Blick Bassy : « L’Afrique doit se reconnecter avec son histoire »
Blick Bassy est un auteur, compositeur et interprète camerounais basé en France. Blick fut d’abord chanteur au sein du groupe Macase, avant d’entamer une carrière solo.Il est l'auteur de 3 albums (Léman, Hongo Calling et Akö).
Actuellement, le chanteur camerounais est en train de préparer la sortie prochaine dans son album 1958 dont le premier single « Ngwa » est disponible depuis le 7 février dernier.
De passage en Afrique du sud pour le tournage du clip de « Woni », son prochain single. Nous l’avons rencontré pour discuter du clip, de l’hommage à Um Nyobè et le message général de son album. Interview.
Vous êtes en RSA pour la sortie de votre nouveau clip vidéo « Ngwa ». La chanson et le clip sont très mélancoliques. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sens de la chanson ?
En fait, je suis ici pour réaliser le clip de mon second single « Woni ». J’ai donc profité de mon passage ici pour présenter « Ngwa », qui a été réalisé par Tebogo (Tebogo « Tebza » Malope est un réalisateur de clips sud-africain connu.)
Cette chanson, comme tout l’album, parle d’Um Nyobè, qui fut un combattant pour la liberté et la souveraineté du Cameroun. Je lui consacre l’album, vu le chaos qui règne dans nos diffèrents pays et surtout chez moi au Cameroun.
L’erreur que nous faisons généralement lorsque nous sommes face à des problèmes, est que nous nous acharnons sur les conséquences, au lieu d’en rechercher l’origine. C’est la démarche que je fais souvent, celle de tenter de comprendre l’origine de nos problèmes. Cela m’a ramené de manière claire vers Um Nyobe.
Il nous prévenait déjà contre certains maux qui allait surgir à un moment donné, comme le tribalisme par exemple, et c’est le cas en ce moment. Il nous disait également que c’était impossible d’avancer sans que nous soyons connectés à nos racines.
Nous devons donc essayer de sortir de cette espèce de couloir dans lequel on nous a jeté, et dans lequel on roule comme une boule, pour adopter des systèmes d’éducation, de développement, de culture et politique qui n’ont rien à voir avec ce que nous sommes réellement.
Pouvez-m ’en dire plus sur la direction artistique que vous avez pris, pour passer ce message politique et culturel fort, de l’Afrique qui se reconnecter à ces racines ?
Pour moi l’idée était tout simplement de parler de cette page de l’histoire, mais de manière artistique. Je démontre aussi que le combat d’Um Nyobè¸ était pacifique. C’est pour cela que le clip commence par la scène où il enterre une arme.
Son vrai combat était d’essayer de combattre les arguments évoqués, les textes et même des règles imposés par l’ONU (le Cameroun était sous tutelle de L’ONU), à travers les mots et le dialogue. Quand on voit ce qui se passe notamment aujourd’hui avec l’arrestation des opposants, l’arrestation d’un artiste comme Valsero, qui a été arrêté juste pour avoir marché contre ce qui se passe, on voit que nous sommes encore en plein dedans. Nous ne sommes pas encore sortis de ce cycle-là.
Par ce clip, on a donc voulu artistiquement mettre en lumière son histoire et lui rendre hommage. Car son histoire est méconnue au Cameroun et il est faussement décrit dans les livres d’histoires comme un terroriste.
Donc l’idée était vraiment de ramener cette page de l’histoire, de manière officielle, sur la table car on ne peut pas continuer à vivre dans le mensonge.
Votre prochain album est annoncé pour le 8 mars prochain et s’appelle 1958. Vous faites référence à l’année de l’assassinat d’Um Nyobè. Est-ce qu’il y a d’autres thèmes que vous abordez dans l’album, à part l’hommage à Um Nyobè?
En effet 1958, évoque l’année de son assassinat par l’armée française. J’en parle parce qu’il faudrait à un moment que les différents pays prennent leur responsabilité.
Cette histoire est encore taboue au Cameroun et bien sûr aussi en France. Vu le sentiment anti-français qui règne aujourd’hui en Afrique, si la France a vraiment envie de travailler main dans la main avec ces pays, il est important qu’elle reconnaisse sa responsabilité dans l’histoire car, être grand c’est aussi reconnaître ses fautes.
Je parle aussi de notre héritage de notre responsabilité à nous : que faisons-nous de cet héritage ? Nyobè lorsqu’il regarde ce qui se passe, il doit penser qu’il a donné sa vie pour rien.
Nous sommes des avatars des colons, complètement perdus, le cul entre deux chaises. Nous essayons de les imiter tout en sachant que nous ne deviendrons jamais totalement comme eux. Et en même temps, nous rejetons ce que nous sommes réellement, nos traditions et notre culture.
Dans cet album, j’essaie de dire que tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui dans nos pays, tout ceux auquel nous faisons face, nous ramène à la même conclusion : le besoin de nous reconnecter avec ce que nous sommes.
1958 c’est aussi le nom de votre spectacle à Africolor. C’était un mélange de musique, poésie et de contes. Comment ce dernier va-t-il été accueilli ?
En fait Africolor m’avait donné carte blanche pour penser ce spectacle. J’ai voulu y inclure d’autres personnes. Moi, j’apportais la musique, Krotal la musique par le rap et Binda Ngazolo est un conteur.
Nous sommes tous à notre niveau des storytellers. Le storytelling est, selon moi, un élément important pour construire les imaginaires. Les gens doivent s’imaginer grands, fort ; ils doivent rêver de la puissance qu’ils ont en eux et cela s’obtient à travers le storytelling. Et tout ça a été très bien reçu.
J’ai eu des témoignages de Français, qui n’étaient pas au courant de l’implication de la France dans cette histoire et qui se sont rendus compte qu’ils ne connaissaient pas l’histoire de leur pays, eux qui pensaient pourtant bien la connaître. Il y a également beaucoup d’Africains, non-Camerounais, qui étaient heureux d’apprendre cette page d’histoire car ils n’avaient jamais entendu parler d’Um Nyobe.
Avez-vous des projets d’emmener ce spectacle au Cameroun ou même ailleurs en Afrique vu que son message est si important ?
En fait, ce spectacle était un « one-shot » commissionné et financé par Africololor. Mais mon spectacle musical à moi, ne s’éloigne pas trop de ça. Il va tourner autour non seulement d'Um Nyobè mais aussi d’autres personnages tels que Felix Moumié et Ernest Ouandié (NDLR : autres figures importantes dans la lutte pour l’indépendance au Cameroun).
L’idée est donc de faire revivre ces personnages de manière positive, en essayant de mettre en lumière leur héritage. Donc oui, l’idée est, à travers ce spectacle, de ramener cette histoire aussi chez moi.
Vous êtes un entrepreneur culturel, en plus d’être musicien. Vous aviez par exemple produit une mini-série Wanda-Full Artistik Concret. Avez-vous des projets pour 2019 dans le but de continuer à éduquer ce qui veulent se lancer dans une carrière artistique…
Oui bien sûr. Mon hyperactivité m’emmène à faire plusieurs projets en même temps. Je pense que tout ce que nous faisons, nos projets, nos découvertes, ce n’est pas pour nous uniquement, mais pour le partager avec les autres.
Cette année on va faire la 2e édition du projet Show me, qui a eu lieu en octobre dernier en Suisse. C’est un marché digital du live à travers laquelle des artistes se produisent et leur concert est retransmis directement à l’endroit des programmateurs du monde entier.
Je suis également co-fondateur d’une plateforme qui s’appelle Bimster. Cette plateforme une référence en matière de musique au Cameroun, tous genres confondus. On aimerait emmener ce projet super loin. Il marche déjà très bien avec plus de 3 000 000 de visites par mois.
On veut aussi inclure des formations sur cette plateforme. On va lancer des formations au Cameroun, avec des partenaires internationaux, sur le business de la musique. On va également mettre en place une chaine de télévision pour essayer de toucher encore plus de public et ainsi participer à la viabilisation du business de la musique au Cameroun.
On espère mettre aussi en place une structure de communication, faire du community management, offrir des formations en communication digitale aux jeunes dans les écoles et les lycées.
Est-ce qu’il y a des collaborations ou featurings sur l’album ?
Pour le moment, pas encore. Il y en aura probablement, nous sommes en train d’y travailler avec le label qui a produit l’album.
Pourquoi le choix de l’Afrique du sud pour vos clips ?
En fait le clip « Ngwa » a été tourné au Lesotho. Pour ce projet hommage à Um Nyobè, je voulais que cela se fasse en Afrique et avec des Africains. Vu que je connaissais déjà le travail de Tebogo, je l’ai contacté. J’avais déjà pensé au Lesotho, et lorsque je lui en ai parlé, il a aussi tout de suite pensé au Lesotho.
Le but était également de montrer cette beauté de l’Afrique qui est encore à découvrir, et que finalement peu d’entre nous connaissent. Lorsque nous sommes dedans, on ne se rend pas compte de cette beauté. Mais lorsqu’on en prend conscience, on comprend pourquoi des gens sont venus faire des guerres, des génocides pour ces lieux que nous-mêmes ne connaissons pas.
L’Afrique est connue qu’à travers les perspectives des autres, il est temps de connaître l’Afrique à travers nos propres perspectives.
Vous partez en tournée prochainement ?
Dès que je retourne à Paris, je rentre en résidence pour travailler sur le spectacle sur lequel je suis occupée à travailler.
Ensuite je pars en tournée dès le 28 février prochain. On passera par la Suisse, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche, les USA. Entre autres. Nous sommes aussi en train de mettre en place un petit livre qui parle d’Um Nyobe, pour accompagner le CD.
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