De Lyndiane à Nottingham - quand Seckou Keita raconte sa belle histoire
Artiste polyvalent originaire du Sénégal, Seckou Keita, qui est à la fois joueur de kora, percussionniste et chanteur, a reçu le 14 juillet dernier, un doctorat honorifique du Nottingham Trent University, en Angleterre, pour l'ensemble de ses accomplissements.
Avec euphorie et nostalgie, il revient dans ce riche entretien sur son parcours artistique de plus de 3 décennies, mené avec ambition, passion et discipline...
Bonjour Seckou, qu'est-ce que ça fait de recevoir un doctorat honorifique du Nottingham Trent University ?
Bonjour Jean ; recevoir un doctorat honorifique, qui plus est, d'une université aussi respectable que le Nottingham Trent, procure une joie indescriptible...
Mais je dois l'avouer, j'étais surpris quand j'ai été appelé pour cette reconnaissance. Je me suis demandé pourquoi moi ? Qu'avais-je bien pu faire pour mériter un tel honneur ?
Je me suis renseigné et j'ai été encore plus honoré d'apprendre que la distinction devait m'être remise pour l'ensemble de mon parcours et donc pour mes nombreuses années d'apprentissage de la musique, mes voyages, mes centaines de concerts par année à travers le monde, mes longues heures à dispenser mon savoir aux gens dans des écoles, et ma passion toujours très vivace, qui continue d'échapper à l'usure du temps...
Ce doctorat est certainement à ce jour, un des accomplissements majeurs de ma carrière, car il sanctionne tout ce que j'ai accompli depuis mes débuts.
« Tes débuts », justement, voudrais-tu nous en parler ? Comment es-tu devenu le musicien polyvalent que le monde entier connaît aujourd'hui ?
Tout a commencé à Lyndiane, le petit quartier de la ville de Ziguinchor (Sénégal) où j'ai grandi. Par mon père, je suis un descendant de la grande lignée Keïta, qui est une caste royale bien connue de l'histoire mandingue ; et par ma mère, je suis lié aux Cissokho, une famille de griots.
Mais c'est ma famille maternelle que j'ai le plus côtoyée ; le premier à m'avoir transmis le virus de la musique a d'ailleurs été mon grand-père Dialy Kémo Cissokho, qui me portait entre ses jambes quand il jouait de la kora.
À travers lui, j'ai découvert la beauté de la vie du griot. Tout le monde venait puiser à la source de sa sagesse, et il avait les mots justes pour aider les gens à régler leurs problèmes. Des couples en querelle venaient chez lui le matin et le soir, ils étaient réconciliés...
Dès 7 ans, il m'a initié à la fabrication de la kora. Il me demandait de garder une partie de l'instrument (caisse, manche, cordes) à la maison et le lendemain je la lui ramenais à l'atelier pour assister au montage. C'est en le regardant faire, que je suis devenu un apprenti-luthier.
J'ai appris pendant 7 ans à fabriquer l'instrument à cordes et dès 14 ans, j'ai commencé à jouer des morceaux du répertoire classique mandingue. J'étais alors encadré par mon oncle koriste Ibrahim Solo Cissokho, qui jouissait d'une certaine notoriété.
En 1996, c'est d'ailleurs lui qui m'a permis de réaliser le tout premier voyage de ma carrière : quitter la Casamance pour aller jouer à Dakar, la capitale de mon pays.
À côté de la kora, je me suis lancé dans l'apprentissage d'autres instruments de musique comme le djembé, coaché par des maîtres comme Souti Silamé, Koor Ndiaye, Machine Sylla ou encore Mamadou Keita...
Ma curiosité était forte et je voulais en savoir plus, tant sur la musique que sur moi-même. Dans la culture mandingue, un roi reçoit la musique jouée en son honneur, mais il n'est pas sensé pratiquer cet art. J'ai quelque peu transgressé la règle de ma caste et je me demandais jusqu'où j'irais...
Plus tard je ferai la rencontre d'Aliou Cissokho qui m'initiera à la batterie, avant mon premier voyage en Europe, dans le cadre du programme Talents 96.
Mon oncle et mentor Ibrahim Solo Cissokho avait déménagé entre-temps en Norvège et je l'ai rejoint grâce à ce programme sélectif (Talents 96), qui a réuni des jeunes artistes de différents horizons (norvégiens, indiens et cubains) dans ce pays scandinave, pour jouer ensemble.
Après cette première expérience internationale, je suis allé en Inde quelques mois plus tard, pour travailler avec le violoniste Doctor L.Subramanyam, auprès duquel j'ai beaucoup appris. D'ailleurs, je le retrouverai 20 ans plus tard sur scène en Australie, après la crise sanitaire du coronavirus.
Entre ces aller-retours en Europe et en Asie, j'ai aussi passé un moment de ma carrière en Gambie où j'ai intégré l'orchestre Super Kasumay, aux côtés de Kane Diallo. Là-bas, j'ai appris à faire de la variété musicale avant de m'exiler en Angleterre.
La suite de mon histoire s'est donc écrite dans le royaume britannique où je suis toujours établi. J'ai assuré ici les premières parties de célébrités comme Youssou N'Dour ou encore Salif Keïta, et cela m'a permis de me faire remarquer sur la scène anglaise.
Le natif de la Casamance débarque donc à Londres (Angleterre), changeant totalement d'espace linguistique et culturel. Quels sont les plus grands challenges que tu as dû relever pour t'intégrer dans ton nouveau monde ?
Émigrer en Angleterre n'aura pas été une sinécure. Je savais que ce pays pouvait m'offrir de grandes opportunités, mais il fallait relever un certain nombre de défis pour atteindre mes rêves...
Il fallait déjà rehausser mon niveau d'anglais parce que mes modestes connaissances reçues au lycée Malick Fall de Ziguinchor n'étaient pas suffisantes pour communiquer avec le nouveau public.
Aussi, il fallait travailler ma musique pour la rendre plus attrayante sur une scène anglaise relevée, avec de brillants artistes locaux, mais aussi des créateurs originaires d'Afrique anglophone, notamment les Ghanéens et les Nigérians.
Il me fallait aussi apprendre les musiques folklorique du royaume britannique, notamment le real écossais, le jigg irlandais et les rythmes séculaires du Pays de Galles. Tout cela était important pour permettre mon intégration.
J'ai fait mes premiers pas sur les scènes anglaises en tant que membre du groupe Baka Beyond. On avait des créations de fusion qui alliaient harmonieusement polyphonies pygmées et musiques celtiques. Cela nous a permis de tourner dans tout le royaume et de nous faire connaître.
Sekou, voudrais-tu nous faire un aperçu de ta discographie ?
Oui Jean, en solo, j'ai sorti l'album Mali en 1999, avant de publier Lindiane en 2003. Pour la promotion du dernier opus (Lindiane), j'ai réalisé le rêve de mon oncle en réunissant toute la famille à Londres. Nous avons formé un orchestre pour la circonstance, avec mon oncle Ibrahim Solo Cissokho présent lui-même, et nous avons sillonné toute la Grande-Bretagne pour présenter le projet.
Entre 2004 et 2005, j'ai fondé mon propre orchestre, le SKQ, qui était initialement un quartet, avant de devenir un quintet. Avec ce groupe, j'ai enregistré 2 albums : Tama-silo (2006) qui parle du voyage et The Silimbo Passage (2008), dont l'intitulé évoque le premier rayon de soleil au matin...
Avec cette formation toujours, j'ai joué dans de nombreux pays à travers le monde, notamment au Japon, en Corée du Sud, au Kenya, en Tanzanie et dans toute l'Europe. C'est avec le SKQ que ma carrière internationale est passée à une dimension supérieure.
En 2012, j'ai produit l'album Miro avec la participation du guitariste Moustapha Gaye, du talentueux percussioniste burkinabé Adama Bilorou, des chanteuses Binta Suso et Mariama Kouyaté, du bassiste cubain Pata et du percussionniste Suntou Susso. Cette oeuvre elle aussi, a connu un bel accueil du public anglais.
En tout, j'aurai enregistré 13 albums sur le sol anglais. Chacun de ces disques a sa particularité musicale, mais on peut lire en chacun d'eux, ma passion pour la fusion musicale. Il y a essentiellement des musiques tribales d'Afrique, mais aussi des notes jazzies, du funk et tous les sons du monde que j'ai découverts au cours de mes voyages.
J'ai également signé des oeuvres en collaboration avec des artistes comme Paul Weller, Bassekou kouyaté ou encore Diamond Alban.
Parmi mes travaux collaboratifs les plus marquants, il y a les albums Transparent water et Suba – que j'ai enregistrés avec le pianiste Omar sosa et le percussionniste Gustavo Ovalles. Ces oeuvres m'ont permis d'étendre mon audience jusqu'en Amérique latine, notamment au Mexique où elles ont été beaucoup écoutées.
Le tout dernier album de ma discographie à ce jour, est African Rhapsodies, paru cette année. Dans cet opus là, je fais dialoguer la musique classique d'Afrique (transmise par l'oralité) avec sa soeur occidentale (qui repose sur l'écriture). Pour ce projet, j'ai collaboré avec le BBC Concert Orchesrta, un ensemble de 62 musiciens jouant du violon, de la violoncelle, des cornes, des flutes et bien d'autres instruments encore. Tout le travail a été réalisé avec le bassiste Davide Mantovani et sous la baguette Mark Heron.
Je prépare également mon 14e album qui paraîtra, je l'espère, en 2024. Le titre n'est pas encore choisi, mais ce sera du travail de qualité axé sur les rythmes d'Afrique.
Sekou, tu es récipiendaire de nombreuses distinctions musicales de prestige ; voudrais-tu les énumérer ?
Oui Jean, c'est avec beaucoup de gratitude envers la vie que je cite ici ces prix qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire. En l'an 2000, j'ai reçu à Londres, un prix de la radio BBC parce que je figurais parmi les artistes les plus écoutés de la station.
En 2016, j'ai aussi reçu le prix du meilleur album en Afrique et en Moyen_Orient, décerné par le magazine britannique Songlines pour mon album 22 strings réalisé en solo, et dans lequel je me limite à la sobre combinaison voix + kora.
Le prix le plus marquant pour moi, reste tout de même celui du musicien de l’année en 2019, décerné par la BBC à l'occasion de son gala des folk Awards. Selon mes recherches, j'ai été le premier noir à remporter cette distinction. Mon compatriote Baaba Maal y avait été nominé quelques années plus tôt, mais il n'avait pas remporté le prix.
En 2019 toujours, j'ai aussi reçu le prix de la collaboration de l’année avec la joueuse galloise de harpe Catherine Finch, pour notre projet SOAR.
Parallèlement à ta carrière d'artiste, enseignes-tu aussi la musique ?
Oui, partager et transmettre mon savoir est un sacerdoce que j'observe fidèlement depuis de nombreuses années. En Angleterre j'ai dispensé des cours de musique et des enseignements sur le répertoire classique africain dans différents établissements, notamment des écoles secondaires, mais aussi des universités.
Au School of Oriental and African Studies par exemple, j'ai donné des cours de djembé et de kora.
Sekou, tu disais plus haut qu'en apprenant la musique, tu cherchais aussi à découvrir ton identité. Aujourd'hui la connais-tu ?
Oui Jean, je suis un Sénégalais, mais surtout un Africain ! Je suis héritier de la riche culture mandingue et j'ai le devoir de la présenter au monde. Tout le long de mon parcours, j'ai appris à définir qui je suis et cela m'a permis de trouver des repères pour poursuivre mes ambitions.
Je suis un descendant d'une lignée royale, qui a pourtant eu la curieuse destinée de faire de la musique. J'aime cet art et je suis en heureux d'en vivre !
Des milliers de jeunes africains rêvent de quitter des villages comme Lyndiane pour atteindre un jour, les sommets des charts musicaux du monde comme toi. Quel conseil leur donnerais-tu ?
Toujours croire en soi, savoir s’écouter, ne pas avoir peur et toujours se perfectionner !
Le sens du perfectionnement continu est essentiel ; même si c'est une seule corde que vous savez jouer, apprenez à bien le faire, avec beaucoup d'application, et le public sera toujours dans l'admiration de votre travail.
Aussi, il ne faut jamais oublier son identité ! Une vieille sagesse mandigue dit que le séjour d'un tronc d'arbre dans l'eau ne le transforme jamais en crocodile. Peu importe la destination que vous devez prendre pour réussir, ne trahissez jamais votre identité et soyez toujours fiers de vos racines.
Un mot pour finir Sekou ?
Juste dire à tous que je donne un concert pour la promotion de l'album African Rhapsodies le 13 novembre prochain, au Royal Concert Hall de Nottingham. Tout le monde est invité !
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