La musique malienne en exil
Par Oualid Khelifi
La musique malienne est acclamée depuis des décennies sur les scènes les plus éclectiques du monde. Des dizaines d'artistes, profondément enracinés dans leurs coutumes ancestrales, exportent la musique de ce pays enclavé au cœur du Sahel bien au-delà des frontières nationales et continentales. Alors que les thèmes et les genres varient, l’essence même du message véhiculé reste néanmoins profondément attachée au terroir. Le conflit qui a frappé le Mali en 2012 - dont les répercussions se font encore ressentir aujourd'hui - pousse les anciens et les nouvelles générations de musiciens maliens sur les chemins de l’exil.
Le Festival au Désert
Suite à l'instabilité régnant au cours de ces trois dernières années, on s’attendait à l’annulation du Festival au Désert, un rendez-vous musical international basé à Tombouctou, fondée en 2001 par un collectif d'artistes maliens du Nord, mais l'équipe du directeur artistique du festival, Manny Ansar, refuse de céder. Quelques mois après les affrontements, en février et mars 2013, le Festival au Désert se penche sur une tournée itinérante à travers la Mauritanie, le Burkina Faso, le Niger et l'Algérie dans deux caravanes d’artistes, de militants et de fans, dont les routes finiraient par se croiser au sud du Mali. Alors que l'intervention militaire dirigée par les Français change les paramètres de sécurité de cette ambitieuse « alternative », l’édition en exil 2013 a lieu. La bannière du festival symbole de la non-violence et de la résistance culturelle à travers la musique et l'art prend une dimension internationale, regroupant des dizaines de concerts de solidarité et de mini- caravanes à travers le Moyen-Orient, l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord.
Vu la forte résilience que suscite la musique malienne en exil, le Festival au Désert continue d'accueillir – et sans interruption - ses éditions en exil malgré tous les obstacles rencontrés en route. En 2015, une caravane part du Festival Taragalte au Maroc et fait son chemin vers le sud en direction de la capitale malienne Bamako, et même plus loin jusqu'à la ville de Ségou pour célébrer la renaissance du rendez-vous musical annuel au Festival sur le Niger. En attendant le retour vers les dunes dorées de Tombouctou, la caravane de la paix de Manny Ansar présente des artistes maliens, africains et internationaux à Ségou.
Les artistes en exil
L’identité culturelle est un thème récurrent dans la musique malienne. Le fameux groupe touareg Tinariwen fait ses débuts en exil de l’autre côté de la frontière en Algérie. Pendant la rébellion touarègue des années 90, la plupart des membres du groupe fuient avec leurs familles vers la région de Tamanrasset, dans l’extrême sud de l'Algérie. Ces derniers, comme tant d’autres, animent des mariages et autres événements sociaux avant de rencontrer un succès international.
La diva malienne, Oumou Sangaré, qui a remporté un Grammy en 2011, ne peut ignorer la situation de son pays et participe non seulement à des dizaines de manifestations de solidarité et caravanes musicales dans la région du Sahel et ailleurs dans le monde, mais va plus loin en visitant les camps de réfugiés au Burkina Faso et dans d’autres pays voisins – en chantant, dansant et partageant les griefs de ses contemporains exilés.
Parmi les légendes « blues du désert », on note le multi-instrumentiste malien Ali Farka Touré, qui chante son village nordique, Niafunké, la culture et la tradition de son peuple et de la région.
Songhoy Blues
Songhoy Blues, un très jeune groupe malien de plus en plus engagé dans la résistance culturelle à travers la musique en exil, ressent pleinement l'influence de ces icônes de la musique malienne. Le groupe composé de quatre musiciens devient la figure emblématique de la lutte des musiciens en exil. Ils chantent leur pays et l'espoir avec des influences oscillant entre le blues saharien et le rock classique. Le groupe est d’ailleurs déjà en tournée en Europe et en Amérique du Nord. Les récents événements sont omniprésents dans leurs paroles.
En été 2012, quelques mois après les conflits ethniques dans le nord du Mali, le chanteur Aliou Touré rejoint les autres membres du groupe. Fuyant la violence, Aliou cherche refuge dans la capitale, Bamako, et constate que des artistes d'autres provinces sinistrées sont également poussés à l’exil. Le guitariste Garba Touré quitte sa ville natale Diré située sur le fleuve Niger, tandis que le bassiste Oumar Touré fuit les troubles de Tombouctou située plus en amont. Nathanaël Dembélé de Bamako rejoint les trois en tant que batteur et ensemble ils fondent Songhoy Blues.
(Lien vers Africa Beats de BBC – un reportage sur le groupe - Octobre 2014)
Aliou estime d’ailleurs que le titre de leur premier album, Musique en exil, sorti en 2015, illustre bien la création du groupe et sa vision. Les violents combats et l’interdiction des fondamentalistes de jouer d’un instrument, rendent la vie et la musique de plus en plus difficiles. «Nous sommes donc également devenus des mercenaires - de la musique ! Nous avons animé des mariages et des spectacles dans les bars des rues de Bamako. Nous aimons notre musique, mais il nous a fallu survivre loin de chez nous et de la famille. Ce fut en effet la musique en exil », explique Aliou, en rajoutant qu’il rentra chez lui après plus de trois ans en exil.
Le nom du groupe ne peut être dissocié de la crise en Afrique de l’ouest. Aliou explique : « Songhoy est une référence à l'empire du 16e siècle, temps de nos ancêtres, qu’ils soient originaires de ma ville du nord, Gao, ou de la capitale, Bamako. On dit que la musique a le pouvoir de nous réunir comme dans le passé. »
Oumar Barou Diallo - l'oncle du guitariste Garba et ancien bassiste de feu Ali Farka Touré - annonce au jeune groupe que des musiciens et producteurs internationaux sont à Bamako sous la bannière du projet de collaboration Africa Express. Cette rencontre conduit Songhoy Blues sur la scène du Festival de Roskilde au Danemark en Juillet 2015 aux côtés de Damon Albarn, Nick Zinner et d'autres musiciens de renom, avec notamment la reprise du tube "Should I Stay or Should I Go" de The Clash, qui revêt un nouveau sens dans le contexte de la musique malienne en exil.
Fin 2013, Songhoy Blues joue à Londres où les membres du groupe rencontrent l'équipe de tournage d'un film documentaire sur la musique malienne en exil, ‘They Will Have To Kill Us First’ dans lequel ils interprètent les personnages principaux. Depuis, la visibilité internationale du groupe ne cesse de grandir, notamment avec le lancement du film au prestigieux Festival du Documentaire de SXSW aux Etats-Unis, au début de 2015, où le groupe d’Aliou se produit sur scène. Ils se produisent également à Glastonbury au Royaume-Uni en Juin 2015.
"La première chose qui a retenu notre attention lors de nos premières tournées, sont les Africains à l'étranger. J’ai remarqué que certaines personnes vivaient bien dans leur pays d'exil alors que d’autres se trouvaient dans une situation précaire - mais tous avaient ce fort sentiment de nostalgie", souligne Aliou en parlant du tube ‘Soubour’, un mot qui signifie ‘patience’ en songhaï. "Dans tout ce que nous faisons, nous invitons le public à être soubour – laisser le temps au temps." Songhoy Blues espère porter ce message aux masses africaines et à la jeunesse du Mali en particulier.
Aliou admet que même si le public international sympathise et soutient avec enthousiasme le groupe, il ne peut totalement saisir les nuances derrière les paroles et les aspirations de son groupe. Le chanteur estime que ' Soubour', entre autres titres, trouvera écho chez les maliens et africains de la diaspora – notamment les réfugiés. «Je rencontre des africains à l'étranger, je vois des familles séparées, des enfants nés dans un endroit où ils sont peu ou pas exposés à l'héritage de leurs parents d’où l’importance et l’urgence de la musique en exil. Il s’agit de préserver une culture, pour survivre, même loin de sa terre natale. Nous croyons que nous pouvons le faire à travers la musique », nous confie Aliou.
Dans le dernier titre de leur album, intitulé tout simplement ‘Mali‘, Songhoy Blues demande à la jeune génération ce que les pères fondateurs du Mali penseraient de l'état de la nation aujourd'hui. «Nous avons un pays jeune et vaste et une richesse culturelle incroyable, héritée de nos grands-parents et ancêtres,» explique Aliou. «Oui, nous pouvons apprécier et célébrer cet héritage, mais il est de notre devoir de le protéger, dans le but de rétablir la paix et l'harmonie au Mali.»
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