Le musicien ghanéen Kyekyeku met le palmwine au goût du jour
Artiste aux multiples facettes, Kyekyeku fait partie de la nouvelle génération de musiciens combinant la musique traditionnelle ghanéenne, le palmwine à l'afrobeat ou au highlife. Un melting pot inspiré de légendes telles que Fela Kuti ou Gilberto Gil. Nous l'avons rencontré à Abidjan lors de sa participation au MASA 2016. Découvrons ici à travers cette interview, les multiples facettes de ce guitariste très prometteur, qualifié par CNN de « sorcier de la guitare ».
- l'artiste Kyekyeku
- Kyekyeku sur scène lors du MASA 2016. (Ph) Roberto Valussi
D'emblée que signifie Kyekyeku et qu'est ce qui t'a motivé le choix de ce nom d'artiste ?
Kyekyeku est un très vieux nom traditionnel au Ghana venant des Akans. Il s’agit du surnom utilisé pour le nom Oppong (Qui est l’extension de mon nom de famille), mais personne ne connait vraiment la signification du nom. Ceci donne une idée de mystère et ce que j’ai aimé à propose de ce nom en le choisissant en tant que nom d’artiste.
Pour moi, il symbolise le fait que nous perdons beaucoup de notre héritage culturel et sa signification dans la vie. En tant que musicien, j’ai toujours fait des voyages dans le passé pour rechercher les styles anciens oubliés donc ce nom est en accord avec mes idées musicales. Un jour, j’espère que je rencontrerai une dame âgée dans un village qui pourra m’en expliquer la signification exacte.
Parle-nous un peu du palmwine et de tes influences dans le genre ?
Le palmwine (vin de palme) est un type de boisson issu du palmier, qui est apprécié dans les régions forestières d’Afrique de l’Ouest. Mais il s’agit aussi du nom donné à un type de musique qui a été créé et existe dans un contexte dans lequel les villageois s’asseyaient, buvaient du vin de palme et discutaient. C’est donc entièrement acoustique, simple mais qui pourtant démontre la musicalité des vieux agriculteurs, chasseurs ou buveurs.
C’est la première démarche artistique qui utilise la guitare pour jouer des mélodies, des rythmes et modes qui sont typiques de la musique traditionnelle (folk) africaine. Ceci donne au style un caractère d’originalité mais aussi d’innovation. En fait, le style permet de chanter d’une façon traditionnelle, converser, raconter des blagues et des histoires sur de simples passages en guitare acoustique.
Que cherches-tu principalement à exprimer à travers ta musique ?
Ma musique met l’accent sur la nécessité d’être conscient des problèmes de société et est une réflexion sur les choses qui doivent être dites et non pas gardées sous silence, afin de pouvoir trouver des solutions et améliorer l’expérience de notre vie, tels qu’une mauvaise atmosphère politique, la mauvaise propagande religieuse, la discrimination envers les sexes.
Aussi sur la compréhension traditionnelle Akan de la vie et comment cela peut s’appliquer dans la vie moderne. Des idées qui peuvent nous aider à s’amuser sont aussi très importantes pour moi, telles qu’être joyeux, danser, sourire et être un peu fou.
Récemment, je trouve mon inspiration dans la vie de village dont j’ai eu l’expérience en grandissant avec ma grand-mère où nous nous douchions toujours dans une salle de bain extérieure, sans toit, le sol étant fait de pierres, avec des plantes qui poussaient dans la salle de bain, et en y repensant, je pense que ces styles de vie, que nous avons perdus, étaient assez thérapeutiques et organiques pour se libérer du stress, en comparaison avec les salles de bains d’aujourd’hui, fermées, avec du carrelage et qui sont chères à construire. Alors il est très important pour moi de revenir à un style de vie plus simple et organique.
En parlant de ta musique, peux-tu nous résumer brièvement ton processus créatif ? Comment composes-tu tes morceaux ?
Il n’y a pas un processus ou modèle unique mais beaucoup d’idées et de mélodies me viennent quand je me déplace dans les rues animées d’Accra et en empruntant les vieux Tro-Tro (minibus) branlants. Acoustiquement, je crée à partir d’une guitare et de percussions car il s’agit des deux aspects principaux de musicalité et ensuite vient l’idéologie – comment exprimer un certain sentiment et discours. Enfin, je laisse le temps, la chance et les sentiments agir pour donner forme à la musique.
Combien d'albums ou de morceaux as-tu à ton actif ?
J’ai autoproduit mon premier album, Higher Life on Palmwine qui est mon unique album pour l’instant, et très cher à mon cœur. Mon catalogue personnel contient plusieurs morceaux qui doivent encore être compilés sous forme d’album. J’ai également produit un nombre d’œuvres d’artistes fantastiques du Ghana dont Poetra Asantewaa, Wanlov the Kubolor et Villy and the Xtreme Volumes.
Selon toi, quel devrait être le rôle de l'artiste au sein de la société Africaine contemporaine?
Le rôle de l’artiste n’a pas beaucoup changé dans le temps, les artistes sont la voix de la communauté et la société, ils expriment ceux que tous ont peur de dire et ils poussent leurs réflexions dans des directions que les gens ont peur d’explorer. Ce rôle devrait pourtant rester primordial. Ils devraient avoir la liberté de s’exprimer quel que soient le médium et la discipline artistique. De nos jours, ils ont aussi le rôle de vendre de la visibilité en se ralliant à des causes (ce qui n’est pas une mauvaise chose), mais ceci devrait être utilisé pour promouvoir le rôle premier de l’artiste.
En parlant du continent Africain, quels pays as-tu déjà visité et quels souvenir gardes tu ?
L’Afrique de l’Ouest est géniale. L’Afrique en concentré ! La Côte d’Ivoire, c’est le pays que je préfère après le Ghana parce qu’ils ont des liens culturels très forts avec le Ghana à travers la culture Akan. Toutefois, je trouve étrange que tout le monde y parle français et que très peu de langues africaines sont entendues dans les rues d’Abidjan, contrairement au Ghana où les langues africaines sont les plus parlées. Le futu est mon plat préféré !
Le Nigéria : c’est un peu la version 2.0 du Ghana en vérité, j’y suis né et j’y suis allé pour jouer pendant le festival « Felabration » en 2014. Le Nigéria me rappelle toujours le pire et le meilleur du Ghana mais aussi mon enfance. Jusqu’à maintenant, je ne comprends pas pourquoi ils n’ont pas utilisé une autre couleur que le vert dans le drapeau. Jos est la ville où j’ai respiré pour la première fois.
L'Egypte : J’aime cet endroit magique ; j’y ai joué pour la Journée de l’Union Africaine au Caire en 2013. Tout me semblait comme dans un livre de conte de fées. Entrer dans une des pyramides de Gizeh était comme faire un oyage dans le passé. La chaleur était intense mais la musique tellement bonne et le jus d’orange frais, le meilleur au monde. Ils sont un gros problème pour le Ghana à cause du football.
L’Afrique du Sud est un lieu charmant. Cape Town est le plus bel endroit où je suis allé jusqu’à présent en Afrique. J’y ai mené un projet avec Kabawil e.V et les paysages y étaient merveilleux. L’océan est incroyablement beau depuis le Cape Agulhas et les pingouins très mignons. Je dois dire que Cape Town est vraiment l’Europe en Afrique. Je pense qu’il y manque un peu l’atmosphère des rues africaines mais c’est vraiment l’esthétique future pour la plupart des villes africaines.
Togo et Bénin : Nos voisins, j’ai été surpris de traverser ces deux pays adorables en une heure. J’aime le Bénin ; vous pouvez y voir la présence du Vaudou partout et c’est beau de voir que les gens sont encore imprégnés des anciennes religions africaines.
Si tu devais décrire l'Afrique tel que tu la ressens en trois mots, ce serait lesquels ?
Incomprise ; Belle ; Futur.
Comment as-tu vécu l'expérience du MASA 2016 ?
Le MASA a été une très bonne expérience pour moi, j’y ai lié beaucoup de contacts et amitiés. Il y eut sans aucun doute beaucoup de succès et difficultés. Pour la deuxième fois au MASA après 10 ans, j’y ai vu beaucoup d’améliorations. Mais aussi, parce qu’il s’agit d’un marché, les artistes sont un peu confus ne sachant s’ils jouent pour des professionnels tels que des diffuseurs ou un public normal. En conclusion, ça a été une bonne expérience. Je voudrais féliciter l’équipe du MASA pour le travail effectué.
As-tu trouvé le public francophone réceptif à ta musique ?
Le sens de l'appréciation du public francophone est incroyable. Au Bao Café et au Parker Place où j’ai aussi joué, nous avons eu un très bon accueil. Je suis vraiment impressionné et heureux de ceci. Au MASA, nous avons joué très en retard et le public avait l'air un peu fatigué, mais encore ils ont toutefois bien réagi. Le public de Parker Place, pourtant connu par les amateurs de reggae, était si réceptifs à la musique Highlife et sons Afrobeat semble que beaucoup ont dansé lors du concert.
Quels artistes Africains écoutes-tu en ce moment ?
Blick Bassy (Cameroon), Villy and the Xtreme Volumes (Nigeria), Pat Thomas, Koo Nimo, Adofo and Alex Konadu (Ghana), Cesaria Evora (Cap-Vert), Gangbé Brass Band (Bénin), Habib Koite, Fatoumata Diawara (Mali)
Quels sont tes projets en cours?
Je suis impatient de participer au projet artistique Framewalk en Allemagne et d’y rencontrer des artistes de Haduwa, au Ghana. Je travaille actuellement sur le prochain album et planifie des concerts en Afrique et ailleurs. Je prévois aussi sur l'utilisation de films courts pour raconter certaines histoires sur mes origines. Je commence à incorporer certains instruments dans mes performances solo et donc je répète beaucoup pour trouver une connexion à ces instruments.
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