Magali Wora : « La méconnaissance du métier de manager d’artistes est réelle sur le continent »
Opératrice culturelle originaire du Gabon, Magali Wora a accompagné de nombreux artistes sur le continent. Elle vient de publier un ouvrage baptisé Guide d'initiation au management artistique en musique urbaine en Afrique dans lequel elle partage ses 18 ans d’expérience dans le métier. Music in Africa l’a rencontrée.
Vous dites que votre ouvrage, a pour but de « donner des orientations, des propositions, des modèles de travail, pour les opérateurs culturels qui se lancent dans la carrière de managers d’artistes. Pouvez-vous dresser un état de lieu du management artistique en Afrique ?
Il suffit de parcourir le continent africain, de rencontrer des artistes pour se rendre compte que même s’il y a des talents incroyables, ils sont toujours très peu réellement encadrés. Et ceux qui les encadrent disent qu’ils sont les managers, mais même quand certains ont fait 10 ans dans le showbiz, c’est effarant de se rendre compte qu’en réalité même eux ne savent pas ce que c’est qu’être un manager.
La méconnaissance du métier est toujours réelle. Mais il y a une nouvelle génération qui veut s’instruire et c’est cette génération qui vient à mes ateliers de formation, à mes conférences et qui achète mon livre.
Dans un passage de l’ouvrage, vous insistez pour qu’un manager ne change pas l’univers musical d’un artiste, nous remarquons d’un autre côté, que des maisons de disques imposent parfois un style musical aux artistes. N’est-ce pas là aussi le rôle d’un manager, aider un artiste à vendre et à gagner beaucoup d’argent ?
Le manager développe la carrière de l’artiste. Le major (une des principales maisons de disque) ou le producteur indépendant, finance les projets de l’artiste pour avoir en retour des bénéfices. C’est du pur business. Le rôle du manager dans ce cas de figure reste celui de conseil.
Notre rôle est celui d’aider l’artiste à se poser les bonnes questions et à accepter d’en assumer les conséquences. « Es-tu d’accord pour qu'on te mette sur un registre différent du tien ? », « mesures tu que si tu fais des chansons avec X, Y ou Z cela aura un impact sur tes fans ? », « Assumes-tu de changer de style musical ? ».
Mais comme je le dis aussi dans mon livre, celui qui a le dernier mot sur le choix final, c’est : l’artiste. Pas le manager. Vous savez, il y a des artistes qui signent avec des labels, ils prennent des grosses sommes en avance et puis quand le major exige une certaine direction artistique, ils se plaignent en oubliant que le dernier mot qui les a conduits à la signature était le leur. Ce n’est pas le manager qui signe avec le major, c’est l’artiste.
Vous évoquez également la problématique du droit d’auteur sur le continent. Beaucoup de sociétés de gestion collective ne reversent pas aux artistes les sommes collectées et certains n’y sont mêmes pas inscrits, préférant faire confiance aux entités étrangères. Quelle serait la solution pour remédier à ce problème ?
La question du droit d’auteur en Afrique est épineuse et est fortement liée à la considération qu’on a pour les métiers des arts. Pour moi, c’est un problème de mentalité. Car, par exemple, tous les consommateurs de musique doivent acceptent de reverser une taxe pour rémunérer les artistes. Question ? Est-ce que tous les consommateurs de musique sont prêts à le faire ? Nous savons tous que non.
Vous avez accompagné beaucoup d’artistes sur le continent. Quels sont les défis que vous avez rencontré et quelle expérience en avez-vous tirée ?
En 18 ans d’expérience d’accompagnement et de développement de carrière d’artistes, chaque artiste ou groupe a été un défi à relever. Certains, c’était le défi du style musical, d’autres le défi de la personnalité, parfois ça a été le défi de la nationalité, le défi de l’époque, de la reconversion musicale, et même le défi d’avoir simplement un artiste en bonne santé. Et c’est dans ce premier livre que j’ai partagé quelques expériences instructives.
Dans ce premier volet, j’ai parlé de mon expérience et des outils en tant que manager. Les prochains livres parleront de l’artiste lui-même et de l’expérience de producteur indépendant en Afrique, rôle que j’ai joué à deux reprises.
On constate que certains artistes, quand ils se lancent dans la musique, préfèrent travailler seul, au lieu de faire un appel à un manager. Cette façon, de faire, aura-t-elle une incidence sur la suite de leurs carrières ?
Oui et non. Certains artistes commencent seuls parce qu’ils ne savent tout simplement pas qu’il leur faut un manager. D’autres ont peur de tomber sur quelqu’un qui ne va pas réellement les accompagner dans le développement de leurs carrières et ils seront simplement là pour se remplir les poches. Il y a ceux qui se disent qu’ils ne gagnent pas déjà assez, pourquoi encore devoir partager une partie de leur cachet avec un manager.
Et puis avec le temps, ceux qui veulent vraiment se structurer et aller plus loin, comprennent et acceptent la nécessité d’avoir un manager. Car en réalité, on ne peut être à la fois juge et partie. Il faut de l’objectivité dans le monde subjectif et émotionnel de l’artiste. Et cette objectivité, c’est le manager qui doit l’apporter.
Il y a également un déficit de connaissance sur ce secteur. Dans la plupart des cas, les managers apprennent sur le tas ou participent à des séminaires et formations de courtes durées. Quel serait selon vous une solution sur le long terme. Créer une filière ou une école de management artistique ?
Sur le long terme, je pense que créer une filière de deux ans ou l’ajouter comme une matière dans des programmes universitaires africains serait effectivement un bon début. Comme cela se fait dans des universités comme Berklee Music (la plus importante école de musique aux Etats-Unis), et qui est appelé sous le terme de music business.
Dans un chapitre de votre livre, vous parlez de la distribution phonographique, et la distribution aujourd’hui passe par les plateformes digitales. Comment un artiste doit-il tirer parti de ces nouveaux outils de promotion musicale ?
Ne nous leurrons plus, la distribution classique est en train de muer pour le modèle digital. C’était donc important pour moi d’expliquer le modèle classique pour que mes lecteurs soient mieux équipés quand ils devront faire face à la question de la distribution digitale. Pour le moment, être sur les plateformes digitales, ne génère pas encore des revenus colossaux pour tous les artistes.
En effet, le public doit être éduqué à consommer la musique différemment. C’est-à-dire accepter de payer un forfait mensuel pour avoir accès à un large catalogue de musique en streaming. Il est important de réaliser que les chansons partagées gratuitement par WhatsApp, ou via des sites de téléchargement gratuit sont des manques à gagner pour l’artiste pas pour le public.
Cela signifie, par conséquent, que les artistes eux-mêmes doivent arrêter de partager leurs chansons gratuitement. Ils deoivent comprendre qu’avec un peu de patience et d’éducation, les fans accepteront de payer pour écouter leur musique.
L'ouvrage Guide d'initiation au management artistique en musique urbaine en Afrique est disponible sur les plateformes de vente en ligne, Fnac, Kobo et Amazon.
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