La montée et la chute de l'Urban Grooves au Zimbabwe
Par Kumbie Shoniwa
Le genre musical zimbabwéen appelé Urban Grooves est devenu populaire aux environs de l'an 2000, lorsque le gouvernement a décidé de promouvoir les arts locaux en instaurant un quota de 75% de contenu local dans les médias audiovisuels nationaux[i].
Des chanteurs et producteurs inconnus auparavant sont immédiatement devenus très connus car leur musique était jouée à travers le pays, sur les chaînes de télévision et de radio publiques. La plupart de ces artistes étaient des jeunes dont la musique avait du succès auprès de toutes les générations et classes sociales, offrant une alternative aux autres genres musicaux locaux établis tels que sungura, jit et chimurenga[ii].
Ces jeunes artistes ont adopté différents styles de musique, y compris des styles populaires à l'échelle internationale comme les suivants: hip-hop, R&B, reggae, dancehall, et kwaito. C'est à cette époque que le terme «Urban Grooves» a commencé à être utilisé pour désigner toutes sortes de musique produites par des artistes en herbe à travers le pays. La particularité de l'Urban Grooves est l'utilisation des langues locales Shona et Ndebele, quoique dans un registre familier, par les artistes[iii].
Principaux artistes
Leonard "Leo" Mapfumo et Rockford "Roki" Josphats ont émergé en 2002 avec le hit Seiko, et sont devenus les chouchous de l'Urban Grooves. La chanson a valu à Roki la récompense National Arts Merit Award (NAMA) en tant qu'artiste le plus prometteur de l'année 2003. En 2005, le duo a produit un album, intitulé R&L, sur lequel on retrouve la chanson Maidei. Cette chanson a atteint la première place dans le top 10 de la ZBC, et y est resté pendant 42 semaines, un exploit qui n'a pas encore été égalé par d'autres musiciens.
Betty Makaya, la chanteuse à la voix douce, est devenue célèbre avec ses chansons mélancoliques dont Ndichange Ndiripo, Usipo, Ndakusuwa et le hit Kurwizi, qu'elle a chanté avec le défunt Jamal Mataure. En 2004, elle a reçu, lors des Zimbabwe Music Awards (ZIMA), les récompenses suivantes: Meilleure artiste de Urban Grooves et Meilleure artiste féminine.
Alexio Kawara s'est fait connaître en 2000 avec le hit Amai, qu'il a produit au sein du groupe Guess. Il a quitté le groupe pour poursuivre une carrière solo et a reçu plusieurs prix, dont les suivants: Meilleur artiste masculin dans la catégorie Urban Grooves, Chanson de l'année (aux Zima Awards de 2006), Meilleur album (aux National Arts Merit Awards de 2007), Chanson de l'Année, ainsi que deuxième place pour la Vidéo de l'année avec Shaina (aux Zima Awards de 2008).
Plaxedes Wenyika Joka a séduit les tourtereaux avec sa voix soul et ses paroles romantiques quand elle a lancé son premier album, Tisaparadzane (2002), avec des hits comme Wadarirei et Ndoita Sei. En 2003, Plaxedes a rejoint Rukuvhuto Sisters, un groupe entièrement féminin composé de Jackie Madondo, Fortunate "Sister Flame" Matenga et Ivy Kombo. Le groupe a sorti des chansons populaires comme Come to Victoria Falls et Malaika. En 2012, Plaxedes a sorti un nouvel album, Brighter Day, avec la chanson Love You Better diffusée sur Channel O[iv].
Daniel "Decibel" Mazhindu est devenu célèbre avec Nakai, un morceau d'inspiration dancehall qui a atteint la tête des classements musicaux deux semaines seulement après sa sortie en 2004. Son unique album What Kind of World, sorti plus tard dans la même année, a eu du succès et contient des chansons populaires comme la controversée Madhara, Ndinewe,Vimbai et Chido.
Des groupes et duos ont également contribué à la montée de l'Urban Grooves avec des chansons à succès. On peut citer par exemple Handirege par Roy et Royce (2002), Ndichamuudza Chete par Mafriq (2006), Came 2 Party par Major Playaz (2003), Maroja par Extra Large, Chamhembe par Double Trouble (2006) et Nguva Yareba par 2BG (2005).
Plusieurs artistes doivent leur popularité à la montée du genre Urban Grooves,comme par exemple David Chifunyise, Alishias "Maskiri" Musimbe, Shingirai "Mau Mau" Sabeta, Ngoni Kambarami, Tererai Mugwadi, Sanii Makhalima, Dino Mudondo, Desmond "Stunner "Tambaoga, Enock "Ex-Q" Munhenga, Portia "Tia" Njazi et Enock "Nox" Guni.
Principaux producteurs
La montée de l'Urban Grooves a aussi permis l'apparition de nouveaux acteurs dans le domaine de la production musicale, qui était jusque-là dominé par quelques grands groupes comme Radio and Tape Productions (RTP), Gramma Records et Metro Studios. Le producteur Delani Makhalima s'est fait connaître en 2002 quand il a sorti The Future, une compilation réunissant presque tous les jeunes talents musicaux de l'époque, notamment David Chifunyise, Roki, Leonard Mapfumo, Decibel, Extra Large, Betty Makaya et Sanii.
Parmi les premiers et importants producteurs de Urban Grooves, il y a aussi les suivants: le regretté Fortune "MacDaddy" Muparutsa, Gordon Mutekedza (alias "Flash Gordon"), Tatenda "Take 5" Jenami et Sipho-Senkosi "TBA" Mkuhlani. Plus tard, de nouveaux producteurs ont émergé, comme MacDonald "Mac Dee" Chidavaenzi, Russell "Russo" Chiradza[v] et Clarence "Dr Clarence" Patsika.
La chute de l'Urban Grooves
Depuis 2010, un certain nombre d'artistes d'Urban Grooves - notamment Decibel, Major Playaz, Betty Makaya, Nox Guni et Mau-Mau - se sont installés outremer ou en Afrique du Sud voisine. La musique qu'ils ont produit depuis a reçu un accueil mitigé auprès de leur fans zimbabwéens[vi]. D'autres artistes - comme David Chifunyise, Roy et Royce, Tia, Nasty Trix, Double Trouble et Slice - ont complètement disparu de la scène de la musique.
Les spectacles récents ont été de gros échecs, comme par exemple le spectacle à Bulawayo de Trevor Dongo et Leonard Mapfumo, qui n'a attiré qu'une poignée de fans. Après le spectacle, Mapfumo a déclaré: "la musique change, c'est comme un cercle.Et ça devient ennuyeux parfois. Pour le moment, le Zim-Dancehall a le vent en poupe, il n'y a aucun doute à ce sujet. Mais avant, la sungura était en tête et a été suivie par l'Urban Grooves"[vii].
La popularité croissante du Zim-Dancehall a vu des artistes tels que Winky D, Sniper Storm, Extra Large et Shinsoman se détacher du genre fourre-tout qu'est l'Urban Grooves, pour se joindre au mouvement Zim-Dancehall. Des artistes qui avaient du mal à attirer les foules, comme Roki, Mafriq, Stunner et Nox, ont alors commencé à expérimenter avec les sons typiques du style Zim-Dancehall[viii].
Les promoteurs de musique ont aussi compris que le vent a tourné et maintenant, ils préfèrent utiliser des artistes de Zim-Dancehall (au lieu des artistes de Urban Grooves) en première partie des concerts des artistes de renommée internationale. Par exemple, quand Sean Paul et Akon se sont rendus au Zimbabwe en 2010, Winky D a assuré la première partie du concert[ix].
Certains critiques attribuent la chute de l'Urban Grooves au fait qu'il était composé de plusieurs styles musicaux, trop nombreux pour être regroupés dans un même genre. Ainsi, affirment-ils, il était inévitable que les genres comme Zim-Dancehall, Afro-pop, hip-hop et R&B deviennent des entités distinctes.
D'autres soutiennent que l'Urban Grooves a perdu la bataille en continuant à se concentrer sur des thèmes superficiels comme l'amour et le romantisme, en particulier pendant la période de difficultés économiques de 2008 à 2010. Alors que le Zim-Dancehall a pris le dessus en soulevant des questions plus pertinentes comme celles de la pauvreté, la criminalité et la sexualité dans un environnement si difficile[x].
L'avenir de l'Urban Grooves
Une poignée de pionniers du genre Urban Grooves ont réussi à se maintenir dans la musique au fil des ans, notamment Roki, Mafriq, Stunner, Sanii Makhalima, Leonard Mapfumo, Nox, Tererai Mugwadi et Maskiri. Cependant, malgré qu'ils ont continué à sortir de nouvelles chansons, ces musiciens n'ont pas réussi à atteindre le succès qu'ils avaient au début des années 2000.
Le mélange de hip-hop, afro-pop et R&B chanté en Shona ou Ndebele continue d'attirer des fans. De nouveaux artistes comme Jah Prayzah, Cynthia Mare, Junior Brown, Cindy Munyavi, Goodchild, Trae Young et Mzimba aident à entretenir la flamme Urban Grooves. Cependant, il reste à voir si le terme Urban Grooves va continuer à désigner ce mélange de genres chanté par les jeunes Zimbabwéens. Ou s'il sera abandonné au profit de termes spécifiques comme hip-hop, R&B, afro-pop et Zim-Dancehall qui vont prendre leurs places aux côtés d'autres genres musicaux zimbabwéens plus établis comme les styles sungura et chimurenga.
[i] http://www.chronicle.co.zw/75pc-local-content-will-be-enforced-moyo-2/ [ii] Siziba, Gugulethu. 2008. Redefining the Production and Reproduction of Culture in Zimbabwe’s Urban Space : the Case of Urban Grooves. Berghahn Books. [iii] Mate, Rekopantswe. 2012. ‘Youth Lyrics, Street Language and the Politics of Age: Contextualizing the Youth Question in the Third Chimurenga in Zimbabwe.’ Journal of Southern African Studies, 38(1). [iv] http://www.herald.co.zw/plaxedes-gears-for-urban-unplugged/ [v] http://www.herald.co.zw/russo-mcdee-reunite-again/ [vi] http://www.herald.co.zw/what-went-wrong-for-major-playaz/ [vii] www.bmetro.co.zw/2014/18/08/is-urban-grooves-dying-a-natural-death [viii]http://iharare.co.zw/hard-times-roki-dumps-urban-grooves-for-dancehall/ [ix]http://www.newzimbabwe.com/news-3239-Akon,+Sean+Paul+show+world+class/news.aspx [x] http://www.herald.co.zw/from-urban-grooves-to-zimdancehall/
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