Pit Baccardi : « l'Afrique doit s'adapter à la digitalisation de la musique »
Lyriciste à succès qui a fait les beaux jours du rap français vers la fin des années 1990, Pit Baccardi est désormais un acteur influent de la sphère musicale africaine. Il est depuis 2020, le directeur record & publishing du label Universal Music Africa.
Co-fondateur du Salon des Industries Musicales d’Afrique Francophone (SIMA) qui se tiendra pour la toute première fois du 17 au 18 novembre 2022 à Abidjan (Côte d’Ivoire), son dévouement pour le développement des musiques du continent est sincère. Entretien.
Bonsoir Pit Baccardi ; vous avez pratiqué la musique en tant qu’artiste dans un premier temps et désormais vous êtes engagé dans la production. Votre perception de l’art a-t-il changé avec cette reconversion ?
Bonsoir Jean ; je dois dire tout de suite que pour moi, absolument rien n’a changé !
La musique, quelle que soit la manière dont on la pratique, ne nécessite qu’une seule et même chose : la passion…
J’ai vécu cette passion intensément sur les scènes de spectacle antan, et je la vis toujours dans ma fonction aujourd’hui.
Être au-devant de la scène c’est très beau, c’est vrai - mais il y a également un plaisir immense à se mettre à l’arrière pour pousser les autres de l’avant.
Parlant de musique toujours - vers la fin des années 90, Pit, pour vendre vos œuvres, il vous fallait aller à la rencontre des gens et organiser des shows en physique ; mais aujourd’hui les choses se font de façon virtuelle. Cette situation vous effraie-t-elle ?
« Effrayé » n’est pas le mot que j’emploierais parce que primo, je suis convaincu que la dématérialisation du contenu musical n’entraînera jamais une digitalisation totale de la relation « artiste - public ».
Même si on s’enferme toute la journée dans un studio, le meilleur moment restera celui de rencontrer les gens à la sortie et de passer un peu de temps avec ses fans.
Aussi, je ne considère pas la digitalisation de la musique comme un problème, mais bien comme une évolution à laquelle il faut s’adapter.
Souvenons-nous qu’avant, il y avait le vinyle et la cassette ; l’arrivée du Compact-Disc (CD) dans le paysage musical avait été une vraie révolution en ce temps, mais il a juste fallu une période d’adaptation pour que tout le monde s’y familiarise.
C’est ainsi qu’il faut voir les choses aujourd’hui avec la digitalisation de la musique. Il ne faut pas la craindre, mais s’y adapter.
S’adapter au nouveau modèle – pensez-vous Pit Baccardi que le SIMA, le salon que vous avez co-fondé, pourrait faciliter ce processus en Afrique ?
Oui j’en suis convaincu Jean et c’est pour cela que ce salon est né…
La première édition du SIMA marquera, nous l’espérons, un premier grand pas vers cet idéal que nous poursuivons pour tout le continent.
J’ai une certaine connaissance et une expérience dans le domaine du recording/publising et mon collègue Mamby Diomande justifie d’une solide connaissance du secteur live de la Côte d’Ivoire et du continent africain.
Ensemble, nous avons travaillé à identifier les problèmes des marchés d’Afrique, et nous avons touché les plus grandes problématiques.
Nous avons fondé ce salon qui ne réunira pas que des professionnels de la sphère musicale, mais aussi des représentants de plateformes numériques, des banques et des opérateurs de téléphonie, pour trouver ensemble des modèles économiques adaptés à nos réalités.
En Europe par exemple, avec la digitalisation de la musique, tout le monde se sert de sa carte bleue pour avoir du son, mais ici, c’est surtout le mobile banking qui marche. Il faudrait donc trouver un moyen de placer ce système au cœur du business musical.
Aussi, chaque contexte africain a sa singularité ; les préférences et habitudes des consommateurs en Côte d’Ivoire, ne sont pas les même qu’au Sénégal. C’est pourquoi nous avons ratissé large et adressé un appel aux acteurs de toute l’Afrique, à venir participer à ce salon pour trouver des solutions encore plus inclusives et efficientes.
La digitalisation de la musique dont on parle, concerne tant la vente des œuvres que le spectacle live. Désormais, les concerts en ligne se multiplient. Comment appréciez-vous cela ?
Là encore, je pense et espère surtout que la diffusion en ligne ne mettra pas fin aux concerts physiques. Il faudrait plutôt considérer ce nouveau canal comme une alternative qui s'offre pour contourner certaines difficultés.
Dernièrement par exemple, Booba a donné un concert au Stade de France ; c’était un vrai événement que beaucoup de ses fans hors de l’Hexagone voulaient suivre.
Nous (Universal Music Africa) avons conclu des partenariats avec quelques opérateurs de téléphonie du continent, pour assurer la diffusion du concert dans 5 pays africains : la République du Congo, le République Démocratique du Congo (RDC), la Côte d'Ivoire, le Bénin et la Guinée.
Pour tout vous dire, l’audience a été plus grande que nous ne l’espérions, alors que nous n’avions eu que 3 jours pour faire de la communication et inviter les internautes africains à se connecter pour suivre le show. Cela montre qu’il y a des besoins réels.
C’est comme le grand concert que Fally Ipupa prévoit de donner prochainement au Stade des Martyrs de Kinshasa (RDC) - c’est un événement inédit et beaucoup de gens hors du Congo voudront forcément le suivre. Dans ces cas-là, la diffusion en ligne serait une bonne alternative…
La crise du coronavirus nous a permis de découvrir plus rapidement ces facilités offertes par Internet et aujourd’hui, on peut les utiliser à bon escient pour faire de belles choses.
Il y a la Guerre en Ukraine qui se poursuit en ce moment et on ne sait pas où elle nous mènera. C’est donc bien de savoir que l’on peut être en Côte d’Ivoire et dans des contextes difficiles, pouvoir donner un concert à une communauté lointaine.
Pit Baccardi, cela fait quelques années déjà qu’Universal Music Group a ouvert sa filiale africaine pour laquelle vous travaillez. Le label parvient-il à bien s’imposer sur le continent ?
Après 6 ans de présence en Afrique, si les choses étaient vraiment très compliquées, c’est sûr qu’on aurait déjà fermé nos portes.
Nous nous adaptons plutôt bien à notre contexte, mais il serait hâtif de tirer des conclusions après seulement 5 ou 6 ans d’activités. Il faudrait encore attendre, observer et surtout travailler.
Les mêmes problèmes que je rencontrais en indépendant tant au cours de ma carrière artistique que celle de producteur au Cameroun, sont ceux que je dois surmonter aujourd’hui avec Universal, mais à une toute autre échelle.
Cela signifie qu’il faudrait encore repenser la production et trouver les meilleures stratégies pour bien faire du business sur le continent. C’est un travail de longue haleine, mais nous devons pouvoir y arriver.
Vous avez longtemps travaillé sur la scène camerounaise et désormais vous êtes en Côte d’Ivoire. Quelle comparaison faites-vous de ces 2 grands marchés musicaux d’Afrique francophone ?
Pour son dynamisme économique et surtout pour la volonté politique en matière culturelle, la Côte d’Ivoire a un, sinon deux petits pas d’avance sur le Cameroun.
Mais le Cameroun reste, nous le savons tous, un important vivier à talents avec des gens qui savent se battre pour faire avancer les choses.
Ce que je dis vaut également pour des pays comme le Sénégal, le Congo ou encore le Togo et bien d’autres en Afrique francophone, dont les marchés locaux sont très dynamiques.
C’est pourquoi je le rappelle encore, les acteurs de tous ces pays devraient venir au SIMA pour qu’ensemble, nous travaillions pour le développement de nos industries.
Tout le monde est attendu à cette rencontre, il y aura des délégués d’Afrique et même des participants français aux origines africaines, tant pour les showcases de musique que pour les échanges professionnels.
Pour les éditions à venir, nous souhaitons même aller vers d'autres pays et pourquoi pas rendre ce salon itinérant...
Pit, nous arrivons à la fin de notre échange, doit-on s’attendre à vous voir bientôt sur scène ?
(Rires) Je n'ai jamais cessé d’écrire et de créer ; mais ma vie professionnelle exige beaucoup de mon temps.
Par moment, juste pour le fun, je fais de petites apparitions, mais « Pit Baccardi en concert », ce n’est pas prêt d’arriver dans les 2 ou 3 années à venir.
Par contre, je ne sais pas quand exactement, mais je ferai un retour sur scène pour un ultime plaisir…
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