Guiss Guiss Bou Bess – les pionniers de l’électro sabar
Groupe formé en 2016, Guiss Guiss Bou Bess (nouvelle vision en wolof), lance un concept original combinant tambours sabar et musiques électroniques, l’électro-sabar. Dans la lignée des Zazou Bikaye en 1983, de Frédéric Galliano et les African Divas vingt ans plus tard, le duo franco-sénégalais vient de sortir l’album Set Sela le 6 décembre sous le label Helico produit par le brésilien Chico Correa. Il s’inscrit ainsi dans un mouvement musical général du continent né depuis la fin des années 1990 en Afrique du Sud, l’afro-électro, mais encore naissant au Sénégal.
Rencontré aux Trans Musicales 2019 à Rennes (France), par notre envoyée spéciale Sylvie Clerfeuille, Guiss Guiss Bou Bess a bien voulu parler de sa musique et de ses réalisations, dans cette interview exclusive.
SC : Bonjour à tous les deux. Pouvez vous parler de votre parcours personnel et de votre rencontre.
Mara Seck : je suis né dans la musique. La maison ou j’ai grandi était remplie de danseurs, de chanteurs, de percussionnistes. Mon père était Alla Seck, le danseur de Youssou N'Dour et ma mère est issue de la la célèbre Sing Sing Family. J’ai commencé à faire de la musique très jeune, j’ai débuté par la danse et j'accompagnais beaucoup de chanteurs sénégalais, Fatou Guewel, Mbaye Dieye Faye, Amy Collé Dieng, Youssou N'Dour, mais aussi dans les sabars de rue. J’ai tourné jusqu’en 2010/2011, en Europe avec le groupe Garmi Fall composé de batteurs sénégalais, du chanteur Djiby Seye et de musiciens français qui jouaient un mélange de mbalakh, jazz, rap, funk et avec l’orchestre de Doudou Ndiaye Rose aux Pays-Bas . En 2015, j’ai sorti un EP de 6 titres, Hommage à Alla Seck produit par Kaani, la structure de ma femme.
Stéphane Costantini : j’ai grandi à Grenoble (France). Je suis chercheur en sciences de la communication, j’étudie le rapport entre les musiciens et le numérique et percussionniste de formation. J’ai fait beaucoup de percussions (contemporaines, batterie, congas, bongos, afro-cubains, djembé , percussions mandingues), de musique électronique. Je suis venu au Sénégal pour la première fois en 1999, je ne connaissais rien au mbalax. J’ai adoré.
SC : Comment est née l’idée d’électro sabar ?
Mara : c’était en 2016 lors d’un concert de l'Orchestra Baobab à Dakar (Sénégal). Je lui (Stéphane Costantini) ai demandé de faire des remix de mon album. Ce fut la première base de ce concept d’électro-sabar. On a commencé à bosser dans mon home studio ou plutôt ma chambre studio, on faisait écouter aux gens qui trouvaient cela pas mal.
Stéphane : l’idée d’adapter les musiques électroniques au sabar, qui est très riche rythmiquement, avec plein de parties de percussions qui sont différentes, était intéressante. Il faut qu’à la fois ça colle au musiques électroniques qui ont un tempo stable, il faut que le son soit assez clair. Ce sont des questions un peu plus techniques. Le sabar a une dynamique énorme, des rythmes complexes dans lesquels il faut rentrer, il faut intégrer les logiques rythmiques. Dans le mbalakh, le premier temps est joué rythmiquement par une caisse claire, et pas par une grosse caisse, contrairement au reste des musiques populaires, ca rappelle la salsa, la clave.
Il y a des ruptures de temps, des ruptures rythmiques assez fréquentes dans la sabar , ce n’est pas très facile j’imagine dans l’électro qui est beaucoup plus carré, d’intégrer des variations très fréquentes ?
Stéphane : oui, c’est vrai, il y a des négociations qu’il fallait trouver, de la part de l’un comme de l’autre. Quand on est des pros, on s’adapte et puis il faut faire avec la contrainte de la machine, mais la machine commence de plus en plus à répondre. Petit à petit on réussit aussi à en faire un peu ce qu’on veut.
Mara : on a fait beaucoup de recherches, pendant des mois, Stéphane a habité chez mois six mois à Dakar (Sénégal), il repartait en France, je venais en France, on continuait à collaborer. On a fait beaucoup de studios entre le Sénégal et ici, dans ma chambre, on mettait des matelas pour ne pas gêner le voisinage et une autre partie a été enregistrée à la Maison des Cultures Urbaines, à Ouakam. Pour les prises de voix, c’était un peu nécessaire. On a travaillé deux ans.
Stéphane : au bout de 6 mois, on a fait ce qui est devenu le premier EP, plus quelques morceaux qui ne sont pas encore sortis, des créations inédites.
Comment a été la réception du public au Sénégal ?
Mara : nous avons donné un premier concert en avril 2017, au Sénégal, à Dakar, dans le musée de la styliste Aissa Dione, au milieu de ces tissus, de ses expositions. C’était un cadre super ! On connaîssait sa fille qui est danseuse à la fois de danse traditionnelle et contemporaine.
Il y avait surtout des gens du milieu culturel et notre musique a été bien reçue. On a alors décidé de continuer. Puis, il y a eu un second concert à l’Institut Français en Novembre 2017 et chez Kehinde Wiley, le portraitiste d’Obama qui a créé à Dakar une résidence d’artistes, Black Rock, un lieu assez délirant. On s’est également produit au Monument de la Renaissance.
SC. Vous êtes vous produits en dehors du Sénégal avant les Trans Musicales ?
Stéphane : Oui, on a fait une première tournée en Europe en 2018. France, Suède, Allemagne, de gros festivals, sans oublier le WOMEX, un important salon musical qui s'était tenu aux Îles Canaries (Expagne). Nous avons aussi été à l'Atlantic Music Expo cette année.
SC . La scène électro est encore naissante au Sénégal. Avez-vous connaissance de la musique du film de Diane Fardoun, l’appel à la danse, qui travaille sur ce même concept entre électro et percussions sabar ?
Non, nous ne connaissons pas. Nous sommes avec Ibaaku qui a un style mixant hip-hop, jazz, reggae et voix. Il a lancé le concept de musique afro-futuriste, parmi les premiers. Lui, joue avec des musiciens de Casamance (Sénégal), des percussions sahourouba.
Et il y a les soirées Electrafrique lancées par le DJ suisse Cortega qui s’est installé à Dakar depuis trois ans et qui oeuvrait avant au Kenya. Il est très influencé par la musique electronique, le coupé-décalé, la naija music, l’électro d’Afrique du sud ; ses soirées ont du succès.
Il y a aussi un peu d’électro dans les boîtes au cours des soirées à thème. L’électro apporte beaucoup en terme de production, on la trouve maintenant dans le hip hop, avec l'ingéniosité des beatmakers.
Quels sont les rapports entre la scène électro et la scène rap ?
Stéphane : ça se mélange. Il y a de l’afro trap au Sénégal, qui est très dédoublé, très dansant. Les rappeurs savent ce qu’on fait, ça commence à se rapprocher. On a même fait un duo avec le rappeur Iss 814, sur le titre « Sunugal » de notre album.
SC. Parlez moi des morceaux de l’album
Mara : J’évoque « Lamp Fall », dans l’album, car je suis un bayefall (confrérie islamique) ; mon père était un grand bayefall, je chante les bayefall. L’électro et la spiritualité, ça va bien ensemble - tous les deux soignent.
Dans cet album, on parle de plein de choses, de la lumière, des discussions nécessaires entre nous et nos dirigeants, du droit de voyager à travers le monde.
SC. Les Trans, c’était important pour vous ?
Mara. C’est la première fois qu’on s'y rende, on voit qu’ il y a de l’intérêt pour ce qu’on fait et on a même joué dans une prison, c’était important pour nous.
SC. Quels sont les projets aujourd’hui ?
Mara. La promotion de l’album et une tournée africaine en préparation, Dakar - Zanzibar - Ethiopie. Nous sommes encadrés par une équipe dynamique, qui nous cherche toujours de nouvelles oppotunités.
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