L’Environnement musical au Sénégal
Par Amadou Bator Dieng
«Le Sénégal est un pays de cinéastes mais pas de cinéma» ces propos de l’ex-ministre de la culture Youssou N’Dour mettaient en évidence une réalité simple: le succès des réalisateurs sénégalais ne traduit pas forcement une bonne santé du 7ème Art (un pays qui n’a même plus de salles de cinéma). On peut dire exactement la même chose concernant la musique. Le succès de chanteurs comme Baaba Maal ou Ismaël Lô cache une réalité plus mitigée.
Si au fil des années, le Sénégal a vu naître plusieurs studios d’enregistrements, résorbant ainsi un gros déficit à ce niveau, il n’en demeure pas moins que le pays souffre d’un manque d’infrastructures musicales. Maisons de productions et de promotions musicales, salles de spectacles font encore défaut. Ce n’est pas tout. L’environnement juridique de la musique aussi reste à améliorer.
Studios d’enregistrements
Dans les années 1970, les artistes sénégalais se rendaient à Abidjan ou Paris pour enregistrer leurs albums. Aujourd’hui, ce n'est plus la peine. Les sénégalais ont beaucoup investi dans le domaine. Pour l’essentiel, ils sont artistes ou vivent de la musique depuis longtemps. L’un des plus célèbres est sans doute le Studio 2000 d’El Hadj N’Diaye devenu Origines. Il est aussi l’un des plus anciens. Il a eu à enregistrer plusieurs grands noms de la scène musicale sénégalaise. De Youssou N’Dour à Baaba Maal en passant par Thione Seck ou Omar Pène, tous ont eu à profiter des installations à l’époque uniques au Sénégal, des Studios 2000. Lancé en 1990, le Studio 2000 est donc une référence en la matière.
Autre référence: le studio Xippi, propriété de la star mondiale Youssou N’Dour. Comme le studio 2000, Xippi, voit le jour dans les années 1990 sous le nom de Saprom, précisément en 1992. C’est dans ce studio que sera enregistré Eyes Open qui sera nominé la même année aux Grammy Awards.
Parmi les studios reconnus, on peut aussi noter celui de Didier Awadi, icône du rap africain. Il a construit le Studio Sankara dans les années 2000. Construit parce que l’activiste a bâti pièce après pièce ce bijou qui fait la fierté du Sénégal. Également cité et admis, le studio Midi Music créé à la fin des années 1980 (c’était le premier Home-studio du pays) par Aziz Dieng et qui a contribué à l’éclosion de plusieurs artistes. AzizDieng était le président de l'Association des Métiers de la Musique au Sénégal (AMS) et le président du Conseil d'Administration du Bureau Sénégalais du Droit d'Auteur (BSDA).
Enfin, ces dernières années, une structure s’est imposée sur la scène musicale sénégalaise. C’est le studio Dogo de Mamadou Mbaye «Jimi» guitariste de Youssou N’Dour. Il accueille désormais une nouvelle vague de chanteurs tels Abdou Guité Seck, WaFlash de Thiès ou même des chanteurs confirmés comme Thione Seck dont le 19e anniversaire du groupe a été enregistré grâce aux ingénieurs du studio Dogo.
Naturellement, la liste n’est pas close, mais ces maisons citées semblent assez représentatives de ce qui se fait de mieux au Sénégal dans le domaine des studios d’enregistrements. Ajoutons pêle-mêle quelques noms de studios comme A2S-studio ou encore Youkounkoung, une structure animée par Fou Malade un rappeur qui compte et qui met sa structure à la disposition de la créativité d’une certaine banlieue dakaroise. Djegui Rails Records à Pikine également peut être cité dans ce cas.
Notons pour terminer sur ce chapitre, la prolifération des «Home-Studios». Grâce au développement des technologies de l’information et de la communication (TIC), les ordinateurs et les logiciels sont devenus plus accessibles. Dès lors, chanteurs et musiciens qui s’intéressent à la réalisation et à la conception de leurs œuvres peuvent dans un coin de leur chambre avoir leur propre studio et travailler sur leurs maquettes et sur divers projets.
Toutefois, l’industrie musicale sénégalaise a encore beaucoup de tares. L’une d’elles est le manque criard d’espaces et de lieux de concerts. À première vue, il y’en a. Mais force est de constater qu’ils sont mal structurés, pas adaptés et inaccessibles aux artistes.
Salles de concert & lieux de spectacles
Créé au début des années 2000, le Just 4 U est le prototype des endroits à démultiplier au Sénégal. Situé sur la célèbre avenue Cheikh Anta Diop à Dakar, le Just comme on l’appelle permet aux artistes de se produire régulièrement dans une ambiance after-work ou en soirée. Dans le même registre, il y’a aussi le Must, la Villa Krystal à Dakar, le Quai des Arts à Saint-Louis et récemment le Palais des Arts de Thiès (propriété du groupe musical WaFlash et inauguré en décembre 2007) offrent des espaces de production intéressantes. Cependant, une des particularités du Sénégal, c’est le fait que les artistes se produisent énormément dans les boites de nuit. Yeugoulene, le Madison, le Nirvana (dans le quartier des Almadies), le Thiossane (club de Youssou N’Dour) ou le Ravin (dans la banlieue dakaroise) sont autant d’endroits qui proposent de la variété sénégalaise et permettent aux chanteurs et groupes du pays de se produire. Il est évident qu’il n’y en a pas assez!
Au demeurant, ce qui manque aussi ce sont les méga-concerts car il n’y en a plus. Même Youssou N’Dour (avec ses moyens énormes) qui donnait des concerts géants dans les années 1980 – 1990, ne le fait plus. Pareil pour les concerts d’artistes étrangers. Fréquents jusqu’au milieu des années 1990, ces moments musicaux sont devenus rares pour ne pas dire inexistants (même si le FESMAN a sauvé les meubles). Pourquoi une telle reculade? Consultant et spécialiste de l’environnement juridique de la musique sénégalaise, Guissé Pène nous donne une explication.
«Entres les lourdes taxes, les cachets des artistes et les différentes charges liées à l’organisation qui incombent aux promoteurs de spectacles, il est devenu quasi-impossible de réaliser des bénéfices sur un concert. Les promoteurs ne s’en sortent plus» explique l’acteur culturel par ailleurs secrétaire général de l'Association des Métiers de la Musique (AMS). Pour lui, «il est impératif de revoir l’environnement juridique des organisations d’événements musicaux, afin d’inciter les promoteurs à renouer avec les concerts». Il s’agit aussi selon lui «d’encourager les artistes à être plus professionnels afin d’attirer des sponsors et annonceurs qui se tournent aujourd’hui exclusivement vers la lutte jugée plus dynamique»[i].
Dans cette optique, la prochaine loi sur les droits d’auteurs et les droits voisins semble être une excellente nouvelle.
Droits d’auteurs et vie d’artiste
Jusqu’à une date récente, c’était le flou total en ce qui concerne la répartition des droits d’auteurs. C’est en 2008 que l'Assemblée Nationale vote une loi en vue de renforcer les droits d'auteurs. Elle va consacrer deux nouveaux droits: les droits voisins et les droits de rémunération pour copies privées. Promulguée par le président de la République d’alors, on n’attend que son application même si, c’est une loi qui ravit tout le monde et qui permettra, à en croire les spécialistes, aux artistes et aux personnes qui tournent autour de la création musicale de vivre de leur art. Autrement dit, cette nouvelle législation va rapporter enfin de l'argent à de nouvelles catégories d'acteurs culturels. Un conseil d’administration a été mis en place, et un président élu, et ce conseil travaille depuis pour prendre le relais du Bureau Sénégalais du Droit d’auteur i[ii].
Au cœur de ce vaste chantier, un homme et pas des moindres: Aziz Dieng, ancien président de l'Association des Métiers de la Musique (AMS). Les droits d’auteurs et les droits voisins il en a fait le combat de sa vie. Depuis une trentaine d’années, le désormais conseiller technique au Ministère de la Culture, se bat pour la reconnaissance du statut de l’artiste. Dans une récente interview accordée au quotidien l’Enquête, il disait en substance : «L’artiste est un travailleur. Comme travailleur, il doit avoir les mêmes droits. Ainsi, il pourra endosser les mêmes obligations. Par exemple: cotiser pour sa sécurité sociale ou payer ses impôts»[iii].
La prochaine Société de gestion collective qui est entrain d’être mise en place ira dans ce sens et remplacera le Bureau Sénégalais des Droits d’Auteurs (BSDA). La nouvelle entité, en plus des auteurs, va prendre en compte les producteurs, les artistes et les interprètes. Tous ceux qui participent à la valorisation d’une œuvre pourront être concernés par les droits voisins. C’est une révolution. Une réponse aussi à la contrefaçon et au piratage avec la rémunération pour copies privées. Il s’agit d’une redevance qui sera appliquée à tous les supports analogiques et numériques, susceptibles d'enregistrer des œuvres de l'esprit.
Aussi, c’est un signal fort aux radios et télévisions souvent incriminées pour ne pas payer régulièrement les droits d’auteurs et qui pourtant sont de grandes consommatrices de musique. Désormais avec la nouvelle loi, une redevance leur sera appliquée. Partenaires incontournables de la musique, les télévisions et les radios ont un rôle important à jouer. Surtout quand on assiste à un boom audiovisuel avec plus d’une dizaine de radios à fort potentiel comme la RFM, Zik FM, Sud FM ou RTS pour ne citer que celles là (et autant de radios communautaires sinon plus). Ce boom s’étend aux télévisions avec la création de plus d’une demi-douzaine de chaines en l’espace de 3 ans. Parmi elles: TFM, SenTV. La première est celle de l’artiste mondialement connu Youssou N’Dour et la seconde appartient au promoteur de la radio ZikFM qui s’est spécialisée dans l’urbain. S’y ajoutent des télévisions comme la 2STV avec un net ancrage culturel.
D’après Aziz Dieng, «le partage des droits voisins se fera à parts égales, 50% pour les artistes-interprètes et 50%, pour les producteurs. Tandis que la rémunération pour copies privées sera répartie comme suit : un tiers pour les auteurs, un autre tiers pour les producteurs et la même chose pour les artistes-interprètes»[iv].
Le souci est de permettre enfin à l’artiste de vivre de son art et de ne plus mourir dans le plus total dénuement comme c’est souvent le cas pour certains. L’exemple de Laba Sosseh est encore vivace dans les esprits. Premier disque d’or sénégalais, il est mort sans aucune assistance financière. D’ailleurs 15% des sommes perçues au titre de rémunération pour copie privée seront affectées à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des titulaires de droit»
En attendant que les effets d’une telle loi se fassent sentir, les artistes sénégalais n’arrivent plus à produire de la qualité. Certains diront comment le peuvent –ils, s’ils ne vivent pas de leur métier? Ils ont raison. Aujourd’hui nos artistes tournent en rond. Même les tournées à l’extérieur du pays ne sont plus lucratives. À part Youssou N’Dour, Baaba Maal et Ismaël Lô, tous les artistes sénégalais lorsqu’ils sont à Paris, Milan ou Durban, jouent devant un public de compatriotes immigrés. Leurs productions ne touchent personne contrairement à la musique malienne qui collectionne les Grammy Awards et les succès internationaux. Pour un pays connu pour sa diversité culturelle et sa richesse historique cela fait désordre.
En résumé, une lueur d’espoir est née avec la promulgation de la prochaine loi sur les droits d’auteurs car tout le monde espère qu’elle va changer beaucoup de choses. Entre autre la promotion et la valorisation de la diversité culturelle. L’idée est, selon les concepteurs de la prochaine loi, de donner du souffle à l’économie créative et encourager les artistes.
[i] http://www.baobabafrique.com/interview/guisse-pene-on-ne-peut-pas-etre-u...
[ii] http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=3728...
[iii] http://www.lagazette.sn/abdoul-aziz-dieng-conseiller-technique-n-1-du-mi...
[iv] http://www.lagazette.sn/abdoul-aziz-dieng-conseiller-technique-n-1-du-mi...
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