L'éducation musicale au Bénin
La musique moderne béninoise connaît une longue tradition d’autodidactie. Les célébrités locales et même les artistes de renommée internationale ont été formés, pour la plupart, au sein des orchestres et des chorales chrétiennes. Aujourd’hui, les écoles de formation musicale naissent très timidement, mais elles permettent quand même de renforcer les capacités des musiciens et de développer les potentialités des jeunes talents.
La musique a toujours fait partie de la vie quotidienne des Béninois.
Pratiquée depuis plusieurs siècles de façon traditionnelle par certaines castes et familles, elle était transmise de génération en génération. Sa bonne qualité relevait donc plus du don naturel que de la maitrise de techniques apprises.
Le Bénin étant de tradition Vodoun, les couvents qui jonchent les localités sont utilisés jusqu’à ce jour comme des classes de musique traditionnelle. Les adeptes y apprenaient à jouer à des instruments traditionnels, à chanter et à danser.
Les couvents des Vodoun tels que Sakpata (Dieu de la terre), Hêbièsso (Dieu du tonnerre), de Mamiwata (déesse de la mer) etc. représentent les écoles de formation empirique où les jeunes et les adolescents sont instruits pour pérenniser la tradition orale et musicale.
Des techniques sont utilisées pour permettre aux apprenants d’assimiler le plus rapidement possible les connaissances musicales. Ils y apprennent des chansons et des danses cérémonielles, rituelles, royales et profanes. Ils exhibent leurs talents le plus souvent lors des cérémonies traditionnelles, rituelles et mortuaires ; mais aussi à l’occasion des fêtes de sorties de couvent des adeptes du culte vodoun...
La période coloniale
L’administration coloniale avec sa politique d’assimilation a longtemps ignoré les musiques traditionnelles et les artistes étaient considérés comme des amateurs, sans connaissance et sans culture, car ne connaissant pas le solfège.
Les artistes ne bénéficiaient d’aucune promotion, d’aucun apport et étaient obligés parfois de se cacher pour exprimer leurs talents. Les formations musicales n’étaient plus fréquentes comme avant la colonisation. Les instruments de musique traditionnelle comme les percussions, les gongs, les castagnettes etc. se faisaient rares.
L’administration avait introduit dans la colonie dahoméenne des instruments comme les cuivres, les guitares, le piano, la batterie et autres, avec la mise en place au sein de l’armée, de la gendarmerie et de la police des sections musicales. Ces corps formaient de nombreux jeunes à la pratique de la musique et les chansons louaient l’attachement des colonisés à la France.
Dans les années 1930, les radios du Nigeria et du Ghana ont commencé à émettre sur les ondes courtes et diffusaient des musiques étrangères qui influençaient alors la vie des populations dahoméennes. En 1943, Radio Brazzaville et Radio Léopoldville ont vu le jour et couvraient toute l’Afrique Noire avec des musiques congolaises, ghanéennes, caribéennes, européennes, cubaines, américaines etc. Ces radios africaines étaient devenues des canaux de diffusion de la musique exécutée par des Africains.
En 1950, les premières formations musicales ont été créées au Dahomey à savoir Super Star, Le Mexicana Jazz d'Ouidah, le Picoby Band d’Abomey. D’autres musiciens avaient emboité le pas à ces groupes de musique. Il s’agit d’Owowolé Ajisé, Paul Béhanzin et Théophile Aziassi qui avaient aussi mis en place des orchestres pour animer la vie des populations.
Ils jouaient pour la plupart dans les maquis, places publiques et quelques rares salles de spectacle qui existaient à l’époque. Le high-life, la rumba, la salsa afro-cubaine, la variété française et les musiques afro caribéennes étaient les principaux rythmes exécutés.
Les chansons étaient composées le plus souvent en langues nationales comme le Fon, le Mina, le Goun, le Yoruba etc. pour une meilleure compréhension par les populations en majorité analphabètes. Ainsi, en lieu et place des écoles proprement dites, ces groupes musicaux constituaient des centres de formation pour tous les jeunes talents et passionnés de musique
La réalité musicale post-coloniale
Au lendemain de l’indépendance du Dahomey, le 1er août 1960, et surtout entre 1960 et 1970, le paysage musical était animé par une multitude d’orchestres tels que le Renova Band d’Abomey, Les Amis Cotonois, le National Jazz de Cotonou, le Negro Jazz, L’Annassoua Jazz de Parakou, El Régo & ses commandos, le Black Santiago, Les Troubadours d'Ouidah, Les Blacks Dragons de Porto-Novo, Poly-Rythmo de Cotonou etc.
D’autres artistes comme GG Vikey et Gnonnas Pédro se sont aussi valablement imposés. Le dernier avait d’ailleurs monté son propre groupe appelé Gnonnas Pédro & ses Dadjè. Tous les orchestres s’illustraient alors dans la formation, l’interprétation, la composition et les prestations scéniques. Ces activités les rendaient très célèbres au Dahomey et à l’étranger avec les sorties de vinyles 33 tours et 45 tours qui avaient connu des succès retentissants.
Nombre de ressortissants africains dont des Togolais, des Camerounais, des Nigériens, des Voltaïques, des Nigérians et même des Congolais, allaient se faire former dans ces orchestres dahoméens. Certains musiciens sortaient même de leurs orchestres originels pour rejoindre d’autres groupes dans le but de se perfectionner. Une saine rivalité opposait donc les différents orchestres car chacun cherchait à mieux former ses membres afin d’être le plus apprécié et le plus applaudi des mélomanes.
La période révolutionnaire
La prise du pouvoir d’État par l’armée le 26 octobre 1972 a connu l’instauration d’un système politique révolutionnaire qui recherchait une reconnaissance populaire auprès des masses. Ainsi, l’on assistera à la disparition de nombreux orchestres et à la naissance de nouvelles formations comme Les Sympathiques de Porto-Novo, l’orchestre de la Banque Commerciale du Bénin (BCB), l’orchestre Les Volcans de la Gendarmerie nationale.
Ce dernier groupe était composé aussi bien de gendarmes que de personnes civiles. Cependant quelques-unes des formations musicales créées dans les années 60 ont pu survivre dans les années 70. C’est le cas de Black Santiago, de Gnonnas Pédro & ses Dadjè, d’El Régo & ses Commandos et de Poly-Rythmo. Tous ces orchestres faisaient de la variété musicale, mais aussi composaient suffisamment de chansons à la gloire du système politique révolutionnaire marxiste-léniniste.
Mais, ayant constaté l’inexistence des écoles d’art et de musique au Bénin, les dirigeants de l’époque avaient instauré dans les programmes scolaires et universitaires les activités artistiques et culturelles pour permettre aux jeunes élèves et étudiants de développer leurs talents.
Ainsi, les après-midi des mercredis et vendredis étaient essentiellement réservés à l’apprentissage de l’art. Presque tous les établissements scolaires étaient dotés de groupes de musique comme Les Coqs Six du Lycée Coulibaly, Les Quatz du CEG Dantokpa, Les Sphinx du CEG Gbégamey etc.
Il faut dire aussi que l’Université Nationale du Bénin avait créé son groupe musical ayant pour nom Les Kasseurs. Ces différents orchestres scolaires et universitaires ont tout le temps assuré la formation musicale de leurs membres, et les résultats probants ont donné des artistes de renommée internationale comme Angélique Kidjo, Stan Tohon, Isbath Madou, Fanick Marie-Verger, Richard Flash, Zeynab et bien d’autres.
C’est en cette période révolutionnaire que la musique béninoise a connu une effervescence remarquable avec des artistes rivalisant de talents avec leurs confrères du continent. Les artistes béninois issus de ces orchestres étaient régulièrement invités dans les festivals et grandes rencontres musicales d’Afrique et d’ailleurs.
La naissance des écoles
L’avènement de la démocratie au Bénin en 1990 a mis fin aux activités artistiques et culturelles dans les établissements scolaires. Les nouveaux talents musicaux ont du mal à se développer du fait de l’inexistence d’école de formation. Beaucoup de ceux qui veulent faire de la musique sont obligés de se lancer dans cette aventure sans une connaissance réelle du domaine. Le développement de la technologie avec la création de logiciels de musique a favorisé l’apparition des artistes amateurs et non formés.
Mais depuis quelques années, des initiatives pertinentes ont commencé à prendre forme. Par exemple, le village SOS Enfants à Abomey-Calavi, qui est l’initiative d’une ONG, le Centre Ma Musique une école privée, le Centre d’Etudes Musicales, Artisanales et d’Animation Culturelle (CEMAAC) basé à Porto-Novo qui est une création du Fonds des Nations unies pour la Population (UNFPA) et la Mairie de Porto-Novo, l’Institut des Arts et de la Culture de l’Université d’Abomey Calavi etc.
On enseigne dans toutes ces écoles le solfège, la guitare, le piano, les percussions, le chant vocal, les cuivres etc. Toutes ces écoles accueillent des apprenants de niveaux primaire et secondaire à l’exception de l’Institut des Arts et de la Culture qui n’accepte que des étudiants titulaires du baccalauréat. Les apprenants sont soumis, après trois (03) ans de formation, aux épreuves du Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) option musique ou la licence professionnelle au bout de trois (03) années d’études.
À cela s’ajoutent des individualités remarquables dans l’univers de l’apprentissage musical. D’abord le CCF devenu Institut Français de Cotonou a longtemps permis à Félix Nassy professeur de musique, puis à César Dossou, pianiste, de former nombre de générations de jeunes Béninois, même si,ceux-ci ne se lancent pas forcément dans une carrière musicale.
D’autres comme Martin Nassy, Dag Jack, Jolidon Lafia, Franck Dorval, etc. en ont fait autant, dans une démarche individuelle et militante, à travers écoles et domiciles. Le regretté André Berry Quenum et sa structure Musigerme auront permis de relever le niveau de quelques artistes urbains d’inspiration traditionnels au cours des années 2000.
Mais aujourd’hui, depuis deux ans, le personnage le plus actif sur le terrain de la formation musicale est le maestro Méchac Adjaho à travers son BMI, Benin Music Institute. Une véritable classe de musique, tournant à plein régime avec un véritable emploi du temps et des matières musicales bien spécifiques. Selon une périodicité variable, le BMI expose souvent les talents de ses apprenants à travers des spectacles de proximité. L’initiative est plus que salvatrice et mérite d’être mieux accompagnée par des mécènes et les institutions.
Au total, depuis l’indépendance, le Bénin n’a pas vite connu l’expérience des écoles de musique. Les orchestres ont plutôt servi d’écoles pour presque tous ceux qui ont exercé ce métier. Cette situation vient de ce que la musique n’était pas considérée comme une profession à même d’assurer aux artistes leur pain quotidien. La population aussi a par ignorance et préjugé soutenu ce, considérant les artistes musiciens comme des voyous, des ivrognes, des drogués et des personnes sans avenir.
Combien de parents n’ont-ils pas déconseillé à leurs enfants de choisir la musique comme un métier ? Ainsi, des projets de création d’écoles de musique ont été vite oubliés dans les tiroirs, les bonnes volontés aussi ont été vite découragées.
Et l’Etat avec sa politique culturelle n’est jamais parvenu à mettre en place une véritable école de musique où toutes les catégories d’aspirants musiciens pourront se faire former. Les quelques rares écoles qui sont créées aujourd’hui font l’effort de combler le vide qui a longtemps duré dans le paysage musical béninois.
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