L'éducation musicale au Sénégal (Partie 1)
C’est à l’image des cultures de tradition orale historique que l’éducation musicale est d’abord traditionnelle et populaire au Sénégal. Ce legs perdure dans la corporation des griots, et de manière générale dans le corps social pratiquant la musique de façon non formelle.
Avec l’institutionnalisation de l’école, l’éducation musicale a ensuite été formalisée. Ce qui lui confère, d’un point de vue historique et sur la base de la démarche d’enseignement-apprentissage, un héritage des présences missionnaire puis coloniale. Ses contenus connaitront une reforme après l’indépendance.
Ces sources de l’éducation musicale ont une préoccupation commune et axée exclusivement sur le matériau sonore. Elles disposent cependant de didactiques particulières dans la transmission des savoirs et des savoirs-faires musicaux, même si des tentatives de symbiose s’entreprennent.
Education musicale non formelle d'origines traditionnelle et populaire
L’éducation musicale non formelle est celle qui a des caractéristiques sans lien avec les institutions telles que considérées dans l’organisation du système éducatif. Elle est inséparable d’un héritage familial (griots), communautaire ou d’habitudes héritées d’usages sociaux divers : apprentissages populaires gratuits ou visant la constitution de groupes de musique, cours à domicile, sessions, pratiques en amateurs et associées aux instrumentistes, aux chorales, etc.
L’éducation musicale traditionnelle
La présence de cette éducation est très ancienne. Sa trace remonte aux traditions musicales des communautés ethniques où se manifestait une transmission du savoir-faire musical d’une génération à l’autre. Elle était surtout une expression des familles griottes. Selon des ethnies, l’apprentissage musical pouvait se faire suivant la lignée paternelle ou maternelle. Cette transmission comportait le répertoire chanté et /ou instrumental ; l’histoire associée à ce répertoire et la facture de l’instrument appris. Tout le processus d’éducation reposait sur une démarche aurale, c'est-à-dire basée sur l’apprentissage par l’oreille et le mimétisme gestuel.
La dénomination en langues locales d’indications de hauteurs sonores (notes) et les relations polyphoniques de celles-ci portent à croire en l’existence d’une pensée musicale, et donc d’un apprentissage identique, même s’il n’y avait pas une notation pour s’exercer au déchiffrage. Ce fait est illustré dans la culture musicale wolof, par le rôle ancien de directeurs d’ensembles joués par des tambours-majors, et perpétué par Doudou Ndiaye Rose qui disposait d’une école de percussions sabar. Cette nature savante est également manifeste dans l’inventivité accordée à la fabrication d’instruments traditionnels comme la kora mandingue et le diassaré ou ngoni (cordophone) peulh.
Au-delà de la musique en tant qu’esthétique stricte, l’éducation musicale d’origine traditionnelle comportait des traits de civilisation d’ordres communicationnels via les messages codés d’instruments, notamment le tambour à fente des diolas, et thérapeutiques dans l’usage des percussions lébou, à l’occasion de séances de musicothérapie.
L’éducation musicale populaire
Elle apparait et découle des présences culturelles (missions, colonisation) comportant des modes musicaux étrangers au Sénégal. Spécifiquement, ces contextes historiques indiqueront une nouvelle vie musicale, par l’adoption de nouveaux répertoires, et la découverte d’instruments de musique modernes. L’harmonium puis l’orgue des missionnaires font partie des premiers instruments modernes à être introduits pour les offices avec chants accompagnés. L’iconographie et la cartophilie regorgent de scènes de production musicale représentant de jeunes chantres et instrumentistes autochtones. C’est là sans doute, l’apparition des premières chorales de l’Eglise du Sénégal avec la constitution des chapelles, séminaires et juvénats.
Au large de Dakar, l’ile historique de Gorée possédait une école et une chorale en 1745 : date de construction de sa chapelle (Gueye 2009 : 49). La connaissance plus ancienne de la tradition polyphonique de la liturgie chantée y est certaine. Cependant, les documents historiques n’attestent pas la constitution ni l’activité régulières d’un chœur, encore moins son appropriation par les africains de l’ile[1].
A Joal, l’apostolat de l’abbé Coste, troisième préfet envoyé, est admirablement cité ; il y forme des chantres distingués jusqu’à sa mort et son enterrement au cimetière local, le 7 septembre 1784 (Boilat 1984). En 1822, avec l’arrivée des religieuses de Saint Joseph de Cluny à Saint - Louis : « la première chorale de filles sera justement formée par les religieuses du Cluny, certaines pensionnaires noires furent initiées au piano ou à l’orgue. » (Gueye 2009 : 53). L’œuvre missionnaire de cette communauté porte sur des réalisations sociales et surtout scolaires, initialement projetées par deux préfets apostoliques : Jean-Vincent Giudicelli en 1816 et Abbé Baradére en 1820. Ces derniers destinaient aux jeunes garçons, une instruction de base comprenant des classes de chant, dans le projet de constitution d’un clergé africain (de Benoist, 2008). A l’établissement des juvénats, le solfège sera intégré en instruction musicale au séminaire-collège de Dakar (transféré à Ngazobil en 1866) et chez les religieuses de l’Immaculée Conception, arrivées en janvier 1848 à Dakar. C’est au sein de cette congrégation que les deux premières sœurs gourmettes prononceront leurs vœux perpétuels en 1858.
Dans la vie civile, une mode d’usage domestique du piano était notable à Saint-Louis. Elle était la continuité outre-mer de la vie musicale hexagonale, et le reflet d’une conformité à la culture française (Sadji 1988). Le mode de vie était ponctué de bals animés par des ensembles de musique, des prises de leçons d’instruments (harmonium, orgue, piano, violon, banjo et autres cordes et vents), sans compter la présence d’un kiosque à musique dans l’aménagement urbain[2] et la pratique musicale des garnisons militaires. La tradition éducative et le répertoire militaire savant se perpétueront dans la musique militaire post indépendante de la garnison de Dakar puis celle de la Musique Principale des Forces Armées et des autres corps d’arme.
L’influence de cette nouvelle vie musicale sera également manifeste dans l’apprentissage à la pratique et à la production de la musique, au sein d’ensembles instrumentaux connus sous le vocable de « sociétés musicales ». L’initiation et la pratique d’instruments à vents (fifre, clarinette, cornet,
trompette, saxophone, trombone, tuba) et à percussions (petit tambour, grosse caisse et cymbales) se feront à la « Lyre municipale de Saint-Louis » sur photo de Tacher, datée 1909, et de « La Faidherbe » sur photo de Tacher, datée 1911 (Le Ouzon 2011 Op.cit : 47 et 73). Ces sociétés musicales étaient d’appartenances institutionnelles (municipalité de Saint-Louis pour la « Lyre » et clergé local pour « La Faidherbe »). Leur mode se poursuivra après l’indépendance, sous la forme de fanfares scolaires, notamment dans des écoles tenues par des congrégations religieuses : Cours Sacré Cœur et Cours Sainte Marie (Dakar) et Collège René Coly (Bignona).
[1] De Benoist (2008 : 53) rapporte, en citant P. Coste, « Saint Vincent de Paul, correspondance, entretiens, documents », Paris, 1922, tome V, pp. 276-291, cette scène de chœur plus ancienne : « Les Peres Charles Nacquart et Nicolas Gondrée, lazaristes, arrivent en rade de Gorée le 23 juin 1648, veille de la fête de saint Jean-Baptiste. Ils y restent six jours, avant de repartir pour Fort-Dauphin, et ont l’occasion de donner les sacrements à une douzaine de Portugais, fort bons chrétiens, qui chantent très harmonieusement les psaumes et le Te Deum. »
[2] Sur photo de Tacher, datée de 1908, et de 1830 pour « La Gazette de Saint-Louis », lettre d’information mensuelle du syndicat d’initiative, No 56 de mai 2012.
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