La musique traditionnelle au Cameroun
Par Guy Martial Feukwu Noule
La culture est généralement perçue comme un ensemble plus ou moins cohérent des acquis résultant des effets d’une communauté pour résoudre des problèmes de tout ordre et satisfaire ses besoins et aspirations : savoir et savoir-faire, mythes, représentations religieuses ou artistiques, signes et symboles utilisés pour la communication.
Le Cameroun est considéré comme une représentation miniature de l’Afrique par sa grande diversité culturelle. Ce pays abrite plus de 250 ethnies et langues, ce qui suppose l’existence de plusieurs rythmes de danse et par ricochet, de musiques traditionnelles. Compte tenu de cette réalité, nous n’allons pas faire une étude de toutes les musiques traditionnelles, mais plutôt une analyse généralisée. Pour mieux appréhender la problématique des musiques traditionnelles au Cameroun, il est tout d’abord nécessaire de définir le concept de musique traditionnelle, ensuite, nous dresserons un état des lieux précis de cette filière musicale dans le contexte camerounais, et enfin, nous identifierons les différents enjeux et les stratégies qui pourraient être implémentées dans le souci de dynamiser cette filière artistique.
Approche conceptuelle de la musique traditionnelle
La musique traditionnelle a une mauvaise réputation car beaucoup pense qu’elle est le symbole d’une époque ancienne et révolue. Avec son caractère immuable et oral, la musique traditionnelle semble perdre de l’importance avec le temps et tend à disparaitre progressivement. La musique traditionnelle se caractérise donc par son profond ancrage à l’oralité, ainsi que par son contexte populaire. Dans la pratique, les musiques traditionnelles qui accompagnent généralement les danses traditionnelles s’exécutent lors de fêtes, de cérémonies et autres rituels. Nous avons l’exemple du Djimassa, qui est une danse enracinée et développée par le peuple Bamoun, et exécutée par les reines de la cour royale lors de cérémonies d’intronisation ou à l’occasion de mariages princiers. Le Samale, quant à lui, est une forme de poésie lyrique et satyrique qui parle des problèmes de mœurs dans un style propre aux initiés. C’est un rythme d’animation populaire exécuté lors de funérailles et manifestations publiques. Nous avons aussi le Mbaya, qui est répandu sur le territoire camerounais avec des dénominations variant selon les régions. C’est une danse « obscène » parce qu’abordant des sujets considérés tabous dans l’Afrique traditionnelle, notamment la sexualité. Aujourd’hui, cette danse a dépassé le cadre des rituels et s’exécute pendant les cérémonies de réjouissance populaire.
De façon plus explicite, Françoise Etay, dans son article intitulé « Dix ans de musique traditionnelle en France » précise que : « La musique traditionnelle se définit par un enracinement localisé. Ce n’est pas une copie du passé, mais l’expression actuelle, vivante, de traits culturels stylistiques qui ont traversé plusieurs générations en un lieu donné ». Dans la suite logique de la définition de cet auteur, il convient de dire que de nos jours, avec l’évolution des mœurs et les grandes mutations constatées au sein des populations, bien qu’imprégnée d’une identité culturelle forte, la musique traditionnelle s’est très vite adaptée au monde contemporain et est appréciée par beaucoup.
Aperçu de la situation de la musique traditionnelle au Cameroun
Etat des lieux
Dans le paysage audiovisuel actuel, la musique traditionnelle, vue sous son angle originel semble peu représentée. C’est le sentiment que l’on a lorsque l’on écoute la musique moderne. Mais il n’en est rien, car la grande majorité des rythmes que l’on retrouve dans la musique moderne s’inspire des musiques traditionnelles et on y ajoute des éléments nouveaux et des esthétiques nouvelles. Par exemple, le makossa qui tire son origine de la région Littoral du Cameroun est une musique traditionnelle du peuple Sawa, mais aujourd’hui, les Sawa eux-mêmes semblent ne plus se reconnaître dans cette musique. Ceci simplement parce que ce makossa n’est plus exécuté dans le respect des canons classiques. Ce n’est plus la musique authentique qu’ont toujours connu les Sawa, mais c’est devenu un mélange avec des rythmes venu d’ailleurs (Rumba, Coupé-décalé Pop, R’N’B, etc…).
Pour les puristes de la musique traditionnelle, le makossa est en pleine décrépitude au détriment des autres rythmes venus d’ailleurs. Cet état des lieux est encore plus évident car sur le plan international, les musiques camerounaises sont peu représentées. Il y a très longtemps que l’on n’a plus vu un musicien camerounais gagner des prix prestigieux sur la scène africaine. Nous prenons en exemple les célèbres Kora Awards, le dernier artiste musicien camerounais à avoir gagné un trophée Kora est Wes Madiko en 2000. A côté du Makossa, nous avons aussi le Bikutsi, et tous deux forment les rythmes les plus populaires.
Malgré cette présentation un peu alarmiste de la situation des musiques traditionnelles, notons néanmoins qu’il y a encore quelques artistes musiciens ou groupes qui tant bien que mal essayent de préserver ces richesses culturelles qui nous sont propres. Le groupe Faddah Kawtal dans le nord du pays, le groupe Takam II à l’Ouest, l’orchestre Patengué à l’Est et d’autres jeunes artistes comme Josué Kouoh connu sous le nom d’artiste Eriko qui se soucient encore de ne pas diluer leurs créations artistiques en faisant des emprunts aux genres musicaux étrangers.
Aussi, précisons qu’il n’existe véritablement pas de festival consacré exclusivement à la musique traditionnelle au Cameroun. Généralement c’est dans les festivals avec une connotation plus communautaire que l’on découvre souvent les musiques traditionnelles. Il existe un très grand nombre de festivals de ce calibre, à l’instar du Ngoun qui est le festival du peuple Bamoun, le Ngondo, festival des peuples Sawa, la fête du Coq qui est un festival des peuples Toupouri, le festival Gunu, etc…
La question des instruments de la musique traditionnelle
La musique traditionnelle est aussi marquée par les instruments qui sont utilisés. Ces musiques tirent leurs sources des chansons et des rythmes qui sont joués pour accompagner les danseurs et danseuses dans leurs gestuelles corporelles. Parmi les instruments, nous avons : le tam-tam, les tambours, les calebasses à sonnailles, les tambourins, le balafon, les castagnettes, le diapason, etc…
Ces différents instruments permettent d’exécuter des musiques pour accompagner les danses telles que : le djimassa, l’ekalé, le makoné, le engang, le koué, le N’teuh, le mbaya, le kalangou, le djang, l’ambassibé, etc… Seulement, de nos jours la révolution numérique et le développement sans cesse croissant des technologies font que ces instruments sont de moins en moins sollicités et ont simplement laisse la place aux nouveaux appareils produisant des sons peu authentiques comparés à ceux des instruments traditionnels.
Les enjeux et les stratégies de développement de la musique traditionnelle au Cameroun
Tel que nous l’avons vu plus haut, la musique traditionnelle au Cameroun garde malgré tout une place non négligeable dans le répertoire musical national. Sur l’ensemble du territoire, on constate qu’il y’a encore des artistes qui, malgré l’avancée notoire des technologies actuelles, tentent tant bien que mal de garder une certaine authenticité dans la pratique de cet art. Néanmoins, notons que dans d’autres parties du Cameroun encore, l’authenticité se perd et les rythmes traditionnels sont purement et simplement dilués pour laisser la place à un brassage entre musiques locales et rythmes importés. Les enjeux sont pourtant très grands, surtout dans un environnement où la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles sont prônées. Il demeure donc important que nos valeurs traditionnelles soient préservées afin que les générations actuelles et futures puissent s’en inspirer pour créer davantage et être plus productives et compétitives sur la scène internationale. Peut-on véritablement être compétitif sur le marché musical africain si nous focalisons nos créations sur les pales copies des rythmes tels que la rumba, le coupé-décalé, la salsa, le zouglou en délaissant, nos rythmes camerounais tels que le makossa, le bikutsi, le benskin, l’assiko, etc… ?
Nous ne le pensons pas. Par conséquent, il semble important d’implémenter certaines actions afin de permettre à la jeune génération de s’approprier la pratique réelle des musiques traditionnelles qui ont tendance à s’effriter pour laisser la place à des métissages qui ne sont pas toujours forcement productifs. Des politiques concrètes favorisant la transmission de ces valeurs culturelles doivent être sérieusement envisagées si nous voulons préserver et faire briller la flamme de la vraie musique camerounaise, inspirée de nos richesses musicales traditionnelles. C’est un cri d’alarme qui devrait interpeller toutes les parties prenantes à cette noble cause (les pouvoirs publiques, les différentes communautés culturelles, les corporations d’artistes, etc…).
Bibliographie ETAY Françoise « dix ans d’enseignement de la musique en France » in 1967 – 1997, trente ans d’enseignement de la musique et de la danse en France, Marsyas, hors-série, cité de la musique, Paris 1997. MORTIER Claire « Musique traditionnelle et institution : quelle place pour les musiques traditionnelles en institutions ? CEFEDEM Bretagne – Pays de Loire, 2005 - 2006
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