Yekima De Bel’Art : « faire valoir le slam dans le pays de la rumba et du ndombolo, c’est le plus gros défi »
Depuis plus d’une décennie, Yekima Melo Costa, alias Yekima De Bel’Art, s’est fait un nom dans l’art de la parole en RDC. Aujourd’hui, il est le porte-drapeau et l’un des pionniers du slam congolais.
Pour Music In Africa, le natif de Kinshasa a fait le point sur sa carrière et les combats artistiques qu’il a eu à mener pour imposer son style, l' « AfroSlam ». Rencontre à Goma, en marge de la neuvième édition du Festival Amani.
C'est votre second séjour à Goma, cette ville à laquelle vous avez rendu hommage dans la chanson « Jambo Goma ». Qu’est-ce que Goma représente pour vous ?
C’est une ville pleine de vie, qui bouillonne car elle vit sous le volcan… (rires). C’est une ville que j’ai aimé tout de suite quand je suis venu en 2017. J’ai découvert une belle ville, mais surtout, il y a un mot que j’aime employer quand je parle de Goma, c’est le mot résilience. C’est ce qui caractérise les habitants de Goma. Et pour moi, c’est le plus beau mot en français. J’ai appris à aimer cette ville et, peut-être, je l’ai adoptée comme ma deuxième ville en RDC.
Vous avez animé une résidence avec une dizaine d’artistes-slameurs et rappeurs de la région des Grands Lacs. Vous avez aussi presté à la neuvième édition du Festival Amani à Bukavu. Sur quoi les échanges avec ces jeunes artistes de la RDC, du Burundi et du Rwanda portaient-ils ? Et comment avez-vous trouvé leur niveau artistique ?
Ces jeunes ont un très bon niveau. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais le niveau et l’ambiance humaine que j’ai trouvé m’ont énormément motivé. Cette rencontre était très importante pour moi afin de préparer et de passer la relève. C’était vraiment magnifique. Avec eux, on a travaillé sur le thème de l’espoir, car pour moi, ma devise, à part joindre la hache et la tête sans perdre pied (Sic) c’est aussi caresser le peuple dans le sens de l’espoir. Le peuple a besoin d'espoir, spécialement celui de l’Est de la RDC, qui vit depuis plusieurs années beaucoup d’atrocités. On a parlé de la contribution de l’artiste dans la cohésion nationale, dans le discours contre la haine et le vivre-ensemble. Ils se sont bien débrouillés avec des textes magnifiques.
Ça fait plus de 13 ans que vous faites du slam, parlez-nous de vos débuts ?
J’ai commencé le slam quand j’étais à l’Université de Kinshasa où je faisais mes études en droit. Au début, je croyais créer un style avec les textes que j’écrivais et que je gardais dans les tiroirs. C’est un ami qui m’a dit que ce style existait déjà, et que ça s’appellait slam. J’ai découvert le slam avec la série TV américaine « Desperate Housewives ». Il y avait une voix-off qui m’était éloquente et que j’essayais d'imiter. J'ai ainsi découvert que je faisais du slam sans le savoir. Après, j’ai commencé à bosser jusqu’à ce que je découvre des slameurs sous d’autres cieux. J’ai continué à travailler pour apporter ma touche. C’est alors que commencé à faire de l’Afro Slam. J’ai donné mon tout premier spectacle de slam congolais et au fur et à mesure, j’ai sorti des titres qui ont marché. Le mouvement est alors lancé. Jusqu’ici, je suis très content que le mouvement continue.
Vous êtes le pionnier de l’Afro Slam, quelle est la particularité de ce style et son rôle au pays de la rumba et du ndombolo?
L’Afro Slam, c’est simple : je puise mes rythmes dans ma culture afin de donner un parfum d’authenticité à mes textes. Mes poèmes ne sont donc plus réservés qu’aux oreilles, mais aussi aux yeux et aux mouvements du corps. C’est ce que j'appele "joindre la hache à la tête sans perdre pied". Nous les slameurs, c’est plutôt le côté cognitif qu’on exploite. Sur ma scène de l’Afro Slam, comme celle de Bukavu, vous venez, vous écoutez de la musique et vous dansez. En gros, l’AfroSlam, c’est de la poésie mais très musicale et très dansante. Ce sont les cadences et rythmes afro congolais associés avec les rythmes du monde. L’Afroslam pourrait donc être le chaînon manquant entre la musique africaine urbaine et l’oralité.
Et le surnom « Mr. Le poésident », d’où vient-il ?
C’est une contraction entre deux mots : poésie et président. Peut-être que l’on m’a surnommé comme ça, car on a vu que j’étais le président de la poésie.
En 2012, vous avez partagé la scène avec votre modèle, Jean Goubald Kalala, qu’est ce qu’il représente pour vous ?
À l’époque, alors que je n’étais même pas connu, il a accepté de partager la scène avec moi. C’est mon mentor car, il a cru en moi alors que je n’étais pas connu et le style n’était pas encore répandu. Il était pour moi une source de motivation.
Quelle est votre démarche artistique en tant que slameur ?
J'essaye de redonner de l'espoir au peuple et je suis aussi dans le divertissement, car ma musique est non préjudiciable à la santé et à l’éducation cognitive. J'éduque tout en divertissant.
Comment votre style d’AfroSlam a-t-il évolué durant votre carrière ?
Le style évolue bien et je rends grâce à Dieu pour cela. Je salue le public qui, au fur et à mesure, s’est élargi, cette famille qui s’est ragaillardie, de jolies rencontres…Je me sens dans mon élément et aujourd’hui, je suis convié à de grandes scènes comme le festival Amani, cela en dit long.
Pourquoi considérez-vous le slam comme une forme d’expression en RDC ?
Belle question. Si le slam n’existait pas en RDC, il aurait fallu l'inventer. Il faut le dire, quand tu poses une question à quelqu’un sur le slam, il te dit que c’est un style qui nous vient d’ailleurs. Mais les réalités dont se sert le slam pour se faire sont africaines, ce sont celles de nos pères griots. Moi, dans ma quête effrénée de quoi retourne mon style, j’ai découvert que l’oralité que l’on pratique dans le slam est africaine.
Quels sont les défis que vous avez eus à surmonter dans votre carrière jusqu’à présent ?
Faire valoir le slam en RD Congo c’est le plus gros défi. C’était une conquête qu’il fallait réussir. La RDC est un pays dominé par la rumba, le ndombolo et même la musique urbaine aujourd’hui. Ce n’était donc pas gagné d’avance de pouvoir imposer le slam. Il fallait vraiment batailler pour qu’un jour, on reconnaisse le slam comme une pratique artistique. Aujourd’hui, quand on parle des artistes congolais, on parle aussi de Yekima, car j'ai essayé de donner une forme assez respectable à un style qu’on considérait jadis comme un phénomène de mode. Mais aujourd’hui, c’est une musique à part entière, qui fait partie de la culture et du patrimoine musical congolais.
Quels sont vos projets pour cette année ?
Je vais faire beaucoup de spectacles cette année et surtout sortir mon premier album. C’est un album que j’ai annoncé depuis 2014. Je ne l’ai jamais sorti, car pour moi, il fallait une démarche qui le précède. Il fallait d’abord que le slam soit considéré comme une musique à part entière. Maintenant que c’est fait, il faut passer à l’album. Les gens veulent découvrir mon univers. Donc, le grand projet pour moi en 2023, c’est cet album.
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