanais sont de retour ! Les vagues de migration sont cycliques et conditionnées par des facteurs politiques.
Dans ces conditions-là, quand t’as un ami ou un cousin qui te dit que ça se passe bien en France, alors tu choisis d’y venir et cette sorte de cooptation communautaire est humaine et très naturelle. Seulement, c’est comme du tourisme, quand tout le monde se rend vers la même destination, finalement elle n’est plus attrayante.
Il y a également une montée du nationalisme que nous constatons tous. Il s’installe avec tout ce qu’il peut avoir de nauséabond et cela est un réel défi à relever.
L’Atelier, dans sa mission d’aider à l’intégration des créateurs exilés, n’a-t-il pas souvent des conflits avec l’état et ses orientations pour ce qui concerne la politique migratoire ?
Non, jusqu’ici nous n’avons pas connu cette situation, mais je comprends tout à fait votre question et ce sont des choses qui peuvent bien arriver…
Avant, notre mission consistait essentiellement à identifier les artistes déjà présents sur le territoire français. Mais depuis le coup d’état en Birmanie en 2021, nous discutons désormais avec les artistes avant même leur arrivée sur notre sol. Cela a beaucoup changé les choses.
Nous sommes aussi dans une triangulation avec le ministère des affaires étrangères avec qui on échange des données. Cela évite le type de conflit que vous évoquez.
Mais c’est vrai qu’il y a souvent des mesures qui sont prises inopinément plus haut, face à des situations, et qui nous laissent peu de temps pour anticiper sur les conséquences. On le verra notamment avec les Russes et les Ukrainiens.
Les Ukrainiens bénéficient d’une protection provisoire qui va arriver à son terme en mars 2025 ; elle relève d'une loi européenne prise en 2006 qu’ils promettent de prolonger pour 2 fois. Mais que se passera-t-il si cela n’est pas fait et que la guerre se poursuit ? Et quid des Russes pour lesquels le Quai d’Orsay a mis en place un dispositif particulier en miroir à ce dont bénéficient les Ukrainiens, qui est une autorisation provisoire de séjour, mais qui n’a pas du tout le même accompagnement social que les Ukrainiens. La question reste posée, que va-t-il se passer si tout cela n’est pas renouvelé ?
Le fonctionnement de l’association demande certainement des moyens énormes ; qui sont les personnes/entités qui vous soutiennent ?
Effectivement, beaucoup de gens nous soutiennent, déjà le ministère français de la Culture, le ministère du Travail même si c’est en train de s’arrêter, l’Institut Français sur certaines missions et des acteurs du secteur privé.
Il y a également des recettes que nous assurons nous-mêmes en vendant des spectacles, des expositions, des ateliers d’action culturelle…
On a aussi bénéficié de l’aide de la Région Sud, la Mairie de Paris par la mise à disposition de ses locaux estimés à des sommes extravagantes, et aussi l’Union Européenne parce que nous sommes chef de file d’un projet Euro Créative.
Quel est le processus de sélection des artistes qui rejoignent l'Atelier des artistes en exil ?
Il y a au moins 3 critères ; le premier c’est déjà l’exil ! C’est un point qui pose souvent des problèmes parce que les artistes ukrainiens par exemple, ne se considèrent pas en exil mais juste momentanément empêchés.
Certains sont d’ailleurs repartis, comprenant qu’en tant qu’artistes, ils sont moins utiles en France que chez eux. Les théâtres ont rouvert leurs portes dans leur pays et donc beaucoup rentrent.
En dehors du critère de l’exil, il y a celui de la qualité artistique avec tout ce que ça peut signifier, avec notamment notre vision du marché et notre volonté de promouvoir la multi-culturalité. Je m’amuse souvent à dire que nous faisons de l’ethno-contemporain (rires).
Le dernier critère c’est l’engagement personnel de l’artiste ; vous l’aurez compris, ici on a nos règles et c’est 0 discrimination, 0 guerre, et donc si tu as un problème avec ça, ce n’est pas la peine de rester à l’Atelier.
Ce sont ces 3 critères qui se croisent, avec la pertinence du projet et la motivation de chacun des artistes. Nous essayons de faire la différence entre celui qui fait de l’art pour se faire plaisir le week-end et celui pour qui c’est viscéral, et qui doit se lever chaque matin pour en vivre.
Quels sont les objectifs à long terme de l'Atelier ?
C’est que les artistes partent et qu’ils puissent voler de leurs propres ailes (rires) !
Que l’on arrive à mettre les créateurs sur les rails et nous arrivons déjà à bien le faire. Je suis artiste et je sais qu’on ne donnera jamais assez à ces personnes, mais c’est déjà pas mal ce que nous faisons et l’idée est de poursuivre sur cette lancée dans la durée.
Un des buts poursuivis serait aussi de plaider pour qu’il y ait des quotas dans notre sphère culturelle, comme on l’a fait pour les femmes, afin de permettre une réelle diversité sur notre scène, avec une part accordée aux artistes migrants dans les programmations.
L’Afrique continue d’être un grand foyer de tensions depuis quelques décennies et vous avez certainement reçu à l’Atelier, de nombreux artistes en provenance de ce continent. Pensez-vous que la culture peut aider à calmer les tensions politiques sur les terres africaines ?
Oui bien sûr que je le crois ! On a souvent évoqué la nécessité d’un plan Marshall de la culture et je suis convaincue que plus il y aura de la culture, mieux le monde s’en portera…
Je suis persuadée que l’art et la culture ont des fonctions politiques et je crois vraiment qu’ils peuvent aider à changer le monde.
Comment le grand public peut contribuer à soutenir l’Atelier des Artistes en exil ?
En venant à nos événements, et s’ils sont un peu fortunés, en faisant des dons à l’association.
Actuellement nous avons ouvert une collecte pour tenter de faire venir des femmes iraniennes et bientôt nous ferons de même pour le Soudan.
La question des aides urgentes est très importante dans le domaine de la culture. En Iran, il y a beaucoup d’artistes qui ne peuvent carrément pas se déplacer pour leur survie, parce qu’ils n’en ont pas les moyens. Nous pouvons aider ce genre de personnes à partir et à tenter de vivre une nouvelle vie…
On peut aussi aider l’association en étant bénévole et en apportant des compétences. Il y a vraiment beaucoup de choses à faire pour nous soutenir.
Interview réalisée avec l'aide de Mory Touré, fondateur de Radio Afrika
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