Sénégal : la Sodav est-elle mal partie ?
Bouna Manel Fall a été démis de ses fonctions de directeur de la société sénégalaise du droit d’auteur et des droits voisins (Sodav). Il a été remplacé par Aly Bathily, jusque-là secrétaire général de ladite structure.
Depuis la mise en place récente de la Sodav, un constat s'impose : tous les signaux qu'elle ne cesse d'envoyer sont préoccupants.
Entre des musiciens qui ruent dans les brancards pour rentrer dans leurs droits, les accusations de Ngoné N'Dour présidente du conseil d'administration de la Sodav contre l'ex-directeur du Bureau sénégalais du droit d'auteur (Bsda) Mounirou Sy et maintenant la démission forcée de Bouna Manel Fall, il est peut-être temps de se demander ce qui se passe réellement à la Sodav ? Est-elle entre de bonnes mains ? N'est-elle pas mal partie ?
Une transition difficile
Le 4 février 2016, le président de la République du Sénégal, Macky Sall, autorisait la mise en place de la société de gestion collective gérée par les artistes eux-mêmes en lieu et place du Bsda sous contrôle étatique.
La cinéaste Angèle Diabang sera nommée présidente du conseil d'administration, le jeudi 13 mars 2016, avec un objectif précis : mener à bien la transition. Pourtant elle démissionnera six mois plus tard pour des « raisons personnelles » en estimant toutefois dans le communiqué annonçant sa démission : « de manière générale, toutes les étapes nécessaires à la mise en place de la Sodav ont été menées avec succès, sans moyens de fonctionnement, ni locaux de travail » (sic).
L'écrivain Seydi Sow, alors coordinateur du comité directeur de la Sodav assurera l'intérim qui aboutira à l'élection de Ngoné N'Dour en tant que présidente du conseil d'administration. Ce conseil à son tour désignera Bouna Manel Fall comme directeur.
Premiers signaux alarmants
Jeudi 6 octobre 2016, Mounirou Sy, directeur du Bsda et Bouna Manel fraichement élu, effectuent la passation de service marquant définitivement la prise de pouvoir de la nouvelle société de gestion collective.
Au cours de cette cérémonie, le directeur du Bsda se félicitera de la bonne santé financière du bureau qu'il a dirigé pendant 4 ans. « On part avec des comptes positifs qui avoisinent une somme qui pourrait permettre de procéder aux répartitions de la section musicale et même payer les salaires » dira-t-il.
Mais quelques semaines plus tard, les autorités de la sodav convoqueront la presse pour annoncer leur impossibilité à payer les artistes en pointant du doigt la gestion désastreuse du directeur sortant.
« Mounirou Sy a affirmé que le Bsda avait dans ses comptes bancaires la somme de 42 216 262 XOF (68 354,026 USD). Mais nous avons hérité d’une maison sans le sou. Nous n'avons rien trouvé dans les 9 comptes bancaires du Bsda. c'est la raison pour laquelle on n’a pas pu faire des répartitions pour les ayants droit » expliquera Ngoné N'Dour.
Elle révélera que l’ancien directeur du Bsda a prêté 82 000 000 XOF (132 780,04 USD) à son personnel et qu'à ce jour 6 252 528 XOF (10 123,70 USD) seulement ont été remboursés. Plus grave, il aurait multiplié par trois son salaire recevant ainsi 4 000 000 XOF (6 475,887 USD) par mois, plus la voiture de fonction, les 300 litres de carburant et les 150 000 XOF (242,846 USD) de crédit téléphonique mensuel. En plus des cotisations au fond de retraites jamais payées et de la dette colossale du bsda au Fisc sénégalais.
En conclusion, la Sodav est au plus mal et ne peut payer, pour le moment, aucun ayant droit à cause de la gestion gabégique de l'ex-directeur.
Que se passe-t-il réellement à la Sodav ?
Mais les problèmes ne faisaient que commencer pour la Sodav. En effet, quelques semaines plus tard, on apprendra que le nouveau directeur, Bouna Manel Fall est révoqué pour « fautes lourdes de gestion ». Il aurait dépensé 102 000 000 XOF (165 132,411 USD) sur 168 000 000 XOF (271 982,794 USD) récoltés en 3 mois - sans l’autorisation du conseil d'administration.
L'AIM (Acteurs de l'Industrie Musicale), une association regroupant des musiciens sénégalais juge, que c'est Ngoné N'Dour qui est incompétente, elle serait « en dessous de la fonction qu'elle occupe. C'est son manque de niveau qui est à l'origine du blocage des répartitions ». Pour l'AIM tout ceci ne serait qu'un complot et l'État sénégalais devrait impérativement apporter son arbitrage sur cette affaire.
Par contre l'AMS (Association des métiers de la musique), première organisation de musiciens du pays, par la voix de son secrétaire général, trouve la décision justifiée et dénonce « une tentative de déstabilisation de la nouvelle société de gestion collective » se posant la question de connaître les enjeux réels d’une telle démarche qui va jusqu’ à demander un arbitrage de l’État dans la gestion de biens privés ?
Ngoné N'Dour est-elle compétente ou pas ? Je n’ai pas la réponse. Est-elle sous influence de personnes tapies dans l'ombre comme le disent certains ? Je ne saurai le dire. La seule certitude dans cet imbroglio est que la Sodav est très mal partie.
On le voit bien, la société qui cristallise les espoirs de toute une corporation qui a longtemps souffert d'un manque d'organisation et de transparence dans la gestion de ses droits a du mal à réellement se mettre en place et jouer parfaitement son rôle.
Face à cette situation complexe, les ayants droit sénégalais devront encore prendre leur mal en patience et espérer que l'État, les autorités de la Sodav et les acteurs clés du secteur musical sénégalais se recentrent sur l'enjeu fondamental : le respect de la propriété intellectuelle au Sénégal pour qu'enfin les ayants droit puissent vivre décemment de leur travail.
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