Le hip-hop en Centrafrique
Par Julien Le Gros
Retracer l'histoire du rap en République centrafricaine est une gageure. La documentation déjà disparate pour les autres traditions musicales centrafricaines l'est encore plus pour ce mouvement culturel, de plus de 30 ans d'existence.
Par la situation très particulière de ce pays à l'industrie musicale précaire il n'est pas facile de reconstituer la scène hip hop centrafricaine, moins structurée que dans d'autres pays de la région comme le Cameroun ou le Gabon. De fait, cette recension ne prétend en aucun cas à l'exhaustivité.
Des origines difficiles
En 1982 Bassé Freddy alias Galère suprême, originaire du quartier Castor de Bangui, un des pionniers du pays, découvre la culture hip hop à travers le graffiti puis se met au rap. Dans les années 90 il a assisté à un concert du rappeur français MC Solaar au CCF (actuelle Alliance Française) de Bangui.
Les pionniers populaires du mouvement sont : Paps, Mc Pakito, Boris Dédé sombo (Ol' wa), Docteur Soglo... Le premier festival de rap (Festi rap) a été organisé en 1997 par Guy Thierry Alima propriétaire du Studio Jowice, le premier à produire des K7 originales. La même année le groupe Sewa Soul sort le premier album de rap commercialisé. Son titre « Baissez vos armes » tourne alors en boucle sur la radio Ndeke Luka et est classé au hit parade Kilimandjaro sur la radio Africa n°1. Le groupe a aussi été le premier à s'exporter en participant au festival MASA en Côte d'Ivoire en 1999.
Une scène rap plus visible se forme dans les années 2000 avec la compilation Bango's rap 1. Bangos Rap 1 est une compilation de rap banguissois regroupant les principaux rappeurs de la capitale centrafricaine: Secteur O+, Le Staff, Sons of Sun, Kotangbanga, Black Bino, Bravo, Mac Siot et les groupes FM16, Cwa Soul, El Shamma, Duké Klan ou Klan 235.
Certains d'entre eux s’imposent sur les festivals hip hop d'Afrique centrale comme le Gabao Hip Hop.
En 2007, l'Alliance française de Bangui lance le Sümä Hip-hop (rêve en sango).
Le premier festival centrafricain de Rap prend de l'ampleur pour sa deuxième édition en avril 2008 placée sous le parrainage du rappeur sénégalais Didier Awadi, de Fredy Massamba et de Saintrick, artiste du Congo Brazzaville vivant au Sénégal. Ce festival a attiré plus de 12 000 personnes(1).
Parmi les rappeurs locaux qui ont joué au festival Suma Hip-Hop, Achap et Obob Montana de Secteur O+, ont prestés avec Didier Awadi.
Obob Montana, rappeur underground qui a vécu en France un temps à la Cité des Francs-Moisins (93) Balthazar Guevara de Sons of sun en référence au Che Guevara ne mâche pas ses mots sur le régime de François Bozizé, alors en fonction, devant le caméra du rappeur Gaël Faye (2): « Ces hommes politiques sont des voleurs de deniers publics. Nous on crache la vérité » assène-t-il.
Son acolyte Pap III de Sons of sun scande: « Y a pas la démocratie à Bangui, y a pas les droits de l'homme à Bangui y a pas la liberté d'expression. A Bangui la presse n'a plus la bouche pour parler Bangui ville de ma naissance, Bangui ville de ma souffrance. Bangui ville des grèves, des voleurs, des braqueurs et des pilleurs.»
Docteur Nitro du groupe le Staff vient du quartier populaire banguissois de Suma Kodro(3) qu'il décrit comme « chaud avec des keufs un peu partout » « Au départ on faisait de l'égo trip freestyle et à un moment on a décidé de dire des choses engagées ».
Selon lui le ministère de la culture et l'Ambassadeur de France qui étaient à l'événement ont dû sortir à cause « des vérités crachées » par le Staff et le Secteur O+.
Cette même année le groupe Top Oubanguien (référence à l'Oubangui-Chari) a été sélectionné pour le festival Gabao hip-hop. En mars 2009, lors de son séjour à Bangui, Gaël Faye a enregistré un titre avec le très bon MC Black Bino qui rappe en sango (une des langues locales en Centrafrique), Bravo et Mac Siot.
On remarque aussi sur le titre avec Gaël Faye, Mary, une des rares rappeuses du pays, en dehors de Mamy Wata qui vit en France, et surtout Laetitia Zonzambé, ex rappeuse du Duké clan qui poursuit une carrière de chanteuse au Canada.
En 2005-2006 Alain Kaniki, constatant lors de kermesses le talent des artistes urbains centrafricains a investi dans un petit studio, AKK Productions, qui a vu passer plusieurs rappeurs de la place.
Né à Bangui en 1983, ayant grandi à Bria, d'une mère belge et américaine et d'un père centrafricain, Armani Kombot-Naguemon alias Boddhi Satva est un beatmaker international réputé.
Il a côtoyé tous les rappeurs du pays avant de se tourner vers la « house » (un courant musical électronique lancé par les DJs). S'il est sans doute le Centrafricain le plus connu à l’étranger il n'a jamais oublié son pays natal où il a ouvert un studio.
Centrafricains de France
Daniel Lakoué alias Dany Dan du groupe français de rap Les sages poètes de la rue est d'origine centrafricaine. Dans le dernier album des Sages poètes de la rue « Art contemporain » sorti en mars 2017 le rappeur qui a grandi avec ses deux compères Zoxea et Melopheelo à Boulogne-Billancourt fait référence pour la première fois dans une rare introspection à son père centrafricain venu en France sur le titre « Papa india », avec la chanteuse d'origine camerounaise Valérie Belinga aux choeurs: « C'est un hommage pas une dédicace que je rends à monsieur Lakoué ».
De son côté Daddy Lord C alias Clarck Ebara rappeur du célèbre groupe français la Cliqua, est originaire de la ZUP du Mont-Saint-Martin à Nemours en Seine-et-Marne. Il n'a pas oublié ses racines centrafricaines et a participé en 2013 à un concert de soutien à son pays d'origine organisé à Mantes-la-Jolie, en région parisienne.
Son frère Jo Dalton alias Jérémie Maradas-Nado est le leader du célèbre gang chasseur de skinheads de banlieue parisienne des Black Dragons. Ce fils d'un ancien sénateur de la Vème République a quitté la Centrafrique à l'âge de dix ans, sa famille étant menacée de mort par le régime de Bokassa. Jo Dalton et sa famille se sont installés à Grigny dans l'Essonne en 1981.
Le rappeur Lyon's, oncle de Daddy Lord C; a grandi à Sevran, quartier de Rougemont dans le 93. Il a créé en 1990 les 3 coups avec Monsieur R et sorti un maxi mythique « Check la devise en 1995.
Il raconte son passage dans son pays natal la Centrafrique où il a été expulsé en 1996, pendant les mutineries de l'armée contre le président Ange-Félix Patassé: « Je suis arrivé en Centrafrique en plein coup d’état. J’essaie de faire ma place tant bien que mal dans ce chaos. Il faut prendre tes repères. C’était un autre monde, je ne connaissais plus rien de ce pays que j’avais quitté à cinq ou six ans. J’étais devenu trop propre pour le pays, un étranger.
On m’appelait « le Français » De fil en aiguille, je commence à savoir où sont les studios, je vois des groupes qui essaient de se monter… Ma chance, c’est d’avoir sorti un disque en France. Au pays, j’étais le premier rappeur centrafricain connu. Je fournissais les dernières nouveautés hip-hop. Les 2 Bal et R étaient en train de percer en France.
On les voyait sur MCM (une chaîne de télévision musicale). On m’invitait dans les endroits VIP. J'essayais de mettre des choses en place : des festivals, des petits concerts… J’ai bossé avec deux ou trois groupes qui sont aujourd’hui les plus gros groupes de rap en Centrafrique. Mais j'ai dû partir pour la Côte d’Ivoire parce que ça pétait! » (4)
Nouvelle génération
En 2011 dans un registre commercial sort le clip « Bê ti guinza » d'AKS production qui promeut un rap centrafricain plein de positivité. Le clip a été réalisé par Lassa Kossangué, très connu à Bangui pour ses clips d'artistes urbains centrafricains de ndombolo local tel Capitaine Zuele Zuele ou Ozaguin.
Suite à la guerre civile de 2013, certains rappeurs comme Mohamed Saleh ont aussi prôné la réconciliation lors d'un concert symbolique à PK5. Par ailleurs, en 2006, dans le quartier de Sica Benz-V de Bangui le groupe engagé MC fonctionnaire naît autour de son leader Petrus. Un de leur opus s'intitule... « 623.000 Km2 de vérité », référence à la superficie du pays.
Parmi eux Merveille Parfait Gonikara alias Veyzo commence une carrière intéressante en solo avec une première mixtape engagée: « Les coups de feu sont entrain de se calmer un peu, le jeune centrafricain est entrain de se battre pour sa survie. » estime t-il.Veyzo.
Contrairement à nombre d'artistes centrafricains il n'envisage pas de quitter le pays: « J'ai appris beaucoup de choses en vivant deux ans au Cameroun. Je ne vais pas aller faire le clochard en France. Je suis un rappeur centrafricain, mon combat est ici ! ».
Dans un registre plus « bling bling » Soldiier fait de l'afro-trap à la sauce centrafricaine sur le tube « Jouer » avec Sparrow et Lawal izii-Ala Sigui, qui a cartonné l'an dernier.
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(1) Source site Afrisson (www.afrisson.com), mai 2007 Un article de Sylvie Clerfeuille
(2) Lors d'un projet atelier d'écriture avec l'Institut français de Bangui en mars 2009 Gaël Faye a fait un mini-documentaire sur le rap à Bangui
(3) en sango le kodro est un mot qui désigne à la fois l'espace lignager, le village et le quartier où l'on réside dixit Marie-France Adrien-Rongier dans « Les kodro de Bangui, un espace urbain oublié » paru dans Les cahiers africains en 1981
(4) Interview accordée au site Abcdr du Son ((www.abcdrduson.com) en avril 2016
(5) Source: Réseau des journalistes pour les droits de l'homme de Centrafrique Propos recueillis par Juvénal Koherepede en décembre 2016
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