Les femmes dans la musique en Guinée équatoriale
Par Syra Sylla
En Guinée équatoriale, la musique généralement est une affaire d’hommes. Exception faites des femmes griots. L’exposition publique, les tournées musicales, les sorties tardives pour cause de concerts, autant de critères qui ne collent pas au statut de femme dans la culture équato-guinéenne. Mais une poignée de femmes a réussi à se faire entendre et briser les barrières de la tradition.
Valoriser la femme à travers la musique
Les lois en Guinée équatoriale sont officieusement régies par le poids de la tradition : mariage coutumier, polygamie, obligations assignées aux femmes… la tradition ne laisse aucune place à l’émancipation des femmes. Les mariages précoces et grossesse à un très jeune âge privent beaucoup de jeunes filles d’éducation. L’intégration de la femme dans les secteurs sociaux, économiques ou même politiques est minime. Et le secteur musical ne fait pas exception. Ainsi, on trouvait à l’époque peu de femmes chanteuses ou musiciennes.
Valoriser les femmes et tendre vers une égalité hommes-femmes sont deux éléments essentiels au développement de la Guinée équatoriale, y compris le secteur de la musique.
Les ambassadrices de la musique équato-guinéenne
À travers la musique, certaines femmes ont ouvert la voie, ce qui leur permet de sortir du schéma traditionnel.
Ces femmes engagées sont également les meilleures ambassadrices de la Guinée équatoriale sur le continent et au-delà. Leur arme de combat : leur voix. Donner du pouvoir aux femmes, dénoncer les injustices, favoriser l’estime de soi, valoriser la culture équato-guinéenne… autant de luttes que des femmes puissantes ont mené grâce à la musique et à leur talent inné. Présentation de quelques femmes qui ont révolutionné la musique équato-guinéenne.
Nelida Karr
Chez Nelida Karr, la musique est une affaire de famille. Fille du musicien Samuel Karr, celle qui a hérité du surnom majestueux de « Diva de la Guinée équatoriale » a vu son enfance bercée par la musique bubi (langue et musique locale), les chants religieux et les percussions. À 15 ans, Nelida composait ses premiers morceaux après s’être initiée à la guitare et au piano. À 20 ans, la chanteuse équato-guinéenne sort son tout premier album, Ewerawera.
« La culture équato-guinéenne est très profonde. Elle se perd aujourd’hui car les jeunes ont le regard tourné vers l’Occident, les États-Unis. Peu de gens savent que notre pays a beaucoup à offrir sur le plan culturel. »
Faire perdurer la culture équato-guinéenne à travers sa voix… C’est dans ses origines, et c'est avec la plus grande fierté, que Nelida y puise son inspiration.
C’est cette culture qu’elle souhaite promouvoir grâce à ses compositions. Et elle a su faire parler son talent en utilisant plusieurs langues. On peut ainsi retrouver ses morceaux en anglais, français ou aussi espagnol mais également en bubi, fang ou igbo.
En 2012, sa carrière prend un nouveau tournant quand elle est invitée à interpréter l’hymne officiel de la Coupe d’Afrique des Nations dans son pays au Stade de Bata. L’année suivante, elle sort Batobiera en Espagne. Ce deuxième album lui permet de figurer parmi les finalistes du Prix Découverte RFI. Dans la foulée, elle devient l’une des révélations de la musique d’Afrique Centrale et trouve son nom dans des classements de référence.
Artiste incontournable de la scène équato-guinéenne, Nelida Karr est choisie pour collaborer avec Joss Stone. Embarquée dans un World Tour musical historique (plus de 190 pays), la chanteuse anglaise produit une chanson en collaboration avec un(e) artiste local(e) à chaque escale.
En 2017, son expédition l’amène en Guinée équatoriale. Et sur place, c’est avec Nelida qu’elle décide de collaborer. En bubi, guitare à la main, Nelida Karr, son groove et sa voix puissante accompagnent alors l’une des chanteuses soul anglo-saxonnes les plus réputées.
Dans son troisième album, Nelida se livre. Résultat : des titres plus personnels. Son style reste le même. Une voix soul teintée de ses différentes influences musicales transmises par son paternel. Sorti il y a deux ans, Influencias, comme les deux précédents albums, revendique ses valeurs et les traditions de sa Guinée équatoriale natale. On y retrouve ses toutes premières chansons en français, Nelida souhaitant s’ouvrir au monde francophone. Un nouveau souffle pour sa brillante carrière.
Patrima
« Je défends la cause des femmes qui n’ont souvent pas les mêmes droits que les hommes en Afrique ». Dans une interview accordée au journal Le Monde, Patrima affirme sa volonté d’utiliser sa musique pour dénoncer. Violences faites aux femmes, polygamie… tous ces thèmes sont abordés par la chanteuse équato-guinéenne.
Comme dans « Lo siento » où elle fait référence à une femme qui a soif de vengeance face à un mari qui l’ignore. Référence musicale en Guinée équatoriale, Patrima est une adepte du machacando, une musique traditionnelle rendue célèbre grâce à Maélé.
À travers sa voix, Patrima ne cache pas sa volonté de faire bouger les lignes, lever les tabous et éveiller les consciences des femmes africaines : « En espagnol et en fang, je raconte leur sort afin qu’elles deviennent responsables d’elles-mêmes, qu’elles apprennent à s’assumer, à se défendre et à s’émanciper. L’indépendance de la femme ne se donnera pas, il faut l’arracher », explique-t-elle dans son interview au journal Le Monde.
Une touche de féminisme à peine dissimulée dans une musique traditionnelle assumée.
Las Hijas Del Sol
Dans le cas présent, c’est un tout autre lien de parenté qui unit les chanteuses de Las Hijas Del Sol. Originaires de l’île de Bioko, Paloma Loribo Apo et sa tante Piruchi Apo Botupa ont investi la scène musicale équato-guinéenne en 1992, après avoir participé à un concours au centre culturel hispano-guinéen.
Le public découvrait alors un duo d’artistes atypiques et engagées. La même année, Paloma et Piruchi faisaient la fierté de leur pays en tant qu’ambassadrices de la Guinée Équatoriale au festival OTI à Valence.
En 1995, leur premier album voyait le jour. Sibèba (« ce que vous voulez accomplir » en espagnol) allie chants traditionnels et folks bubis mais aussi flamenco en toute harmonie. Elles y évoquent et dénoncent la situation des immigrés équato-guinéens en Espagne.
Sibeba a rencontré un succès planétaire. De l’Europe aux Etats-Unis en passant par le Canada ou le Japon, les Hijas del Sol ont fait parler d’elles et des causes qu’elles défendaient.
Leur carrière musicale lancée, les Hijas Del Sol font une apparition dans le film comique espagnol Pecata Minuta. Leur succès leur permet de produire cinq nouveaux albums. Le titre « Ay Corazon », extrait de leur quatrième album Passeport Mondial fait un carton.
Les deux femmes se sont finalement séparées et poursuivent aujourd’hui leur carrière solo.
Betty Akna
C’est lors d’un concert donné en Espagne ( où elle a vécu pendant longtemps,) à l’occasion du 25e anniversaire du décès du pasteur afro-américain Martin Luther King que le public découvre Betty Akna, qui était alors une jeune choriste.
« Je me rappelle que j’avais beaucoup préparé ce concert-là et aussi que j’avais très peur. Mais à la fin, j'avais levé les yeux et m’étais rendue compte que tout tout s’était très bien passé et qu'on m'avait très bien accueillie », se souvient-elle.
Quelques années plus tard, la chanteuse est repérée par un missionnaire suisse lors d’une interprétation sur scène à Alicante (Espagne). Ce dernier l’encourage à se produire dans d'autres pays d'Europe.
Betty enchaîne alors les festivals et les spectacles. De l’Italie à la France, en passant par la Suisse, les Etats-Unis ou même le Nigéria, la chanteuse parcourt le monde grâce à son art.
Elevée à Barcelone, Betty Akna revient à Malabo (Guinée équatoriale) en 2009. Là-bas, elle utilise la musique comme outil de réinsertion pour les enfants et adolescents du pays. En 2012, elle interprète « Femme de Guinée » à l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations de football féminin.
Elle s’est créé une communauté de fans en se produisant régulièrement au pays.
Dans Lembo La Mbôka Ame, son dernier album paru en 2013, Betty Akna rend hommage à la Guinée équatoriale qui lui est si chère.
L’album est une fusion de sonorités traditionnelles, de jazz et de soul. Interprété en ndôwe (dialecte guinéen), espagnol, anglais mais aussi français, l'opus a été enregistré en Guinée Equatoriale.
Betty Akna a publié en février 2017 un clip vidéo intitulé « African Woman ». En 014, elle avait reçu une récompense dans la catégorie « Meilleure artiste féminine Afrique centrale » aux AFRIMMA .
Pili La Milagrosa
Pili La Milagrosa est une le nouveau visage de la musique équato-guinéenne. Après avoir revisité le bikutsi camerounais, la belle équato-guinéenne s’attaque désormais au coupé-décalé.
Originaire de Malabo, Pili La Milagrosa, née Maria Pilar N’Fonon, a déjà sorti 8 albums. Sollicitée au Cameroun, Espagne, Bénin, Gabon, la chanteuse veut conquérir toute l’Afrique, à partir d’Abidjan où elle compte installer son quartier général.
« Abidjan, la plaque tournante de la musique africaine est un passage obligé pour tout artiste du continent », avait-elle déclaré dans Vibe Radio Côte d'Ivoire en janvier dernier.
Etoile montante dans son pays, Pili veut conquérir le public ivoirien réputé exigeant. Et c’est chose faite grâce notamment à son dernier single « Por Favor Señor », un beat coupé-décalé à la sauce bikutsi, qui a fait le tour des médias du continent africain.
Amour, religion et vie quotidienne sont les thèmes récurrents de ses chansons interprétées en français, espagnol et même dans son dialecte natal.
La musique équato-guinéenne manque encore malheureusement de visibilité.
Cet article nous a permis de vous présenter des artistes féminines qui à travers leurs œuvres et leur engagement portent haut le flambeau de la culture de leur pays.
Références :
Le Monde Afrique : www.lemonde.fr/Afrique
Afrisson : www.afrisson.com
Institut français de Malabo : www.institutfrancais-malabo.org
RFI Musique : musique.rfi.fr
Ce texte a été mis à jour le 6 juin 2018 à 11:15
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