L’industrie de la musique en Namibie: son histoire et ses institutions
Par Shishani Vranckx
Malgré 25 ans d’indépendance, la structuration du secteur de la musique n’en est qu’à ses débuts. L'héritage colonial a creusé un écart socio-économique et politique au sein de la population affectant le développement de l’industrie de la musique namibienne. La rareté des connaissances technologiques, des compétences organisationnelles et le financement font défaut jusqu’ici. Bien que les 10 dernières années voient un soutien législatif et la naissance des institutions de soutien aux artistes, la mauvaise gestion perturbe le bon fonctionnement et le développement du secteur. Les artistes namibiens sont toutefois en première ligne des efforts déployés pour promouvoir l’industrie en distribuant leur musique en Namibie et ailleurs. Les institutions gouvernementales, les entreprises et le secteur privé investissent lentement mais sûrement dans les arts namibiens comme le démontre les énormes évolutions au cours des cinq dernières années.
La musique namibienne pendant le colonialisme et l'apartheid
La présence coloniale influence les diverses cultures musicales de la Namibie. Les missionnaires introduisent les hymnes, les colonisateurs allemands introduisent les instruments à vent en cuivre et la musique classique occidentale et l'Afrikaner ou «Boers» introduit le « langarm » (une danse populaire) et la musique «Oompah». Les namibiens s’approprient et modifient ces influences musicales pour créer la sienne. Nous retrouvons aujourd’hui différents styles musicaux en Namibie, à la fois modernes (internationaux) et traditionnelles (autochtones). Pendant la période de la christianisation (à partir de 1870) et sous le régime de l'apartheid (1948-1990), les expressions culturelles des différents groupes ethnolinguistiques en Namibie - Nama, Damara, San (Bushmen), métisse, Basters, Herero, Aawambo, Himba, Tswana, Caprivien/ zambézien et habitants du Kavango – sont opprimées et dépouillées. Bon nombre de ces traditions musicales disparaissent ou sont sur le point de disparaître. La musicologue namibienne, Dr Minette Mans, affirme cependant que les traditions musicales n’ont pas complètement disparues, mais se sont sans doute transformées en de nouveaux styles à travers un processus d'adaptation et d'appropriation (Mans 2003: 115).
La migration joue un rôle majeur dans le processus historique de la musique namibienne. Le colonialisme allemand (1890-1918) catalyse le génocide des Hereros et Namaquas (1904-1908). Sous la domination sud-africaine (1918-1990), le système de sous-traitance institutionnalisé, comparable à l'esclavage, démantèle complètement les structures sociales du peuple namibien. Les hommes sont contraints de travailler loin de chez eux, laissant femmes et enfants dans les villages. De nouvelles formes de vie et d’expressions artistiques se développent sous le système du travail forcé et les processus d’urbanisation. Le brassage des populations donne naissance à de nouvelles formes d'expressions créatives, souvent influencées par la musique populaire américaine et sud-africaine.
Comment la musique est diffusée et quels types de musique se propagent sur le territoire namibien est sous contrôle stricte durant l’apartheid. La radiodiffusion atteint la Namibie assez tardivement, avec la radio à partir de 1956 et la télévision en 1981. La radio ne diffuse en langues autochtones qu’à partir de 1969 car « réservée aux blancs » depuis 1956 et ne diffusant qu’en anglais et en afrikaans. Toute musique portant des messages critiques à l’encontre des autorités est interdite. Le reggae, par exemple, est interdit. Seuls le gospel, la musique romantique et la musique de fête ou ‘party music’ des États-Unis et de l'Afrique du Sud sont diffusés et distribués à travers le pays. Le peuple namibien est longtemps isolé des musiques populaires du reste du continent et d’ailleurs (le reggae par exemple) suite à cette censure.
L'industrie de la musique namibienne après l'indépendance
Depuis l'indépendance en 1990, l'industrie de la musique namibienne évolue progressivement vers ce que nous connaissons aujourd'hui. Il y a actuellement quelques 20 labels de musique en Namibie[i]. La plupart de ces labels appartiennent à des artistes, en raison de l’absence de label adéquat et du manque de gestion globale. Les promoteurs et managers compétents sont rares en Namibie ou alors manquent d'expérience dans le domaine n’offrant que de la qualité médiocre. Ce dernier aspect étant considéré comme l’un des problèmes majeurs des artistes namibiens encore aujourd'hui.
La distribution de la musique namibienne est très limitée à l'échelle mondiale. On peut aujourd’hui acheter de la musique namibienne à travers les artistes eux-mêmes (aux concerts) ainsi que dans les supermarchés locaux, les auberges, les bars, les boutiques et les shebeens. Il est cependant trop facile de trouver et d’acheter de la musique namibienne comme on peut l’imaginer et beaucoup de gens - en particulier les touristes - critiquent cela. Depuis la montée de l'Internet, la plupart des magasins de CD ferment et le CD n’est qu’un article secondaire à côté des instruments de musique, livres et autres marchandises. Jusqu'à 2014, la boutique de musique sud-africaine Musica (implantée en Namibie) refuse de vendre de la musique namibienne, perçue comme de la production de mauvaise qualité. Les albums de Lize Ehlers sont les premiers sur les étagères de Musica suivant la création de Desert Digital Distribution[ii], une entreprise dédiée à la distribution numérique et physique de la musique namibienne. Les artistes namibiens se lancent désormais dans la vente de musique en ligne, bien que l'achat en ligne soit rare.
La capitale Windhoek est le centre musical du pays, offrant le plus d’opportunités en termes de prestations sur scènes, de grands événements, d'enregistrement, de promotion et de la mise en réseau. Presque toutes les institutions artistiques, les radiodiffuseurs, les manifestations artistiques et l’enseignement artistique sont centrés à Windhoek. Malheureusement, il y a un manque de décentralisation et les zones rurales souffrent encore d'un manque d'investissement, qui nous l'espérons changera à l'avenir.
La législation et les institutions
En 2005, le Conseil National des Arts de la Namibie (NACN)[iii] est fondé suivant la Loi sur le Fonds national des Arts n ° 1 de 2005 dans le but de soutenir la musique, l'artisanat et autres formes d'art de la Namibie. La fonction principale du NACN est de distribuer les fonds aux artistes namibiens et organisations artistiques sur une base représentative tout en adhérant aux principes de l'accès, de l'équité, de la qualité et de la démocratie. Même si le NACN soutient divers projets et événements, une mauvaise gestion depuis sa création entrave son travail. On constate cependant une croissance des investissements dans l’art ces cinq dernières années, grâce au soutien financier des établissements publics comme le NACN et le Théâtre National de la Namibie (NTN)[iv], ainsi que les secteurs corporatifs et privés. Par exemple, le concours Last Band Standing organisé par le NTN facilite la visibilité médiatique et la promotion de groupes depuis 2011. Song Night[v], fondé en 2010 par Lize Ehlers, est une plate-forme qui s’engage à faire découvrir les nouveaux talents. Trustco Star Performer, un show de talents diffusé à la télévision, débute en 2013 et offre également une couverture médiatique précieuse aux artistes.
Plusieurs syndicats d'artistes voient le jour depuis l’indépendance en 1990, pour relever les défis auxquels sont confrontés les artistes namibiens. Cependant, la plupart échouent ou cessent leurs activités pour cause de mauvaise gestion. En 2013, l’Artist Revolution Trust Namibia (ARTNAM)[vi], une organisation communautaire dirigée par des artistes, née de la nécessité de faire face à la situation actuelle. Les défis structurels et d’ordre financier poussent les artistes à développer le secteur suivant leurs propres initiatives. En 2014, le Namibian Music Industrial Union (NAMIU)[vii], reprend ses activités après une absence de plusieurs années suivant sa création en 2000. Son objectif est de promouvoir et de protéger les artistes namibiens.
En termes de prix de la musique, le premier concours Music Makers, un événement biannuel, a lieu en 1984. En 2003, le premier Sanlam Music Awards a lieu et est succédé du Music Award Sanlam-NBC après la fusion de Music Makers de la NBC et du Sanlam Namibia Music Awards. Le Sanlam-NBC Music Awards a lieu en 2004, 2005, 2006, 2009 et 2010. En 2011, le prix annuel d’excellence en musique (NAMA) remplace ce dernier et devient le plus grand événement musical annuel du pays.
La société namibienne des compositeurs et auteurs de musique (NASCAM)[viii] est chargée de la réglementation des droits d'auteur et les paiements de redevances aux artistes, mais les irrégularités entravent son bon fonctionnement.
La scène musicale namibienne est relativement dynamique. Il existe différents festivals annuels de musique, notamment le plus important, le festival de jazz de Windhoek[ix] qui accueille des célébrités internationales. D'autres festivals incluent Namrock, Hart van Windhoek, la journée mondiale de la musique et le festival /Ae//Gams. Des foires annuelles proposent également des spectacles, y compris dans les petites villes. Malheureusement les divergences entre artistes locaux et internationaux en matière de promotion et d’honoraires lors de ces événements suscitent le ressentiment des artistes namibiens et reste un sujet de débat.
En dehors du modèle traditionnel de la vente et de prestations musicales dans les salles et lors de festivals ; les réceptions privées, les fêtes d’entreprises et les fonctions politiques fournissent également un revenu aux artistes namibiens. Par exemple, le gouvernement de la SWAPO aurait respectivement payé 2,5 millions de dollars namibiens (210 000 $) à Gazza et The Dogg - les plus célèbres artistes kwaito de la Namibie – durant leur campagne en 2014 relevant de la notion de «politainment». Cette décision controversée provoque la frustration des artistes, même si aucune mesure concrète n’est prise pour remédier à la situation.
Outre les défis existants, les récentes initiatives des institutions musicales décrites ci-dessus, suivant l’explosion culturelle actuelle de la Namibie, offrent l'espoir d'un avenir meilleur pour la musique namibienne.
Les références
Mans, M. 2003. Re-examining Liberation in Namibia: Political Culture since Independence. Edité par Henning Melber. Stockholm: Nordiska Afrikainstitutet, p.115.
[i] Les labels namibiens incluent: Done Deal Records; Tripple Seven (777) Records; Welwitchia Music Production; Gazza Music Production (GMP); Ogopa/Butterfly Entertainment; Dark Doggs Entertainment; Okinikini Records; Omalaeti Music; Optimistic Entertainment; Mshasho Productions; Lungstarr; Lowkey Records; Lash Attractions; Yaziza Entertainment; Nam Dubstep Productions; M Records, Rockaz; Omulilo Production; Oupsyu Productions; and Backdoors Productions.: Done Deal Records; Tripple Seven (777) Records; Welwitchia Music Production; Gazza Music Production (GMP); Ogopa/Butterfly Entertainment; Dark Doggs Entertainment; Okinikini Records; Omalaeti Music; Optimistic Entertainment; Mshasho Productions; Lungstarr; Lowkey Records; Lash Attractions; Yaziza Entertainment; Nam Dubstep Productions; M Records, Rockaz; Omulilo Production; Oupsyu Productions et Backdoors Productions. [ii] www.facebook.com/pages/Desert-Digital-Distribution/746368988735476 [iii] www.facebook.com/pages/National-Art-Council-of-Namibia/222734991076490 [iv] www.ntn.org.na [v] www.facebook.com/pages/Song-Night/230472703702004 [vi] www.facebook.com/pages/Artist-Revolution-Trust-Namibia-ART-Nam/200013556... [vii] www.facebook.com/namibiamusic [viii] www.nascam.org [ix] www.windhoekjazzfestival.com.na
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