Des contrats dans le secteur musical en République Démocratique du Congo
Par M. Nganzi Ndoni Théodore
Le problème de contrat n’est pas seulement une question juridique mais aussi sociologique lié aux comportements et à la formation des artistes de la République Démocratique. En réalité, dans les sociétés traditionnelles, la musique n’avait pas les mêmes fonctions actuelles : elle était un métier réservé à une caste ou à un clan : elle n’était pas aussi lucrative qu’elle est aujourd’hui. L’artiste était rémunéré par le chef du clan ou de la tribu ainsi que par les autres membres de la communauté à travers les dons et autres formes de libéralité.
Actuellement, la musique est devenue une activité professionnelle à part entière qui mérite d’être réglementée ; mais les mentalités sont encore en retard par rapport aux exigences de la profession : parmi ces exigences, il y a la nécessité de faire signer un contrat aux artistes qui se produisent dans un groupe musical. Mais dans la pratique, cette exigence n’est pas encore devenue usuelle. Dans cette réflexion, nous voulons simplement montrer la nature du contrat qu’un artiste peut signer avec un groupe musical, pourquoi les artistes de la RDC n’ont pas encore la culture des contrats ainsi que les pistes de solutions pour améliorer la situation sur le terrain.
D’autre part, la présente analyse aussi la nature des contrats que les créateurs, les interprètes ou exécutants des œuvres musicales signent avec les producteurs.
L’étude est subdivisée en deux chapitres : le premier traite du genre des contrats que les artistes sont censés signer avec les groupes musicaux tandis que le second chapitre analyse les contrats que les artistes signent avec les producteurs.
Contrats entre les artistes et les groupes musicaux
Ce chapitre comprend 3 points suivants : la nature du contrat exigé ; les entraves à l’utilisation du contrat d’artiste et les pistes de solutions pour améliorer ce déficit de contrats.
La nature du contrat exigé
L’artiste a intérêt à signer avec le groupe musical au sein duquel il évolue un contrat d’artiste.
Ce contrat doit contenir les clauses relatives aux différentes obligations de l’artiste d’une part et d’autre part les obligations du groupe musical.
Les obligations de l’artiste.
L’artiste est lié à l’obligation de prester c'est-à-dire celle d’interpréter les œuvres pendant les répétitions et le spectacle selon les heures et lieux convenus dans le contrat.
Les obligations du groupe musical.
Le groupe musical, par le canal du chef du groupe, à l’obligation de payer à l’artiste son cachet conformément au barème fixé par le producteur ou l’entrepreneur du spectacle pour les prestations dans les studios d’enregistrement ou pour les spectacles vivants.
Le groupe musical doit aussi veiller à ce que les droits patrimoniaux et moraux reconnus à l’artiste-interprète soient respectés, notamment les droits d’autoriser la radiodiffusion, la fixation et la reproduction sur support de ses prestations. Le groupe doit informer l’artiste de la possibilité de s’affilier à une société de gestion collective pour qu’il bénéficie des redevances sur la copie privée et sur la rémunération équitable. En outre, le groupe doit aussi garantir le droit au nom de l’artiste, à sa qualité et au respectde son interprétation fixée sur un support sonore ou audiovisuel; enfin, le groupe musical doit s’assurer du paiement des cotisations sociales de l’artiste liées la santé et la retraite de l’artiste auprès des mutuelles ou des organismes de pension de retraite.
Les entraves à l’utilisation du contrat d’artiste
IL existe plusieurs entraves qui empêchent les artistes de signer de contrats. On cite notamment : l’absence de mesures réglementaires contraignantes, l’inexistence de modèle-type de contrat, le niveau de formation des artistes, la précarité de la profession d’artiste, l’absence d’une politique culturelle cohérente au niveau de l’Etat.
L’absence de mesures réglementaires contraignantes : le ministère de la culture et des arts n’a pas encore édicté des mesures contraignantes obligeant les groupes musicaux à signer des contrats avec les artistes qu’ils emploient : or, sans une mesure impérative de l’Etat, les groupes musicaux ne sentiront pas menacés et vont continuer à utiliser les artistes comme ils veulent.
L’inexistence de modèle-type de contrat d’artiste est aussi un handicap à la signature des contrats d’artistes ; pour combler cette lacune, il est recommandé que la société congolaise de droit d’auteur et des droits voisins mette à la disposition des artistes ce modèle de contrat, même à travers un site web, pour faciliter la tâche aux artistes et aux groupes musicaux.
Le niveau faible de formation de la majorité d’artistes-interprètes peut aussi être considéré comme une entrave à la signature des contrats d’artiste.
La précarité de la profession d’artiste signifie simplement que la profession n’est pas encore suffisamment organisée ni au niveau du ministère du travail, ni au niveau des artistes eux-mêmes : à titre d’illustration, il n’existe pas encore de syndicat puissant d’artiste qui puisse mieux défendre leurs droits devant les autorités politiques à l’instar des autres corporations comme celles des conducteurs de véhicules ou des médecins ;en outre, les infrastructures telles que les studios d’enregistrementou salles de spectacles adaptés ne sont pas suffisant pour assurer la promotion de la profession d’artiste.
L’absence d’une politique culturelle cohérente peut aussi en amont se révéler comme une faiblesse pouvant causer le déficit de signature des contrats dans les milieux : en effet, un document de politique peut prévoir l’encadrement des artistes sur la question par les arrêtés ministériels et les circulaires ainsi que les séminaires de formation avec une documentation permanente en faveur des artistes.
Pour éliminer ces entraves susmentionnées, il y alieu de définir les meilleures stratégies qui pourront servir de pistes de solutions en vue d’améliorer la situation sur le terrain.
Pistes de solutions
Pour corriger cette faiblesse liée au déficit des contrats d’artistes, il y a lieu d’encourager les solutions suivantes :
Produire un modèle de contrat-type au niveau de la société congolaise de droit d’auteur et des droits voisins à mettre à la disposition des artistes de manière permanente ;
Sensibiliser les décideurs politiques sur la nécessité de professionnaliser le métier d’artiste à travers un document de politique culturelle contraignant ;
Former les artistes et les chefs d’orchestres sur la nécessité de signer des contrats d’artistes ;
Créer un mécanisme de suivi et d’évaluation efficace capable de faire avancer la situation sur le terrain.
Les artistes musiciens ne sont pas seulement concernés par le contrat qu’ils doivent signer avec les groupes musicaux mais aussi avec les producteurs.
Les contrats entre artistes et producteurs
Cette partie comprend trois éléments suivants : le contenu des ces contrats ; leur application et les perspectives d’avenir pour améliorer l’application de dits contrats .
le contenu des contrats
Il s’agit d’analyser le contenu des contrats qui sont soit des contrats de production scénique, soit des contrats de production discographique. Il ya des dispositions communes aux deux catégories et des dispositions spécifiquesà chaque catégorie de contrat.
Dispositions communes.
Dans ces contrats, l’artiste cède ses droits à un producteur soit pour la fixation de son œuvre ou de son interprétation dans un support audio ou audiovisuel par un producteur ; soit le droit de représenter une œuvre musicale par un spectacle vivant dans une salle ou dans un studio ; il peut aussi arriver que le producteur utilise un artiste-interprète dans un studio d’enregistrement à l’occasion de la fixation d’une œuvre musicale.
Dans tous les cas, la législation en vigueur en RDC ( l’ordonnance-loi N° 86 / 033 du 05 avril 1986 portant protection du droit d’auteur et des droits voisins en RDC) a prévu à son article 36 les conditions de cession d’une œuvre de l’esprit par le créateur : ces conditions sont notamment : la détermination du domaine et du mode d’exploitation de l’œuvre, de la durée du contrat, du nombre d’exécutions ou d’exemplaires à fabriquer, la rémunération ( le montant et le mode de paiement), la clause de modification ou de résiliation du contrat. Pour les artistes-interprètes, la loi laisse aux parties la liberté de déterminer les clauses du contrat c’est à dire le montant du cachet de l’artiste et le mode d’exploitation de son interprétation. La loi en vigueur est muette sur les limites territoriales du contrat et sur la rémunération forfaitaire : dans d’autres pays africains, la loi a déterminé la possibilité de délimiter les limites territoriales du contrat et la possibilité de la rémunération forfaitaire.
Au-delà de ces dispositions susmentionnées, il y a dispositions spécifiques à chaque contrat
Dispositions spécifiques à chaque contrat.
Les règles spécifiques au contrat de production discographique: Le contrat de production discographique est celui par lequel l’auteur d’une œuvre le droit de fixer cette œuvre sur un support audio ou audiovisuel. Ce contrat peut se confondre avec le contrat d’édition lorsque le producteur reçoit aussi le mandat de dupliquer l’œuvre en plusieurs exemplaires et d’en assurer la diffusion. Le producteur aura ainsi l’obligation de recruter en collaboration avec l’auteur les artistes-interprètes pour exécuter l’œuvre en studio en vue de son enregistrement sur un support ; par la suite, sauf stipulations contraires du contrat, le producteur devra assurer la duplication du produit fini en plusieurs exemplaires et de sa distribution sur le marché moyennant rémunération de l’auteur et des interprètes qui ont travaillé dans le studio. Le nombre de ces contrats a sensiblement baissé depuis les années 1980 à cause de la fermeture de deux sociétés de pressage des disques à Kinshasa (Mazadis et Izason)[1].
Les règles sur le contrat de production scénique: Ce contrat est un contrat de représentation qui permet à un entrepreneur ou producteur de spectacles d’utiliser le répertoire d’un créateur des œuvres lors d’un spectacle vivant (concert, récital, festival, carnaval), ou pour un spectacle radiodiffusé. Le producteur du spectacle de payer à l’auteur des œuvres utilisées une rémunération proportionnelle aux recettes de l’exploitation de l’œuvre et de veiller à ce que ces œuvres ne soient pas déformées pendant leur interprétation.
Quid de l’application de ces différents contrats ?
L’application des contrats de production
L’application de ces contrats dépend de plusieurs facteurs, notamment la bonne foi des parties, le niveau de formation des artistes, le rôle de l’administration et de la société de gestion collective des droits d’auteur.
La bonne foi des parties.
Les contrats constituent les lois pour les parties qui les ont signé : celles-ci doivent exécuter ces contrats de bonne foi : or, dans la pratique, la bonne foi des artistes est souvent abusée par les producteurs : ces derniers utilisent souvent leur puissance financière pour amener les artistes à ne pas les contrôler : souvent, les artistes ne peuvent pas contraindre les producteurs à leur rendre compte de l’exécution du contrat déjà ; cela arrive souvent contre les artistes jeunes : le cas du groupe musical « Africa folk » composé d’agents et étudiants de l’Institut national des arts est éloquent : ce groupe avait négocié un contrat verbal avec un producteur local en 2012 qui les a amené en studio ; après avoir fixé les œuvres sur un support sonore, il a promis d’aller améliorer la qualité du son du support en Afrique du Sud ; depuis lors, ce producteur n’a plus fait de compte rendu aux membres de ce groupe. Un autre producteur, très célèbre des années 1970 avait l’habitude de payer les artistes en nature (véhicules ou instruments) en échange de la production et de la distribution des œuvres des artistes congolais sans obligation de rendre sur le volume des recettes réalisées par la vente des supports.
Pour ce qui concerne la production scénique, les producteurs ont pris l’habitude de solliciter l’appui des sponsors afin d’éviter le risque de manque à gagner en cas de déficit de clients : ainsi, les sponsors tels que les sociétés brassicoles et de téléphonie en profitent pour leurs prestations publicitaires pendant ces spectacles offerts presque gratuitement au public ; les artistes ayant déjà perçu leurs cachets par le budget mis à disposition par le sponsor. Cependant, certains artistes célèbres continuent à bénéficier des contrats de production valables avec un public sélectionné avec les tarifs qui varient de 10 à 50 dollars américains par spectateur[2].
Un autre problème, c’est le refus des producteurs des spectacles de déclarer les manifestations qu’ils organisent auprès de la société congolaise de droit d’auteur et droits voisins ( Socoda) ; ce fait cause un préjudice énorme à la majorité des artistes et créateurs qui doivent aussi vivre des redevances sur l’exécution publique des œuvres et les prestations d’artistes.
Le niveau de formation des artistes
Le faible niveau de formation des artistes est aussi un handicap qui ne leur permet pas de signer de bons contrats avec les producteurs : d’où la nécessité d’organiser les séances de formation des artistes et des créateurs par le canal de la Socoda ou du Ministère de la culture et des arts sur tout le territoire national.
Le rôle de l’administration et de la Socoda.
L’Administration et la Socoda ont la mission d’accompagner les artistes dans la formation, l’encadrement et la supervision sur l’application des contrats avec les producteurs. Cela passe par la production des contrats- types en faveur des artistes, par l’élaboration des barèmes pour les prix des spectacles afin d’orienter les artistes et les producteurs.
Au regard de ce qui précède, il y a lieu de proposer quelques perspectives pour l’avenir.
Les perspectives d’avenir
Nous proposons que le Ministère de la culture et des arts adopte une loi déclarative de politique culturelle cohérente qui fixera les orientations précises sur les règles d’exploitation des œuvres de l’esprit et des prestations d’artistes ;
Quant à la Socoda, il ya lieu qu’elle accentue son action envers tous les entrepreneurs et producteurs des spectacles afin qu’ils soient identifiés et engagés avec la Socoda dans l’obligation de payer régulièrement les droits dus aux artistes en termes de droits de reproduction mécanique ou d’exécution publique dans le cadre des contrats qu’ils signent avec les artistes.
Quant aux artistes, nous suggérons qu’ils cherchent à se former au travers des institutions formelles (Institut National des arts) ou informelles.
Conclusion
Il y a lieu de constater que les artistes en République Démocratique du Congo n’ont pas encore la culture des contrats d’artistes avec les groupes qui les emploient: l’Etat devra encourager cette pratique des contrats grâce aux stratégies de formation et de sensibilisation des artistes au travers d’un document cohérent de politique culturelle ;
Quant aux relations entre les artistes et les producteurs, le constat est que les producteurs privilégient plus les productions scéniques plutôt que les productions des disques à cause de la piraterie ; ce qui ne favorise pas les jeunes talents qui devraient profiter des productions discographiques afin de se faire connaitre par un grand public.
Bibliographie
- Ordonnance-loi N° 86/ 033 du 05 avril 1986 portant protection du droit d’auteur et des droits voisins en RDC ;
- Yvon Laurier, « Rumbissimo : Rumba, Droit et Business », Books on demand, 2013, Paris.
- Interviews auprès des dirigeants de la Société congolaise du droit d’auteur et des droits voisins en date du 25 septembre 2013 à Kinshasa.
[1] Yvon Laurier Ngombé, « Rumbissimo : Rumba, Droit et Businness », éd. Books on demand, 2013, p. 26.
[2] Propos recueillis auprès des artistes membres du conseil d’administration de la société de droit d’auteur et des droits voisins ( Socoda) à Kinshasa en date du 25 octobre 2013.
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