Les femmes doivent s’unir pour briser le plafond de verre
Le 8 mars dernier, le monde entier a célébré la Journée Internationale des droits de la Femme et comme d’habitude, Internet et les réseaux sociaux se sont remplis « d’hommages à la femme ». Malheureusement, les soi-disant hommages étaient le plus souvent sexistes, allant à l’encontre du vrai sens de la journée. Bien de gens, surtout en Afrique francophone, la considèrent à tort comme « la fête de la femme » ou « la journée des femmes », et en font l'occasion de célébrer leurs mamans, épouses, sœurs et toutes les figures féminines de leurs vies. Née au début du siècle aux États-Unis, l'idée d'une journée consacrée aux droits de la femme a continué à germer avec les luttes féministes pour le droit de vote des femmes un peu partout et notamment en Europe. Après avoir été célébrée sporadiquement à différentes dates dans plusieurs pays depuis 1909, elle a finalement été assignée officiellement au 8 mars en 1977, par l’ONU qui a exhorté ses pays membres à observer une « Journée des Nations unies pour les droits de la femme et la paix internationale ». Chaque année, la journée est assortie d’un thème ; celui de cette année est : « Penser équitablement, bâtir intelligemment, innover pour le changement ».
Ce 8 mars a été une nouvelle occasion pour le monde de réfléchir sur le statut de la femme dans la société, et pour nous à Music In Africa, sur la place de la femme dans l’industrie musicale africaine en particulier. Mais malheureusement chaque année, le même constat tombe : les femmes sont encore et toujours discriminées et reléguées à la seconde place.
Pourtant, elles semblent avoir toujours occupé une place prépondérante dans l'histoire de la musique sur le continent. Dans de nombreuses cultures, elles font vivre les musiques traditionnelles en tant que griottes, pleureuses, louangeuses, courtisanes etc.
Comme le montrent beaucoup de nos aperçus sur des genres musicaux spécifiques ou sur le rôle de la femme dans l’histoire musicale de quelques pays, on constate que beaucoup de femmes ont été pionnières de musiques populaires à travers le continent. C’est le cas de Sarah Binti Saad et Bi Kidude, pionnières de la musique Taarab en Tanzanie au début du siècle. Une continuité a d'ailleurs été observée dans les années 60-80 où beaucoup de femmes étaient souvent chanteuses principales de groupes célèbres.
« Nous (les femmes) nous sommes faites connaître dans l'industrie de la musique à travers le monde. Pourtant, l'inégalité entre les sexes, le sexisme et les écarts de rémunération persistent »
a déclaré Carole Kinasha, chanteuse tanzanienne et militante féministe, lors d’une séance de networking entre femmes artistes, en marge du festival Sahuti Za Buzara cette année.
« en Afrique, particulièrement en RDC, on retrouve des clichés à tous les niveaux. Des clichés souvent entretenus par les hommes et malheureusement par certaines femmes. On dit de la femme qu'elle est faible, incompétente et qu'elle doit dépendre de l'homme pour son épanouissement. À cela s’ajoute le manque d’accompagnement des femmes dans un secteur musical souvent dominé par les hommes. Toutes ces considérations sexistes qui visent à stigmatiser la femme doivent être combattues. »
De nombreuses artistes font régulièrement face à ces préjugés. Leur avenir dans leur profession dépend d’une poignée d’hommes. Pour encore paraphraser Carole Tinashe
« ce n'est pas que nous ne soyons pas assez talentueuses ; c'est que les décideurs sont tous des hommes.»
Une étude intitulée L’inclusion dans les studios d’enregistrement (publiée le 25 janvier 2018), menée par des chercheurs du think tank The Annenberg Inclusion Initiative (l’université de Californie du Sud), a passé en revue plus de 600 chansons sorties entre 2012 et 2017 et s'est intéressée au genre des chanteurs(ses), parolier(ières) et producteurs (trices). L'analyse révèle que seulement 22,3 % des artistes sont des femmes, avec en plus 12,3 % de parolières et 2,3 % de productrices.
Bien qu’il soit difficile d’obtenir des statistiques actuelles sur la présence des femmes dans l’industrie musicale africaine, on peut affirmer sans se tromper, que la situation est la même, voire pire.
Un autre obstacle majeur dont souffrent les femmes, est l’objectification et l’hyper sexualisation du corps féminin dans l’industrie musicale. Que cela soit dans les clips vidéo ou dans les medias en général, l’image de la femme est toujours stéréotypée et sexualisée. Les chanteuses doivent dans bien des cas mettre en avant leur charme pour se faire remarquer et vendre.
Ceci explique notamment pourquoi de nombreux parents sont réticents lorsque leurs filles veulent embrasser une carrière artistique. Nombreuses sont les artistes dont la carrière n’a pas décollé car elles ont refusé de se dévêtir pour entrer dans un certain moule et aguicher le public. D’un autre, côté de nombreuses chanteuses sont populaires sans réel talent, car elles réalisent juste les fantasmes d’une société machiste. Selon Magalie Palmira, manager d'artistes et opératrice culturelle gabonaise :
« certaines facilités ne sont accordées aux femmes dans le secteur musical qu’à condition d’accepter des liaisons amoureuses ou des avances sexuelles clairement proposées ou parfois sous-entendues.»
Il faut par ailleurs souligner la double l’injustice dont les femmes sont victimes : les medias nous bombardent d’images de bimbos pour vendre même un yaourt, les clips des artistes masculins sont remplis de vidéos girls et de références érotiques voire pornographiques, mais lorsque les chanteuses adoptent les mêmes codes, elles sont victimes de commentaires machistes, symptomatiques d’une société patriarcale qui entend maintenir les femmes sous un certain joug. Cette injuste est flagrante dans le rap/hip-hop.
Lorsque les rappeuses américaines Nicki Minaj et Cardi B se sont disputés dans un événement huppé new-yorkais l'an dernier, elles étaient plus décrites comme deux ados qui se crêpent le chignon alors que de nombreux rappeurs bâtissent leur carrière sur la tradition du beef et des conflits. Nicki Minaj est depuis un certain temps raillé pour son âge face à une Cardi B, beaucoup plus jeune. Nicki n'a que 35 ans et pourtant de nombreux rappeurs toujours adulés par le public ont presque la cinquantaine aujourd'hui.
L’âge ne concerne que les femmes apparemment.
En référence à l'étude* ci-haut évoquée, les femmes sont à l'échelle mondiale, moins présentes à tous les niveaux de la chaîne de créativité musicale. Ceci se constate aussi dans l’industrie africaine ; un des exemples les plus parlants est celui de la RDC.
Alors que dans les années 60,70 et même début 80 on avait de grandes références musicales féminines dans la rumba congolaise, telles Mbilia Bel, Abeti Masikini, Mpongo Love, Tshala Muana, la scène des années 90 à 2010, années de gloire du Ndombolo, a vu naître de grands orchestres exclusivement masculins, tels Zaiko Langa Langa, Wenge Musica, Quartier Latin, avec quelques danseuses exceptionnellement mises à l’avant.
Actuellement on assiste à une tentative de retour des chanteuses congolaises (lire ici le top 5 chanteuses rumba et afropop à suivre en 2019 ), mais le milieu rumba semble désormais être un club fermé, exclusivement masculin.
La tendance afropop/afrobeats semble être une nouvelle chance pour les femmes de reprendre les avant-postes. On assiste en effet à une éclosion de chanteuses depuis quelques années ; mais là encore, les femmes semblent avoir du mal à réellement s’imposer face aux hommes.
Des artistes comme Yémi Alade, Tiwa Savage du Nigéria ou encore Aya Nakamura (France) sont l’arbre qui cachent la forêt. Les Wizkid et Davido sont de loins mieux positionnés que les femmes. Ils sont plus présents dans les festivals locaux et internationaux, plus sollicités également pour les collaborations et de loin mieux rémunérés.
Finalement, le thème de cette année offre des pistes d’actions pour les femmes dans le secteur de la musique africaine :
« penser équitablement, bâtir intelligemment, innover pour le changement ».
Des politiques culturelles qui visent à promouvoir la femme dans les milieux artistiques doivent être urgemment et impérativement mises en place. De plus, une formation adéquate aux différents métiers de la musique leur est nécessaire pour comprendre le fonctionnement et intégrer ce secteur.
Les acteurs culturels de tous les genres, mais surtout les femmes, doivent exiger une certaine parité dans la gestion des événements de grande envergure comme les plus grands festivals du continent, réclamer une rémunération égale entre les deux sexes et surtout combattre et punir sévèrement les cas de harcèlement moral ou sexuel dont les femmes sont souvent victimes.
Et finalement, dans un milieu qui aime jouer sur la rivalité supposée naturelle de la gent féminine, les femmes dans le secteur de la musique africaine doivent s’unir et se soutenir mutuellement pour pouvoir rapidement briser ce plafond de verre et occuper la place qu’elles méritent.
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