L’industrie du disque à Madagascar
Par Maminirina Rado Andrianaivomanana
Madagascar possède une industrie du disque qui arrive à s’imposer sur le marché local. Ce texte est un état des lieux de l’industrie musicale locale et un aperçu de son développement.
Les pionniers
La mémoire populaire malgache a fait des années 1960 la genèse de l’ère du disque à Madagascar. Mais il faut remonter dans les années 1920 pour bien comprendre son histoire. A cette époque, le disque était encore au format 78 tours, déversant des tubes populaires européens, surtout français. Sauf que le disque en format 78 tours, tout comme le graphophone, le matériel pour le faire tourner, étaient tous importés d’Europe, d’autres pays africains ou des îles alentours.
Vers 1929, les grandes firmes Odéon et Columbia se sont tournées vers Madagascar pour les premiers enregistrements des chansons folkloriques des autochtones. Une année plus tard, le Musée de L’Homme s’y est mis à diffuser ces enregistrements autochtones à l’exposition coloniale à Paris en France en 1931 ; c’est l’ère du Gramophone, tandis que sur le continent africain les morceaux locaux en production locale rivalisaient déjà avec les tubes venus de l’étranger sur les 78 tours.
Discomad à la conquête du marché malgache
Durant cette période, les De Commarmond, une famille coloniale française va accélérer les choses. Arrivé en premier à Madagascar pour le compte de Polydor, Raoul de Commarmond fini par s’y installer vers 1937. Il met en place un studio de pressage de disque au cinéma Métro en 1953, les disques étaient de marque Decca. En 1960, la famille De Commarmond crée Discomad un label qui enregistrera et produira la majorité des vedettes locales. Le même label faisait aussi le pressage des œuvres discographiques étrangères qui avaient un succès au Madagascar
L’ère glorieuse des 45 tours
Dans les années 1960, le premier grand bouleversement arrive chez Discomad avec le format de disque 45 tours. Bouleversement également avec le tourne-disque portable de marque Philips ou Teppaz qui faisait rage auprès des jeunes branchés de la capitale Antananarivo. La musique devient plus facile à consommer, l’écoute est plus libre.
Mais il a fallu la moitié des années 1970 pour voir un autre label venir bousculer Discomad. Une deuxième maison de production voit le jour en 1976 à Antananarivo, les éditions musicales Kaiamba. Discomad avait la réputation de donner l’avantage aux styles occidentalisés des artistes provenant des Hauts Plateaux. Les éditions Kaiamba préférait plutôt les groupes des régions maritimes, notamment l’est et le sud-est de Madagascar. C’était une appréciation quelque peu faussée. Mais pendant presque une trentaine d’années, Kaiamba et Discomad étaient les seules maisons de disque digne de ce nom à Madagascar. Les artistes des autres régions de la grande île devaient donc tous venir à la capitale pour pouvoir sortir un disque, occasionnant des coûts supplémentaires.
La révolution des cassettes audio
Dès lors, les années 1990 annoncent l’arrivée des cassettes ou des bandes magnétiques. L’autre particularité des studios de cette époque, c’est que les ingénieurs du son, pour la plupart des firmes sont des autodidactes. Très vite, Discomad met tout en œuvre pour suivre le mouvement. La maison de disque change d’appellation et devient le studio Mars. Tandis que Kaiamba s’essoufflent et jettent l’éponge. Seul survivant de ce bouleversement, le studio Mars règne en maître sur tout le pays.
Le format bande magnétique ou cassette devient la norme en vigueur à Madagascar. Comme toujours, c’est la famille De Comarmond qui se trouve en première ligne avec le flambant studio Mars. Il y a eu d’autres studios, mais sans grandes ambitions. Ils étaient juste des multiplicateurs de cassettes. De plus, nul ne sait s’ils étaient déclarés à l’Office malgache du droit d’auteurs (Omda) ou non. Beaucoup disent que les studios multiplicateurs d’œuvres ont beaucoup inspiré les premiers pirates à Madagascar. Le piratage artistique qui plus tard est devenu le grand malheur de l’industrie du disque malgache.
Les nouveaux arrivants
Avec les années 1990 arrive aussi l’éclosion de nouveaux courants musicaux. Des studios comme Sre et Nada, spécialisés dans la production de disque voient le jour. Ces deux principaux studios étaient les premiers concurrents, assez sérieux de Mars. Suivait alors, Rafale 2000, qui a sorti des perles comme le fameux groupe Tritra, l’un des précurseurs de la musique contemporaine malgache. Il y avait aussi le studio Horo avec à sa tête le pianiste Arly Rajaobelina. Les frères Dida et Ntsoa Andriamifidimanana ont été les pionniers de l’industrie du disque à Toamasina, la capitale économique située à l’est du pays, en créant le studio Ravinala.
Durant la même période, arrive Do Sol, qui est considéré comme le meilleur concurrent de studio Mars. Cette maison de disque arborait un nouvel esprit dans l’approche artistique et musical. Plusieurs artistes qui se sont attachés à Mars ont vite fait de se tourner vers ce nouveau venu. Le studio Mars fini par mettre la clé sous les portes en 2012. Certains labels importants comme Libertalia Music Records, une maison de disque qui accompagne les jeunes artistes parmi lesquels Tsiliva, ce jeune chanteur donne des spectacles à Madagascar et dans les autres pays africains. Le format CD n’a guère changé le paysage, les labels Mars et Do Sol tiennent le haut du pavé. Dans les autres régions et grandes villes du pays, les maisons de production n’existent pas encore. Il fallait toujours que les artistes des zones côtières rejoignent la capitale pour pouvoir sortir leurs œuvres.
Les ingénieurs du son célèbres
Kelly Rajerison, membre fondateur du groupe de rock les Pumpkins, à la fois ingénieur du son, a fait partie de ceux qui ont fait les beaux jours de Discomad. Plus tard, quand la maison de production a pris le nom de studio Mars, avec la production en cassette, c’est Bivy qui a été le plus remarqué dans ce travail d’ingénieur du son. Ce dernier est passé chez Do Sol à la fermeture de Mars.
Dans les autres firmes comme Do Sol, ce sont Mamy Dôsa, Vévé et Naly qui ont été chargés de la partie ingénierie sonore. Dernièrement, le studio Miritsoka a vu le jour. C’est une grosse production qui possède l’un des meilleurs ingénieurs du son de la capitale, Poum. Le plus reconnu des ingénieurs du son en ce moment c’est Daddy Miandrisoa, qui a ouvert une maison de production à son nom. Il produit la majorité des stars de la variété malgache.
L’autoproduction grâce aux nouvelles technologies
L’industrie du disque malgache a connu un boom énorme ces vingt dernières années. Le phénomène de l’autoproduction est venu remettre tous les chronomètres à zéro. Il suffit d’avoir un logiciel, un ordinateur, un microphone performant et le tour est joué. La facilité dont les artistes se produisent actuellement est à l’image de la musique malgache actuelle. Les facilités apportées par les logiciels spécialisés dans le son a vraiment bouleversé l’industrie du disque national. De plus, les autres régions de l’île peuvent suivre et concurrencer la région centrale et la capitale. Des labels se créent, comme Gasy Ploit, dans le rap, l’un des plus en vus dans le pays. Ce sont les artistes de ces boîtes eux-mêmes qui s’improvisent en ingénieurs du son. Ce qui explique l’invasion du genre dance hall mâtiné de groove africain et aussi des riddims, ces instrumentaux gratuits téléchargeables sur le web.
Sources : « Madagascar et l'Afrique. Des liens et des appartenances historiques », Didier Nativel et Faranirina Rajaonah – Editions Karthala, 2007 « Le tsapiky, une jeune musique de Madagascar: ancêtres, cassettes et bals ... », Julien Mallet – Editions Karthala, 2009 « Madagascar la musique dans l’Histoire », Mireille Mialy Rakotomalala – Editions Anakon 2003 Entretien avec Dida Randriamifidimanana, promoteur culturel et Fanaiky, musicien professionnel
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