8 questions à Eva Ndumbe, représentante pour le Cameroun de Sony Music Afrique
Installée à Douala, au Cameroun, Eva Ndumbe est productrice de musique pour le compte de BBOY Records, le label indépendant créé par le chanteur camerounais Magasco. Elle est également représentante pour le Cameroun de Sony Music Entertainment. La jeune femme a récemment rejoint le programme d’ambassadeur de la plateforme de streaming Audiomack Africa. Elle a échangé avec nous par Zoom sur la musique africaine, sa carrière et ses défis en tant que femme œuvrant dans l’industrie de la musique.
Vous êtes une professionnelle reconnue sur la scène musicale francophone. Comment et quand avez-vous débuté dans l’industrie musicale ?
Mon histoire avec la musique commence en 2007 quand je travaille avec Nabil Fongod et Jack Napier, deux rappeurs camerounais, qui avaient décidé de faire un album ensemble. Le titre de l’album était Two way dictionary of broken language, j’étais leur manager et c’est de là que tout a commencé.
En 2008, je voyage aux États-Unis pour poursuivre mes études, et dans l’une des pièces de mon appartement, j’avais installé un petit studio pour mes amis et autres étudiants de mon collège qui n’avaient pas d’argent pour aller dans un grand studio. Ils venaient chez moi, ils enregistraient leurs œuvres et leurs chansons. En 2014, je crée toujours aux États-Unis avec une amie un label spécialisé dans l’événementiel et le divertissement, pour faire la promotion de la musique camerounaise en Amérique, parce que le pays écoutait plus la musique nigériane que celle de chez nous. Nous avons organisé des tournées américaines pour les artistes camerounais notamment pour Magasco et Mr Leo.
En 2015, je rentre au Cameroun, pour me rapprocher davantage avec la scène locale. Fin 2018, je suis approchée par Magasco qui voulait que je fasse partie de son label et devenir en même temps son manager, j’ai accepté de travailler avec lui, et nous collaborons toujours. Par ailleurs, le poste de représentante de Sony Music, je l’ai eu en 2017.
J’anime également une émission qui s’appelle « The Music Academy » sur LFM (La fréquence au féminin), un programme pour lequel j’informe les artistes camerounais sur le monde du showbiz. J’aborde beaucoup de sujets tels que le contrat de production, le streaming et bien d’autres thématiques sur le business de la musique.
L’industrie musicale est dominée par les hommes. Quels sont les défis que vous avez rencontrés à vos débuts en tant que femme dans ce secteur ?
Au début, quand j’ai commencé, c’était difficile. Souvent, en tant que femme, quand tu parles aux gens, ils ne te prennent pas au sérieux, parce qu’ils ne voient pas encore ce que tu as réalisé. Je me suis dit pour qu’on puisse me respecter et croire en ce que je fais, je dois juste travailler, j’ai fait tout ce que j’ai pu, je me suis vraiment donné à fond dans mon travail. J’ai également reçu des soutiens d’autres professionnels. Je profite de l’occasion pour remercier toutes ces personnes qui m’ont donné l’opportunité de m’exprimer sur des panels et rencontres musicales.
Bref, la détermination et la discipline m’ont énormément aidé dans ma profession.
Quel pourrait être l’apport particulier d’une femme dans la carrière d’un artiste, qu’on ne peut retrouver chez un homme ?
La femme met beaucoup d’énergie pour permettre à son artiste de réussir. Elle fait tout pour atteindre la vision pour laquelle vous vous êtes fixés. On se rend compte que beaucoup d’artistes apprécient de collaborer avec des femmes, à cause justement de leur sens de responsabilité, de l’engagement, et du sérieux.
Quelle perception avez-vous de l’industrie musicale africaine au niveau international ? Comment voyez-vous son développement et sa percée sur la scène mondiale ?
La musique africaine était déjà connue à l’international. On se souvient du temps où Manu Dibango avait percé aux États-Unis avec son tube « Soul Makossa » repris entre autres par Michael Jackson, à mon avis, c’est la chanson africaine la plus reprise. Aujourd’hui, la musique africaine a réussi à voyager et à aller encore plus loin grâce aux réseaux sociaux. Sur TikTok par exemple, les Asiatiques dansent sur les titres de Tayc, alors qu’ils ne parlent même pas un mot en français, et aussi des chansons nigérianes qui arrivent à se maintenir pendant plusieurs semaines sur les classements du magazine américain Billboard.
Merci aux réseaux sociaux, sans eux , les artistes africains n’allaient pas voyager aussi loin. De nos jours, un artiste africain n’a pas besoin de chanter comme une star américaine pour que sa musique soit consommée. Nous sommes écoutés,et ce, parce qu’on a su mettre à profit les réseaux sociaux, soit pour vendre ou mettre sa carrière artistique en avant.
Le Nigeria avec l’Afrobeat domine en ce moment le marché du disque sur le continent. Certains artistes francophones n’hésitent pas à copier leurs collègues nigérians. Est-ce un manque d’inspiration ou tout simplement qu’il faut suivre la tendance ?
Je ne pense pas que les artistes francophones manquent d’inspiration. Je peux comprendre pour les tendances musicales, parce que l’industrie musicale, actuellement, tourne autour ça. Pour les artistes francophones, je crois que la bonne inspiration serait qu’ils soient fiers de leur culture et qu’ils mettent en avant la musique de leurs pays.
C’est différent avec le Cameroun, parce que nous sommes bilingues, nous parlons français et anglais. Si tu es camerounais anglophone, ta culture et ta tradition sont plus proches du Nigeria, c’est pareil aussi pour un francophone qui sera plus influencé par la culture de la langue qu’il parle. Présentement, nous sommes en train de chercher à établir notre propre identité musicale, déjà nous avons de plus 200 ethnies au Cameroun et avec nos deux langues officielles, on peut musicalement conquérir le monde. Une autre stratégie serait aussi de s’inspirer de l’afrobeat et de l’adapter à notre goût, en incluant nos cultures locales, comme ce que font les Sud-Africains avec l’amapiano.
Vous avez parlé de l’identité musicale d’un pays, le Cameroun avec son makossa, la RDC avec sa rumba. Comment rendre nos musiques plus attractives à l’international, comme c’est le cas avec l’afrobeat ?
On oublie parfois que la musique, c'est un business. Ce n’est pas juste faire des concerts, il y a toute une industrie derrière. Les Nigérians sont en train de rafler des Grammy Awards, parce qu’ils se sont entourés des gens qui ont compris comment le showbiz fonctionne. C’est à nous, si on veut porter nos musiques plus loin, d’apprendre et de s’informer sur cette industrie. Nous avons des talents qui sont d’ailleurs appréciés dans le monde, il faut maintenant travailler le côté business, comment vendre et exporter nos musiques.
Justement, quelles sont les compétences que les francophones devront acquérir pour mieux exporter leur musique ?
J’ai moi-même suivi une formation en music business qui m’a coûté de l’argent et j’ai dû épargner pour pourvoir la suivre. Aujourd’hui, des festivals et des rencontres sur la musique, organisés dans nos pays, proposent gratuitement des masterclasses sur le business de la musique avec des intervenants qui viennent d’ailleurs. En tant que managers, artistes, producteurs et professionnels opérant sur le continent, nous devons y prendre part, nous former et devenir expert dans un domaine précis.
Vous travaillez pour un major comme Sony Music, certains artistes n’apprécient guère de collaborer avec de grosses maisons de disque qui leur imposent parfois une ligne de conduite ou une direction artistique à suivre. Pensez-vous qu’un artiste doit nécessairement rejoindre un major ou travailler en indépendant ?
Signer avec un major ou collaborer avec un label indépendant, cela dépend de l’artiste, de ses ambitions, et de comment il projette sa carrière dans le futur. C’est vrai qu’un major peut t’amener plus loin. Mais les artistes sont souvent excités de signer avec une grosse maison de disque et ne prennent pas la peine de lire un contrat ou de faire appel à un avocat qui peut l’accompagner.
Les majors ne se sont pas installés en Afrique pour apprendre aux gens comment fonctionne l’industrie, ils sont là pour les affaires. Personne de Sony ou d’Universal ne fait pression à un artiste pour signer un contrat, dès que celui-ci pose sa signature, on sous-entend qu’il l’a lu, compris et accepter les termes et les conditions. Je conseille aux artistes de ne pas avoir peur de négocier un contrat, il y a beaucoup de pouvoir dans la négociation. Le plus important pour un musicien est de se faire accompagner et surtout de se former sur le music business.
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