Musique et Religion au Cameroun
Par Ngbwa Jean Fabrice
Au Cameroun, le paysage religieux est prédominé par une pluralité d’églises chrétiennes dont la foi repose sur l’enseignement de la vie de Jésus-Christ. Si la musique est une réalité commune à celles-ci, sa perception et sa pratique présentent de remarquables divergences. En tenant sa sacralité de la Bible, elle occupe une place de choix dans les cérémonies. En général, c’est que le cadre idoine pour son développement qui est la chorale se dénombre par millier et se distingue par leur mode de recrutement, de transmission des connaissances musicales et par leur répertoire.
Cas des églises traditionnelles
Dans l’Eglise Catholique, la musique est connue sous son appellation chant liturgique si elle respecte les canons du catéchisme. Sa pratique varie selon le cadre institutionnel et le lieu. Par exemple, dans les couvents et les séminaires, le chant est une obligation communautaire. Il est exécuté pendant l’office, les célébrations eucharistiques et les rencontres communautaires. A contrario, dans les Paroisses, la musique est dévouée aux chorales de plusieurs styles. On distingue les chorales grégoriennes et classiques plus présentes dans les cathédrales, les chorales polyphoniques et folkloriques dans les paroisses urbaines et les chorales uniquement folkloriques dans les zones rurales. D’un groupe à un autre, les chants sont choisis et exécutés en fonction du temps liturgique et des parties d’une messe.
Dans les chorales classiques, les manuels utilisés sont « Les chants les plus célèbres de l’Eglise », « Les chants notés », « L’arc en ciel », « le psautier », les pièces classiques issues de plusieurs éditions. Le recrutement des choristes catholiques se fait soit par adhésion volontaire d’un fidèle, soit par invitation d’un membre de l’église à un tiers, soit alors par recommandation d’un responsable du clergé. L’initiation des choristes au solfège, à l’harmonie et à la connaissance des instruments de musique est un critère de distinction entre les chorales dites amatrices et professionnelles. A ce sujet, il faut relever que l’Eglise Catholique remporte la palme d’or des chorales professionnelles. Mais ce prestige a ses origines dans le chœur Madrigal crée en 1972 et qui introduit le chant polyphonique au Cameroun. Plusieurs maîtres de chœur talentueux vont s’affirmer tels qu’Elle Ntonga, Hubert Minkoulou, Gaby Moudio. Les chorales catholiques qui vont se hisser au premier rang sont le Grand Chœur Classique de la Cathédrale Notre Dame des Victoires de Yaoundé et la Voix du Cénacle laquelle adapte le synthétiseur aux rythmes locaux.
En outre, l’essor des chorales folkloriques catholiques est impulsé en 1995 avec la tenue du Synode Ecclesia in Africa qui va promouvoir l’inculturation dans l’Eglise qui, deux décennies plutôt, avait vu ses missionnaires blancs tels que Mgr René Graffin qualifier les balafons d’instruments diaboliques. Les chrétiens renforcèrent ce complexe critiquant violemment le chant ewondo au détriment du grégorien. L’apport de l’Abbé Léon Messi et de Mgr Xavier Amara fut remarquable dans la lutte contre la perte du patrimoine musical traditionnel du Sud et du Centre. Ainsi, les genres musicaux introduits furent l’Ekang, l’essani, l’Olack, le N’gneg, l’Osila, (musiques initiatiques) accompagnés de balafons et des percussions telles le tambour (Mbè), les Tcheker (gnas), le tamtam (Nkù). Les chorales ewondo qui émergèrent jusqu’à ce jour sont : Nkukuma David, Marie-Reine des Apôtres de Mvolyé dont le répertoire est composé par le clergé et les maîtres de chœur.
Par ailleurs, l’Eglise Presbytérienne du Cameroun assimile la musique à la louange. Elle regroupe les associations appelées Association des Enfants (Nsamba bongo), la Jeunesse d’Action Protestante Evangélique (JAPE), Association des Femmes (Samba binga), qui maîtrise les rythmes folkloriques accompagnés des tamtams et des tambours ; Association des Hommes (ACH). Ces deux dernières associations sont spécialisées dans la connaissance des cantiques pour l’adoration, la louange, la supplication, l’action de grâce et l’édification selon les étapes d’un culte. Par tradition, deux cantiques sont exécutés dans les cultes animés aussi par les chorales spécialisées à caractère classique ou folklorique. Les chorales classiques sont celles qui excellent dans l’exécution des pièces musicales d’auteurs classiques comme Haendel, Mozart, accompagnée d’un synthétiseur ou d’une fanfare.On peut citer par exemple le chœur Messianique de Mendong. Les chorales folkloriques sont caractérisées par le désir de valoriser les genres locaux. C’est le cas de la chorale Qumran Saint-Esprit avec son concept dit ôdjamboâ Riddim ou retour aux sources. Les manuels constituant le répertoire de la communauté presbytérienne sont : « Sous les ailes de la foi », « A toi la gloire », « les cantiques bulu » et « ‘Hymnes et louanges ». Dans les paroisses presbytériennes de Mendong-Laodicée et de Qumrân Saint-Esprit, après recrutement d’un tiers, celui-ci est soumis à une période d’observation de six à douze mois qui correspond aussi au temps de son initiation au solfège.
Les mouvements pentecôtistes
En dehors de ce patrimoine musical des églises traditionnelles, apparaissent au Cameroun les mouvements religieux pentecôtistes qui enrichissent l’actualité religieuse avec une nouvelle dénomination musicale : la musique gospel. Dans les chorales de chaque congrégation, la nouveauté qui se présente est l’avènement de l’orchestre. Les genres musicaux connus sont : le rock, la RNB, le négro spiritual, la rumba, le reggae, le coupé-décalé et quelques rythmes locaux. Le message diffusé a une forte connotation biblique. Le répertoire est constitué des musiques originales et interprétées. L’essor de la musique gospel est lié à l’avènement des structures telles que la Drimp Foundation qui envisage d’investir dans l’industrie musicale gospel. L’une de ses activités est l’organisation du Gospel Musical Awards en 2010, 2012, 2013 et bientôt en 2014 qui rassemble habituellement 6500 spectateurs au Palais des sports de Yaoundé. Les chorals gospels récemment primées au dernier évènement du Gospel Music Awards sont : le Golden Voices et le Joy Spirit Singers.
Les autres mouvements religieux
Distinctes des églises traditionnelles et des mouvements pentecôtistes, certaines communautés comme celle du Bwiti, présentent une singularité remarquable avec une autre perception musicale à travers une morphologie d’instruments mythiques. Dans le Bwiti, la musique sacrée est le devoir de l’ensemble de la communauté En effet, l’initiation au culte ne saurait se dissocier de l’apprentissage des chants et d’instruments de musique qui ont une fonction précise. Il s’agit de l’Obaka, tronc d’arbuste sec situé derrière l’autel, soutenu des deux extrémités par des trépieds en bois et sur lequel trois joueurs frappent des baguettes pour accompagner une harpe. Le craquement des baguettes sur l’obaka évoque la naissance du Créateur sorti d’un œuf. Le Ngomo, instrument d’intercession, est une harpe à huit cordes qui représente la force du Saint-Esprit.
Toutefois, dans l’ensemble de ces églises, l’évolution de la musique sacrée au Cameroun est jonchée de plusieurs difficultés comme l’engagement des choristes, la formation et le financement des chorales, les problèmes de répartition des droits d’auteur et surtout d’acculturation comme le constate le Docteur Ngumu Pie-Claude :
"A l’heure actuelle, nous assistons à une floraison surabondante d’une musique moderne qui se veut africaine. (…) Toutefois, à y regarder de plus près, on ne peut s’empêcher de regretter la pauvreté d’expression qui caractérise à tout point de vue cette nouvelle musique (…) ".
La pauvreté d’expression africaine qui caractérise les compositions musicales religieuses se pose avec acuité surtout dans les mouvements pentecôtistes qui s’explique par la quête permanente de la nouveauté. Avec pour challenge d’attirer un grand nombre d’adepte, certaines chorales pentecôtistes se livrent à des campagnes de séduction en exécutant les aires profanes qu’elles adaptent à leur mesure pour leur propagande. Cependant, la présence des figures exceptionnelles telles que Queen Eteme, peut encore inspirer les mauvais élèves.
[1] Martial Mvondo, Ancien séminariste, Maître de Chœur de la chorale Classique Chœur Angélique de la paroisse Sainte Achille Kiwanuka de Mendong-Camp sic, entretien du 18 Août 2014. [2] Désiré Manga, Etudiant en Théologie dans la congrégation Missionnaire des Saints-Apôtres, Résidence de Nkolbison, 08 Août 2014. [3] Félicité Bahane, « obsèques de René Esso Elokan » in https://www.cameroontribune.cm, 06 Août 2014. [4] R.B Onomo Etaba, Les pontifes romains et l’évolution spatio-temporelle de l’Eglise Catholique du Cameroun des origines à 1991, Thèse de doctorat de 3ème cycle en Histoire, Université de Yaoundé I, 1999-2000, PP.143-144. [5] Archives de la centrale diocésaine des œuvres, lettre du Père Raymond Spira à son Excellence Mgr Jean Zoa, Nlongkak, Yaoundé, 28 février 1980. [6] L. Messi, les glanures de l’époque coloniale, inédit, Yaoundé, 1990, P.27. [7] Mbeyo’o Ole Mois, Ancien d’Eglise, Maître de chant, paroisse Qumrân Saint-Esprit, Mendong Camp Sic-Yaoundé, entretien du 25 Juillet 2014. [8] Gérault Nlate, Maître de chœur, Ancien d’Eglise à l’Eglise Presbytérienne du Cameroun, Consistoire du Ntem Paroisse Laodicée de Mendong-Yaoundé, entretien du 11 Août 2014. [9] Ibid. [10] Daniel Ezo’o, Pasteur de l’Eglise Presbytérienne du Cameroun, paroisse Qumran Saint-Esprit, Mendong-Yaoundé, entretien de Juin 2014. [11] Daniel Ezo’o, Pasteur de l’Eglise Presbytérienne du Cameroun, paroisse Qumran Saint-Esprit, Mendong-Yaoundé, entretien du 05 Juillet 2014 [12] www.drimpfounddation.org/gospelmusical [13] Lebel, harpiste et initié mbwiti, Messame Ndongo-Yaoundé, entretien du 24 Août 2014. [14] Nathalie Mindzié, fidèle de la communauté mbwiti, initiée, Messa-Mendongo Yaoundé, 12 Août 2014. [15] Ngumu, Pie-Claude, Les recherches ethnographiques en Afrique centrale, le cas du Cameroun, N° 2742 extrait de recherche, pédagogie et culture, N° 65/66, Paris, 1983, PP 65-66.
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